Le silence (forcé) des femmes dans deux livres de Rebbeca Solnit – les livres féministes #17

Non, ce n’est pas le titre du livre dont je vais vous parler – ou plutôt, des deux livres que je vais vous présenter. Rebbeca Solnit est surtout connu pour son livre de recueils d’articles (souvent publié dans le Harper’s Magazine) Ces hommes qui m’expliquent la vie mais un nouveau est sorti, La mère de toutes les questions. Ce sont ces deux-là que nous regarderons de plus près dans cet article.

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On va commencer par Ces hommes qui m’expliquent la vie. Naïve (j’avais pourtant lu l’avis de Flo lectrice !), je pensais que la majorité de son livre serait basé sur ce qu’on appelle le mansplaining (quand un homme nous explique un sujet qu’on connaît mieux que lui, souvent avec condescendance). Mais c’est une erreur : cela semble même plutôt futile comparé au reste de ce qui est abordé. Mais pas tant que ça : on verra que le mansplaining n’est finalement qu’une continuité logique du pire et qu’il sous-tend les autres violences faîtes au genre féminin.

ces-hommes-qui-m'expliquent-la-vie-coverMais ce premier article, qui en dit déjà assez long, n’est qu’un leurre. La suite se révèle beaucoup moins « joyeuse » (ça ne l’était déjà pas). L’autrice nous parle aussi des violences physiques que nous subissons en tant que femmes (féminicides, viols…) et comment le silence sur ces sujets nous est imposé. Les lois sont du côté des hommes, surtout des violeurs. L’autrice a récolté énormément de statistiques, de faits qui sont vérifiables (même si essentiellement américains) comme ce qui s’est passé à Steubenville (un viol collectif dans un lycée perpétré par des mecs sportifs « prometteurs ») ou encore l’affaire DSK (qui aurait violé une femme de chambre dans un hôtel).

Elle rappelle que cette tendance à imposer le silence aux femmes, à ce qu’elles ne soient pas crues, se retrouve dans la Grèce antique même. Il ne s’agit pas de l’histoire de Télémaque qui intime à sa mère de se taire, mais de celle de Cassandre, maudite par un dieu (parce qu’elle n’a pas voulu coucher avec lui, cette histoire est encore très contemporaine…), qui voit l’avenir mais est condamnée à ne pas être crue malgré tout quand elle parle des catastrophes qui vont advenir. (dans cette histoire, j’ai quand même envie de dire aux hommes qu’ils se sont eux-mêmes tirés une balle dans le pied…)

Mais les femmes essaient de changer les choses et même si c’est laborieux et affreusement lent, elles prennent tout de même de plus en plus la parole, même si c’est risqué, à travers des hashtags, notamment #YesAllWomen (qui contrebalance le #NotAllMen que nous sommes beaucoup à tourner en ridicule d’ailleurs). Grâce à des hashtags dédiés sur les réseaux sociaux, elles racontent leur expérience de sexisme, de violence misogyne. Rebecca Solnit raconte cette évolution positive, tout en repartant d’un début peu folichon (il y avait et il y a toujours du travail, on l’a vu avec Anita Hill dans le début des années 90).

Le livre se termine par un article qui donne force et espoir, en particulier avec cette citation :

Ce qui ne retourne pas dans la boîte [de Pandore] ou la jarre, ce sont les idées. Et les révolutions commencent, pour la plupart avec des idées. Vous pouvez restreindre les droits reproductifs comme les conservateurs l’ont fait dans la plupart des États de l’Union, mais impossible de convaincre les femmes qu’elles ne devraient pas être maîtresses de leur corps.

Le capitalisme finit par en prendre pour son grade aussi, ça fait plaisir. Le système qui prétend nous libérer nous emprisonne en réalité. Il y a eu aussi, vers le milieu du recueil, un article sur Virginia Woolf, mais j’avoue y avoir été un peu hermétique.

la-mère-de-toutes-les-questions-coverLe deuxième livre, La mère de toutes les questions, est un peu plus brouillon, dans le sens où il reprend les thématiques du livre précédent dans ce qui semble parfois un fourre-tout. S’il est aussi intéressant, je ne le trouve pas indispensable, bien qu’il y ait aussi quelques pépites.

Rebecca Solnit va ainsi parler de la différence entre le silence imposé et le silence choisi, et des conséquences du premier (une mort symbolique) dans son premier article. D’ailleurs, ce sera le sujet de son livre :

Ce livre traite des sous-espèces de silence et le bâillonnement spécifiques aux femmes, si quelque chose peut être plus spécifique à plus de la moitié de l’humanité.

Dans le chapitre d’après, il sera question de ce qu’elle considère comme une année d’insurrection féministe (2014) et montrera une nouvelle fois comment les hommes se sont sentis tout permis jusqu’à ces dernières années en raison du silence qui nous étaient infligé, et comment est-ce que certaines choses commencent à bouger/changer.

Elle consacrera aussi un article sur les hommes alliés de la cause féministe, sur une possible réglementation du port d’armes qui pourraient changer la donne, et pas que pour les femmes, et le danger et la signification des blagues sur le viol, entre autres sujets.

L’article qui m’a interpellé, il ne plairait pas à beaucoup de chroniqueurs littéraires je pense. Dans les top 100 (80 ou 50, peu importe) des livres qu’on devrait lire dans toute notre vie, se trouve une majorité d’hommes (voire que des hommes d’ailleurs). Et que dire des livres qu’une femme ne doit absolument pas lire ? Oui, doit-on se faire mal à lire des livres qui parlent mal des femmes, qui en donnent une image assez négative, voire dégradante ? Sans compter que la vision du masculin est assez réduite, ce qui est dur pour les femmes comme pour les hommes.

Ernest Hemingway et Philip Roth ne vous sont pas recommandés (je confirme pour le dernier, déso pas déso pour les fans). L’article suivant raconte comment des hommes essaient de nous expliquer Lolita de Nabokov (alors que c’est clairement à eux qu’il faudrait expliquer quelque chose…) alors que la violence dans ce livre se trouve répliqué dans la vie réelle. Elle dit des noms d’écrivains qui, s’ils n’ont pas été parfaits dans la vraie vie, ont respectés leurs personnages féminins dans leur œuvres : Dickens, Hardy… Tolstoï ?!? Ah non non, on arrête tout, je ne peux pas supporter cet aveuglement. (ou alors, elle n’a pas lu Guerre et Paix)

Bref, malgré notre désaccord, c’est un article qui fait mal au cœur. D’ailleurs dans les deux livres, beaucoup de choses me nouent l’estomac. Rebecca Solnit a certes une écriture fluide mais elle s’exprime tellement bien que certaines phrases m’ont foutu un coup de poing dans le ventre. J’étais déjà au courant de pas mal de faits mais la façon dont l’autrice s’exprime a réveillé la façon dont cela pouvait encore me blesser. Elle dit les choses avec une franchise qui me touche. A chaque fois que je lis un livre de ce genre, je me sens mal mais je me sens surtout moins seule.

Je le conseillerai à certaines… mais pas à toutes. Pas dans le sens où ces livres ne sont pas bien, au contraire, mais ils racontent des choses qui sont vues et revues si vous avez pas mal exploré le féminisme. Sinon, vous pouvez y aller.

J’ai un autre avertissement : on parle beaucoup de violence dans ces essais, et particulièrement de viols. Si vous êtes sensibles à ces sujets, je vous conseille soit de prendre votre temps, soit de ne pas les lire, tout simplement.

Ce que j’ai pu dire dans les dernières lignes peut sembler sévère mais en réalité, je ne dénigre pas ces recueils. J’ai apprécié les lire, je suis juste un peu franche ici mais je ne les enfonce pas. Ils ne sont pas indispensables pour certaines mais ils ont très clairement leurs qualités aussi.

9 réflexions sur “Le silence (forcé) des femmes dans deux livres de Rebbeca Solnit – les livres féministes #17

  1. Félicitations pour ce billet que j’ai eu la flemme d’écrire. Et j’avoue avoir lâchement laissé tomber La mère… à cause des redites. Peut-être aussi que la publication en recueils d’articles publiés indépendamment les uns des autres, c’est-à-dire non lus à la suite, n’est pas une bonne idée, du moins pas sur deux livres (ou il aurait fallu faire une sélection différentes).
    Mais je te rejoins pour dire que le style (et la traduction de Céline Leroy) est fluide et je trouve le propos très accessible. A recommander à celles et ceux qui ont peu lu sur le sujet comme tu l’indiques.

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    • En fait, pour « La mère de toutes les questions », t’as sélectionné les articles qui t’intéressais, non ?
      C’est vrai que ces articles sont un peu redondants à force, mais ils sont très pertinents pour des personnes moins aguerries que nous.

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      • J’ai lu le gros pavé du début et ensuite j’ai papillonné mais l’impression générale reste celle d’un « bis ». Encore une fois, je pense que regrouper des articles indépendants dans un livre oui, dans deux, si le thème général reste le même, ça peut lasser.

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  2. Comme tu le dis clairement : « on se sent moins seule ». Et rien que pour ça ce genre de livre est important.
    Moi je suis toujours estomaquée quand je parle durant une soirée, on me coupe facilement voir on ne m’écoute pas. Alors que mon mari peut dire la même chose et là c’est compréhensible ! Avec le temps j’ai évolué et les mouvements de ces dernières années y sont pour beaucoup. j’ai pris conscience que la société imposait mon silence et que j’étais parfaitement consentante. Dramatique ! et surtout un énorme choc.
    vive ce genre de livres!

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      • Malheureusement pas encore. j’ai l’impression d’être transparente et ça m’énerve plus qu’autre chose donc ce ne serait pas très productif en réagissant sous la colère.
        Parfois j’avoue gueuler plus fort pour que l’on m’écoute et ça marche. Pareil quand je dis : « hey je parle là ! ». En fait je crois qu’il faut être rentre dedans. En tant que femme on a tendance à ne pas vouloir élever la voix parce que l’on nous a éduqué comme cela. Mais quand tu regardes tu t’aperçois vite que les mecs communiquent comme ça… alors pourquoi s’en priver.
        En plus je trouve ça amusant parce qu’ils n’ont pas l’habitude de ça.
        Cependant cette tactique est délicate à mettre en place quand tu es dans une conversation plus pro ou avec des personnes que tu ne connais pas et surtout avec des hommes de plus de 50 ans. Là je trouve que dans le regard de ces hommes c’est du véritable dédain, du genre : « t’es rien qu’une femme, t’as rien à dire ». Là je n’ai pas encore réussi à sortir de ma carapace.

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      • Je constate la même chose que toi, même si je l’ai fait très rarement, gueuler plus fort, ça marche, c’est malheureux je trouve :/ En fait, c’est comment tu communiques plus que ce que tu communiques qui compte… (il y a de multiples exemples de mecs beaufs qu’on pourrait donner, mais on va m’accuser d’atteindre le point Trump… Oups)
        Oui, en effet, c’est plus difficile dans les cas que tu cites. Avec les mecs plus âgés, j’ai abandonné ! S’ils ne te font pas comprendre que tu n’es pas à ta place, au pire ils gueulent plus fort, mes oreilles n’ont pas à subir une telle torture.

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    • Je n’ai pas lu tout l’article mais le livre dont tu parles me paraît plus complet sur le sujet, dans le sens où la littérature ne représente qu’une petite partie (intéressante) des livres de Rebecca Solnit. Comme ce sont des séries d’articles, il doit y avoir deux-trois articles sur le sujet. Je pense que si tu veux lire spécifiquement sur ce sujet, il vaut mieux lire le livre dont tu me parles. Ceux de Rebecca Solnit sont intéressants mais restent assez basiques quand tu t’intéresses au féminisme et à ses problématiques. En tout cas, merci d’avoir parler de ce livre, je ne connaissais pas !

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