Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud

meursault-contre-enqueteQuatrième de couverture

Il est le frère de « l’Arabe », tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du XXe siècle. Soixante-dix ans après les faits, Haroun redonne un nom et une histoire à Moussa, mort par hasard sur une plage d’Alger trop ensoleillé.

Soir après soir, dans un bar d’Oran, le vieillard rumine sa solitude, sa colère contre les hommes qui ont tant besoin d’un dieu, son désarroi face à un pays qui l’a déçu. Étranger parmi les siens, rage et frustration inentamées, il voudrait clore cette histoire et mourir enfin.

Hommage en forme de contrepoint rendu à L’Étranger d’Albert Camus, Meursault, contre-enquête joue vertigineusement des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l’identité et des héritages qui conditionnent le présent.

Critique

Preuve de mon intelligence suprême, cette première critique concerne un livre qui n’est malheureusement pas accessible à tout le monde : ceux qui n’ont pas lu L’Étranger de Camus risquent d’être perdus et de ne rien y comprendre. (passez votre chemin si vous voulez éviter les spoilers) Attendez-vous à ce que ma critique soit donc écrite en parallèle de cet autre livre car c’était bien là le but de Kamel Daoud : développer le personnage auquel la parole n’a jamais été donné, alors qu’il a pourtant été assassiné par le personnage principal et qu’on connaît simplement sous le dénominatif de « l’Arabe ».


Dans ce livre, l’auteur songe donc à rétablir cette injustice en lui donnant un nom – Moussa – et une histoire. Ou plutôt, celle de son frère, Haroun, qui est le narrateur de l’histoire. On verra finalement que ce n’est pas tellement l’histoire de son frère que Haroun raconte, mais plutôt comment la mort de celui-ci a influencé sa vie. On pourrait croire que sa colère est dû à la perte de son frère qu’il n’a jamais vraiment connu (il avait sept ans à l’époque) mais toute sa vie durant, il n’a agi – ou pas agi – qu’à travers ce meurtre et sa non-reconnaissance, sa mère obsédée par la mort de son aîné et assoiffée de vengeance.

Un petit avertissement : j’ai cru durant ma lecture des trente premières pages que ce livre était surtout une attaque envers Albert Camus et j’ai été assez mal à l’aise mais il n’en est rien. Nous sommes en plein dans le domaine de la fiction et le livre de L’Étranger a été en fait écrit par le meurtrier lui-même, Meursault, sorti de prison, alors qu’on sait bien que celui-ci a été en réalité condamné à mort lors de son procès dans l’histoire d’origine. Bien évidemment, on a une critique acerbe des pieds-noirs de l’époque et de leur déconsidération envers ceux qu’ils appelaient les indigènes, pour qui ils étaient juste des « Arabes » et non pas des êtres individuels au même titre qu’eux et aussi porteurs d’une identité. Certains détracteurs de Camus lui ont d’ailleurs reproché de faire la même chose, mais étant donné ses autres écrits, il serait aussi légitime de penser qu’il en a profité pour peindre un tableau de la société de l’époque, ce qui serait aussi une dénonciation en soi. L’auteur étant décédé, il ne peut guère se justifier et on ne peut que lui prêter les intentions qui nous arrangent. (sachant que je ferai sûrement une critique de L’Étranger plus tard, je ne souhaite pas lancer de débat maintenant et je ré-aborderai ces points assez ambigus)

Le parcours de Haroun comme il le décrit à son interlocuteur (à la deuxième personne, on a donc aussi l’impression qu’il s’adresse à nous) dans le bar peut ressembler à celui de Meursault, à la fois similaire et différent, et dans lequel sa haine de la religion, sa colère et sa tristesse de voir ce que son pays est devenu après l’Indépendance sont très palpables, c’en est assez touchant mais aussi instructif. De temps à autre, en-dehors de la vie d’Haroun qui peut parfois faire office de miroir à celle de Meursault (et vice-versa), on peut aussi le constater envers certaines narrations, la plus connue de L’Étranger étant son commencement (« Aujourd’hui, maman est morte ») devenue au début de Meursault, contre-enquête : « Aujourd’hui, M’ma est encore vivante ». Ces rappels à l’œuvre d’origine, ironiques, parfois accablants, ont fait mouche. (et parfois fait sourire)

Kamel Daoud a fait un bon travail sur ce livre, il est aussi important de rappeler l’influence colonialiste qui est un peu passée à la trappe dans de nombreuses analyses du livre de Camus. L’écriture est de la même simplicité que pour L’Étranger, mais avec son identité propre et le ton mordant du narrateur. Meursault, contre-enquête est un livre intéressant à lire et qui nous donne la possibilité d’explorer l’histoire de l’autre côté, à condition de vouloir bien prendre du recul.

7/10

 

4 réflexions sur “Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud

  1. Oh, c’est super intéressant comme livre !
    Je me souviens avoir lu l’Étranger au lycée, d’avoir été frustrée de ne pas tout comprendre (je l’ai compris… Bien plus tard, il y a quelques mois ^^ »), et surtout des zones d’ombres. Qui est l’Arabe, pourquoi, comment…
    Ce livre n’est pas une réponse de la part de l’auteur, mais ça reste quand même très intéressant, et la façon dont tu en parles donne d’autant plus envie de le lire ! Merci pour cette découverte 🙂

    Aimé par 1 personne

    • Merci pour ton commentaire, ça me fait très plaisir ! 🙂

      Oui, ce livre parle de l’Arabe qui a été tué alors que finalement, tout le monde s’en foutait… Je te rassure, je n’ai pas tout compris du premier coup non plus, je crois que c’est normal. ^^

      Ravie que ça te donne envie de le lire en tout cas ! 🙂

      J’aime

    • Oui, c’est vrai, tu as raison ! C’est pour ça que la note n’est d’ailleurs pas extrêmement élevée mais je l’ai trouvé quand même intéressant. Aha, peut-être qu’on a des lectures communes mais je suis en rattrapage de plusieurs années sans lecture alors je ne pense pas que tu découvriras grand-chose avec moi. ^^ »

      Aimé par 1 personne

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