Attention, monument littéraire ! Germinal, d’Émile Zola

germinal-zola-coverQuatrième de couverture

Germinal est le récit d’une grève de mineurs sous le Second Empire, mais également de leurs souffrances et de leurs amours, de leurs révoltes et de leurs espoirs, de leur fraternité et de leur dissensions. Et, dans ce treizième volume des Rougon-Macquart, si Zola n’hésite pas à peindre au plus noir cette vie ouvrière, c’est qu’il souhaite conduire ses lecteurs de 1885 au sursaut nécessaire pour qu’advienne un avenir moins sombre.

C’est ainsi l’espérance qui éclaire la fin du livre et que son titre annonce : dans le calendrier révolutionnaire, Germinal était le mois du printemps – celui du renouveau.

Critique

Je pourrais tout simplement vous laisser avec la première partie du titre qui en dit déjà assez long, mais j’ai aussi beaucoup trop de choses à dire, alors vous ne vous contenterez pas seulement de l’appellation « monument littéraire », que vous ne retrouverez sûrement pas dans beaucoup de titres de mes chroniques, loin de là. C’est un sacré morceau (presque deux semaines pour le lire, car j’ai une vie maintenant je suis fatiguée), plutôt dense mais passionnant. Une fois qu’on le commence, on ne le lâche plus, même pas pour commencer une lecture plus légère en parallèle.

Avant qu’il y ait des petits sceptiques qui se disent « Bah oui, c’est Zola, quoi », il faut savoir que je n’ai lu qu’un seul livre de cet auteur, Au bonheur des dames, quand j’avais quatorze ans. Même si je l’avais trouvé pas mal à l’époque, je pense que je n’avais pas la maturité nécessaire pour l’apprécier à sa juste valeur (je me souviens avoir trouvé les descriptions un peu lourdes) et j’aimerais bien le relire avec mon cerveau actuel. J’ai quand même trouvé le moyen de perdre le bouquin sans que ça ne m’émeuve plus que ça à l’époque, et pourtant, j’aurais bien envie de me mettre des claques pour ma négligence aujourd’hui.

On pourrait aussi me rétorquer que, lu ou pas lu, Zola est grandiose, un des meilleurs auteurs de tous les temps, un point c’est tout. Mais j’en ai rien à foutre (oui, tout à fait !) et je préfère largement me faire ma propre opinion sur un auteur que de suivre aveuglément l’avis général, qu’il soit unanime ou non. On a bien vu ce que ça a donné avec Guerre et Paix de Tolstoï, alors vous comprendrez que je sois encore moins convaincue par les grands auteurs classiques par avance. (j’ai assez peur de lire Proust et Balzac d’ailleurs, mais là n’est pas le sujet)

Mais trêve de bavardages, retour au livre ! Je savais, vu le sujet, que ce roman allait me plaire un minimum. De là à m’imaginer la claque littéraire que j’allais me prendre en pleine face, il n’y avait qu’un (grand) pas que je n’avais pas osé franchir.

Pour être tout à fait honnête, je ne savais pas trop par quoi commencer pour parler de Germinal. Mais je crois que le plus évident, ce qui m’a frappée le plus avec ce roman, c’est l’immense travail de recherche qu’a accompli Zola pour son histoire. Très franchement, pas besoin de lire la préface ou le dossier pour s’en rendre compte : lire le livre suffit à réaliser la masse de travail réalisé par l’auteur. (plus de 900 feuillets dans son dossier de préparation !) Zola a fait des recherches sur les mineurs, leurs mœurs sociales, leur conditions de vie, le travail de mineur, les maladies qu’ils subissent du fait de tout cet ensemble. On pourrait croire que tout ceci reste assez lourd à lire, mais il a réussi à imbriquer tout cet ensemble dans un schéma narratif que j’ai trouvé fluide et très bien pensé. Je n’ai ressenti aucune lourdeur dans les descriptions malgré mon pressentiment, et vu la mine d’informations qui nous est offerte, ce n’était pas gagné, alors j’applaudis l’exploit.

On suit plus ou moins l’histoire avec Étienne Lantier, qui vagabondait sur les routes pour trouver du travail, se retrouve à Montsou et obtient donc un poste à la mine. Mais on trouve au sein de ce roman une foule de personnages, juste assez pour ne pas s’y perdre et pouvoir contempler les différentes facettes de la société. On y trouve bien évidemment les mineurs et les rentiers qui profitent des rentrées d’argent sans rien foutre de leurs journées, mais aussi des travailleurs intermédiaires, profitant plus ou moins de certains avantages.

Étienne Lantier sera celui qui mettra le feu aux poudres, qui poussera les mineurs à la grève suite à un abaissement du tarif de leur travail, déjà très dur et avec lequel ils ont de la peine à se nourrir. Il se renseignera sur des modèles de société intermédiaires, sur la façon de renverser cette hiérarchie injuste, descendante de la révolution de 1789 où seuls les bourgeois ont pris le pouvoir et ont profité à leur tour de très grands privilèges. Et le pire, c’est qu’on est toujours en plein dedans… (Zola, si tu savais) Avec la maladresse de ceux qui s’emmêlent les pinceaux dans leur volonté de bien faire, il réussira à les mobiliser.

Il y a une violence dans leurs conditions de vie et ce qui se passe pendant la grève qui est assez impressionnante et aberrante tellement la cruauté et l’absurdité y sont très vives. L’aspect psychologique est très bien développé, on y trouve beaucoup de pans, à la fois positifs et négatifs, de ce qu’une action ou un évènement peut engendrer dans ce contexte. On pourrait croire que les rentiers sont les méchants de l’histoire et les mineurs les gentils, et puis basta, ça paraîtrait logique. Mais Zola n’a pas souhaité être manichéen à souhait, et tant mieux. Des défauts se retrouvent aussi chez les mineurs, ce qui nous permet d’explorer tout un éventail de choses à faire ou à ne pas faire, et parfois même à critiquer cette rébellion qui aurait mieux fait de faire ceci ou cela. (c’est toujours plus facile quand on a le cul dans son lit alors que ce pauvre Étienne Lantier a toute une foule affamée et en colère à gérer)

D’ailleurs, Étienne s’instruit au fur et à mesure et on observe le déclassement progressif de cet homme vis-à-vis des autres mineurs. Il ressent un certain mépris envers eux à certains moments et ne se plaint pas du pouvoir soudain et de l’autorité qu’il a sur ses compagnons qui le grisent beaucoup pendant ses discours. J’ai trouvé son évolution très intéressante.

Le rapport à la viande m’a aussi pas mal parlé en tant que végétarienne : les riches y ont droit tous les jours alors que les pauvres sont déjà bien contents quand ils en ont une fois par semaine. D’où cette fierté actuelle de manger de la viande quotidiennement et cette réticence à réduire, voire abandonner sa consommation. Bien évidemment, ce n’est pas le seul point d’analyse sur cette question mais elle m’a fait écho car on m’a rétorqué – une seule fois, certes – qu’il était hors de question de ne plus manger de viande car ça voudrait dire qu’on est pauvre. Il est intéressant de voir que cette mécanique d’autrefois est encore ancrée dans les cerveaux. C’est un véritable enjeu de lutte sociale, à ne pas sous-estimer.

Bien évidemment, la question de la place des femmes à cette époque est triste à en pleurer et Catherine en est d’ailleurs une illustration parfaite. (notamment sur les ressorts psychologiques que ça induit de… bref, c’est un classique connu, mais évitons de spoiler) Zola ne présente absolument pas cette condition comme étant légitime et j’apprécie beaucoup.

Je trouve qu’il est resté assez objectif, que quand ses personnages s’enflamment, on ne sent pas sa présence derrière, on ne peut que constater ce qu’a cette situation de pitoyable et d’injuste. Bref, j’ai trouvé ce roman absolument brillant, d’une maîtrise absolue. Nul doute qu’il fait partie de mes livres préférés de l’année.

(d’ailleurs, si vous avez lu le livre et vu son adaptation cinématographique, je veux bien votre avis dessus)

14 réflexions sur “Attention, monument littéraire ! Germinal, d’Émile Zola

  1. Un grand souvenir d’enfance que Renaud dans l’adaptation filmique. Mais comme le livre, j’en ai peu de souvenir. Si tu veux te lancer dans Balzac, je te conseille vivement Illusions perdues. Pour Proust, ça passe ou ça casse. Faut aimer perdre son temps pour lire À la recherche du temps perdu. Je dis ça mais je le relis régulièrement…

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    • S’il passe un jour à la télé, je tenterai de le regarder alors 🙂
      Je note pour Balzac et tu n’es pas le premier à me conseiller celui-là, ce livre doit vraiment être une valeur sûre. Bon, pour Proust, c’est déjà très positif quand on me dit qu’on le relit, je verrai à l’occasion alors, ça me fait déjà moins peur 🙂

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  2. Je l’ai aussi lu il y a quelques semaines ! J’ai également été assez épatée de voir que la masse d’informations ne plombait pas la narration, et l’histoire est prenante 🙂 J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ta critique si enthousiaste en tout cas ! 🙂

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  3. J’ai plein de livres de Zola dans ma PAL mais je n’en ai pas encore lu un seul. J’aimerai lire Au bonheur des dames avant Germinal mais j’ai l’Oeuvre et Thérése Raquin dans ma PAL. Plus on me parle de Zola plus j’ai envie de le découvrir !

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  4. Quel courage de s’attaquer à chroniquer Zola. Je suis toujours dans ma poursuite de lire l’entièreté des Rougon Macquart et j’en suis à la Terre. Germinal est bien sûr une de ces plus belles œuvres tant elle est aussi passionnante qu’intéressante mais pour l’instant j’aime toujours encore plus L’assommoir! Tu vas continuer à découvrir ses ouvrages du coup?

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  5. Le seul livre que j’ai lu de Zola, c’était l’Assommoir, dans le cadre des cours. Pas un bon moyen de commencer je pense, parce que j’ai vraiment eu un mal de chien à le lire.
    Mais je compte lui laisser sa chance, avec Au bonheur des dames peut-être pour quelque chose de plus facile, et si j’accroche, tenter Germinal !

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