Quatrième de couverture
Œuvre majeure donnant une vision unifiée de la période partant de la fin des années cinquante jusqu’à 2006. Malgré les raccourcis de raisonnement présenté et souvent leur simplicité. La stratégie du choc soulève chez le lecteur une saine interrogation sur le pourquoi de bien des événements marquants de notre époque. Les explications du pourquoi de tous ces événements catastrophiques sont sans doute beaucoup plus complexes, mais la thèse de Madame Klein doit néanmoins être prise au sérieux. La crise économique que nous vivons en ce moment, est une conséquence des actions politiques dénoncées dans ce livre.
La thèse de Madame Klein doit déranger beaucoup au point que The Economist a ignoré complètement l’œuvre alors qu’il a abondamment parlé de son livre No LOGO et de ses impacts.
Critique
On m’a dit que ce livre pouvait changer une vie, et je m’accorde aussi à le penser. En effet, je connaissais déjà la nature réelle de certains évènements, et j’en ai découvert d’autres, qui m’ont fait tomber de haut.
Car tout ce qui est relaté au sein de ce livre vous glace pas mal le sang, vous fait vous interroger sur le devenir de notre pays (déjà pas très glorieux) et surtout, se trouve au sein d’un système global, que nous avons parfois du mal à cerner dans notre cocon du quotidien. Pour les personnes qui me suivent sur Instagram, elles savent que ce livre m’a pas mal secouée vu que je les ai spammé avec des extraits…
Mais qui est donc l’autrice ? Naomi Klein est une journaliste canadienne indépendante (c’est important de le préciser), provenant d’une famille plutôt militante, ce qui, à mon avis, explique pas mal ses démarches et ses sujets de recherche. Ce n’est clairement pas quelqu’un biberonné à la sauce économique libérale qui aurait pu produire l’enquête relatée dans ce livre. (je m’inclus aussi dedans, mais on aura l’occasion d’en reparler)
Mais là, je vous ai simplement dit que ce livre m’avait foutu une claque, mais encore ? En gros, de quoi ça parle ? Si vous n’avez pas eu la flemme de lire le résumé, vous le savez déjà mais une seule phrase pour rappeler ce que l’autrice avance dans ce livre très intéressant : les néolibéraux (ou néoconservateurs, au choix) utilisent des catastrophes de tout ordre (coups d’État, guerre, terrorisme, catastrophes naturelles…) pour imposer leur vision économique. Oui, car évidemment, on n’a pas trop envie de perdre son pouvoir d’achat, ses terres, son travail, pour le bien de… de qui en fait ? Ah oui, d’obscures personnes qui veulent s’enrichir plus que de raison.
Mais le tableau est en fait beaucoup plus sinistre que ça. Ce qui peut sembler assez curieux au premier abord, c’est que Naomi Klein aborde tout d’abord la « thérapie » exécutée avec des électrochocs par un psychiatre des années 40-50, un certain Ewen Cameron. (le genre de types que tu n’as pas envie de croiser dans ta vie) Ce dernier pensait qu’on pouvait guérir des gens malades psychologiquement en les « effaçant », en détruisant ce qui faisait d’eux des personnes à part entière, en faisant table rase pour pouvoir mieux reconstruire après, en utilisant des électrochocs. Le fameux lavage de cerveau, en somme. Je n’ai pas besoin d’en dire plus sur cette méthode, vous savez ô combien elle est inhumaine et douloureuse. Et malgré l’échec de sa théorie (les patients étaient juste brisés), elle n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd : la CIA rôdait pas loin, et même plutôt près à en juger par le financement des expériences de Cameron par l’organisation. Si elles mettaient donc en échec les souhaits du psychiatre, c’était une totale réussite pour la CIA : une nouvelle méthode de torture bien plus efficace que ce dont ils étaient déjà capables. (bien évidemment, ça ne s’arrête pas qu’aux électrochocs, mais on va garder les détails sordides pour votre lecture de ce livre)
Vous ne voyez pas le rapport, c’est normal, on y vient progressivement. Des petits rigolos, dont un certain Milton Friedman (encore un gars que t’as pas envie de fréquenter), étaient connus pour vouloir diffuser une doctrine très libérale : privatiser absolument tout, laisser le marché se réguler tout seul, le chômage se résorbera tout seul si on laisse faire les entreprises, c’est pour le bien de nos finances mais pas des vôtres et donc de tous, l’économie est vecteur de paix, Keynes c’est de la merde. Bref, vous avez compris le topo, et si ça vous rappelle quelque chose, c’est parce que c’est la pensée économique dominante, celle qui est propagée partout quasi-unanimement, sous peine de se voir traiter de communiste et de toute les horreurs qui ont accompagné leur histoire quand tu veux juste ajouter uneputaindenuance à ce bousier.
Mais leur doctrine libérale n’était pas très populaire à l’époque (je dirais même que c’est un euphémisme) et les démocraties ne leur permettaient clairement pas de pouvoir mettre leurs plans à exécution. J’ai déjà mentionné plus haut les raisons de cette impopularité, mais ils ont insisté et ont commencé progressivement avant de s’imposer plutôt brutalement. Ils ont d’abord commencé avec le Chili, en invitant des étudiants à l’université de Chicago, seul lieu où ils régnaient quasiment en maîtres. Une fois le bourrage de crâne réalisé, les étudiants chiliens provenant de cette école étaient appelés les Chicago Boys et sont retournés dans leur pays. Ils en ont rapidement conclu que leurs idées étaient impossibles à appliquer pacifiquement, surtout avec ce péquenot socialiste qui leur servait de président. (un scandale) Mais osef la morale, ils ont surtout provoqué un coup d’Etat des militaires, ayant vite compris que les gens étaient vraiment trop cons pour comprendre les bienfaits de leur doctrine et qu’il fallait leur imposer par la force. Je vous laisse deviner qu’Allende (le président de l’époque) ne s’en est pas sorti vivant. Pinochet (le fameux dictateur) a donc pris le pouvoir au début des années 70, première surprise de ma lecture, car si je savais que le Chili n’avait clairement pas été un Etat de droit pendant quelques décennies, je ne connaissais pas l’origine de tout ceci. Croyez-moi qu’avec ce livre, on se couche moins bête tous les soirs.
Après cela, s’en est suivi une période extrêmement sombre pour les Chiliens : tortures (avec les électrochocs, coucou), enlèvements, hausse très préoccupante de la pauvreté et du chômage, corruption galopante… Un vrai bonheur. La contamination s’est fait rapidement aux autres Etats du « cône sud ». Naomi Klein nous refait donc toute l’histoire de la fin du XXe siècle sans le prisme aveuglant de l’économie actuelle. D’autres pays ont d’ailleurs été touchés, comme la Pologne, les pays d’Asie du Sud-Est, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Irak, par des moyens tout aussi crades les uns que les autres. Provoquer des situations instables dans les pays qu’ils veulent conquérir ne leur fait pas peur, et je pense très fortement à la Russie, dont les pages consacrées à son sujet m’ont rappelé de manière troublante la lecture des témoignages recueillis par Svetlana Alexievitch dans La fin de l’homme rouge. Si vous pensez que le monde tourne rond avec notre économie actuelle, impossible que vous n’ayez pas des doutes sur la réalité à la lecture de ces deux livres. Concernant la Russie, je me suis sentie extraordinairement mal à l’aise, revisionnant dans ma tête les vécus de ces gens durant l’effondrement de l’URSS au fur et à mesure que l’autrice nous listait les faits, la coïncidence étant assez effrayante, l’opposition de styles rajoutant de l’effroi.
L’appellation « stratégie du choc » n’est pas usurpée : le principe est de plonger une population dans un état de choc qui change leur ordre de priorité (défendre leurs droits sociaux est remplacé par le besoin de se nourrir et de s’abriter décemment), et profiter de cette faiblesse pour attaquer les rénovations libérales qui ne seraient jamais passées si la population avait été dans des conditions normales. La guerre en Irak. Mais aussi le tsunami de 2004, au hasard. (une pensée pour le Sri Lanka) Évènement imprévisible cette fois-ci mais dont les riches sont friands. La stratégie du choc est directement inspirée de ce traitement aux électrochocs vanté par Ewen Cameron, comme on peut d’ailleurs le voir à l’extrême en Irak.
Bref, la violence est de mise dans l’application de cette doctrine, et s’ils ont commencé par les pays les plus pauvres avec les ressources les plus profitables, ça nous tombera forcément dessus. (la démocratie, c’est surfait) Les guerres et dictatures ne sont pas leur seul terreau, le terrorisme est une manne très importante pour eux, et aussi un élément plutôt imprévisible, mais qui l’est de moins en moins par sa fréquence : les catastrophes naturelles. On aura compris que l’écologie, rien à carrer, ils font déjà en sorte de pouvoir se protéger des conséquences pendant qu’on sera dans la mouise.
Et je crois ce qui est dit dans ce livre car, premièrement, ça m’a l’air très bien sourcé (une centaine de pages sur ses sources !), deuxièmement, c’est en lien direct avec des faits d’actualité qu’on connaît et il faudrait être de très grande mauvaise foi pour le nier, et troisièmement, ça m’a rappelé mes cours d’économie et mon observation de la réalité, qui rentrait souvent en contradiction avec les valeurs de l’économie libérale qu’on nous enseignait. L’homogénéité de cet apprentissage m’avait toujours paru curieux, sans que je ressente le besoin de m’y pencher un peu plus. J’avais tort dans tous les cas, l’économie telle qu’elle est est la vérité absolue. Apprends et tais-toi. Mon déficit de confiance en moi a pas mal joué dans ma non-remise en question de la chose.
Si ce fut effectivement le cas au lycée et durant mon année en BTS, des éclaircies ont eu lieu lors de mon périple à l’université. Une ou deux piques d’un de mes profs d’économie par-ci, le visionnage d’un film dénonçant les dérives du monde financier par-là, je sentais que quelque chose n’allait pas, et ils ont réussi à m’ouvrir un tout petit peu à la réflexion, quoique minime. On a aussi eu la chance d’avoir des cours sur la décroissance (pour des raisons personnels, je n’ai pas pu trop les suivre), ce qui doit rester assez rare je pense. Il ne faut pas négliger le fait que j’étais en plus dans une fac de gauche, voire d’extrême-gauche. Et le libéralisme avait déjà bien fait des dégâts car bon nombre de mes camarades de l’époque ne prenait pas ce prof au sérieux et le contestait sans cesse.
Et oui, le libéralisme serait la vision économique la plus rationnelle, et qui dit rationnelle dit intelligent, censé, au-dessus des autres théories (en particulier si elles sont de gauche). Et les libéraux ne manquent pas d’imagination, croyez-moi : si les situations étaient parfois sensiblement différentes d’un pays à l’autre et qu’ils devaient absolument adapter leur stratégie, leurs objectifs restaient les mêmes.
Au-delà de ce racontage de vie que nous n’aviez pas demandé, cet essai ouvre les yeux (peut-être un peu trop) sur ce qui nous entoure, nous a entouré, sur ce qui régit notre vie et celle des autres, sur notre passé, sur notre avenir (si j’étais déjà pessimiste, ce livre m’a fait devenir une vieille conne aigrie, et d’un autre côté, je suis optimiste sur nos possibilités pour leur casser la gueule).
L’autrice, sur un ton bien plus neutre que le mien (mais c’était pas compliqué), évoque les faits et nous incite, bien qu’indirectement, à la vigilance. Nous vivons peut-être pour la plupart dans un pays riche, mais rien ne dit que nos protections ne sauteront pas elles aussi un jour. (ça a déjà commencé, en fait) Ce livre nous permet de prendre conscience et de prendre du recul sur les évènements d’aujourd’hui. Ce fut un essai véritablement effrayant.
NB : si vous trouvez que le sarcasme est bien trop présent dans cette chronique, sachez juste qu’il n’atteindra jamais le niveau de cynisme de nos chers libéraux bien-aimés.
Excellente chronique ! Merci, belle analyse qui rejoint celle que mon mari a faite de cet essai. Le livre est toujours dans ma PAL, j’avais failli le sortir au moment des présidentielles cette année sachant que ce livre était en gros le programme complet d’un voire deux candidats. L’un des 2 a été élu j’ai perdu tout courage de l’entamer. Le système est prêt à s’effondrer, les 2 années qui viennent vont être décisives et ça va faire très mal…
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Il est donc temps pour toi de le lire… Ou au moins le dernier livre de l’autrice, « Dire non ne suffit plus » ? Je ne sais absolument pas s’il vaut le coup par contre.
Pourquoi deux ans ?
Ben moi, j’aurais bien aimé le lire avant les présidentielles…
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Ton avis donne vraiment envie de le lire! Je vais le rajouter à ma wishlist à l’instant! Dommage il arrive juste un peu trop tard pour l’avoir pour noël.
Est-ce que j’ose te demander où est-ce que tu as été à l’université? (pour le cas où j’aurai l’occasion d’y suivre des cours)
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J’espère qu’il te plaira ! (enfin… Façon de parler)
J’ai été au Mirail à Toulouse (ça s’appelle Jean Jaurès maintenant), je n’étais pas dans une filière exclusivement consacrée à l’éco, mais j’avais quelques cours.
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Ah, je suis à Paris, alors ça fait un petit peu loin 🙂
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En effet j’avais vu passer ce livre sur ton instagram. Super chronique en tous cas, avec une analyse très développée et agréable à lire (le sarcasme ne m’a pas dérangé, vu le sujet…).
Bravo, j’ai maintenant très envie de lire ce livre. Je suis déjà une convaincue sur l’état de l’actualité du monde et de notre pays, et du pouvoir de l’économie, mais avoir d’autres exemples et des sources me parait toujours mieux. Est ce qu’il est facile à lire ? je veux dire, est ce qu’on entre facilement, est ce que c’est un peu romancé ou c’est clairement un essai qui se lit petit à petit ?
En plus ça va continuer l’aperçu historique que j’ai eu du Chili avec le roman graphique « Là où se termine la terre. »
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Merci beaucoup ! J’ai pas l’impression d’avoir tant analysé que ça et plutôt balancer ma bile… xD
C’est un essai à lire petit à petit, j’en lisais quelques morceaux par-ci par-là. Au niveau de l’écriture, aucun problème, c’est très fluide, mais la mine d’informations est assez dense, c’est ça qui est lourd à lire.
Ooh, peut-être, oui !
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Merci pour ta réponse 🙂 Je pense que je vais me le procurer du coup mais qu’il risque de rester un petit moment dans ma PAL. Mais il a l’air très intéressant !
Disons qu’en crachant ta bile tu développes d’autres choses sur le sujet, en plus que sur le livre lui même, et c’est chouette ça donne encore plus envie ^^
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Aha, j’ai bien cru qu’il allait y rester un moment aussi. En espérant qu’il te plaira 🙂
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Ta chronique est top ! J’ajoute le livre à ma wishlist 🙂
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En espérant qu’il te plaira ! (si t’as pas peur des essais-briques 😀 )
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Ahlala j’ai adoré ta chronique ! Tellement enrichissante ! Quand tu en avais parlé sur instagram j’avais déjà très envie de le lire alors maintenant encore plus. Bon j’ai peur de pleurer toutes les larmes de mon corps mais bon haha.
PS : J’aime ton sarcasme.
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Merci ! J’avoue que les extraits font vraiment froid dans le dos…
PS : C’est positif alors, merci 😀
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Super chronique, ça fait vraiment froid dans le dos mais j’ai l’impression que c’est en marche même en France. Pas besoin de guerre, il suffit juste de voir notre gouvernement. Par contre ce que tu dis sur l’URSS m’intrigue, en dernier ils avaient tout de même beaucoup de capitalistes, bon Poutine les a apparemment évincé mais il en a remis d’autres.
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Merci ! « En marche »… Tu sais comment faire des jeux de mots justes. 😛
Pour l’URSS, il faut dire qu’il y en a beaucoup qui se sont découverts capitalistes au début des années 90 et que le seul « avantage » qu’ils ont réussi à avoir, c’est garder les ressources de Russie au sein de mains russes… Les Américains étaient un peu blasés. Poutine installe juste ses potes au gré du vent.
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