(la philosophe, pas celle qui a défendu la loi sur l’IVG)
Si vous êtes sur le blog depuis assez longtemps, vous savez mon engouement pour le livre La Condition ouvrière de cette autrice. Depuis, je me suis dit que je voulais lire plus de choses d’elle.
J’ai commencé petit avec 5 textes (les livres ne dépassent pas 80 pages chacun, à l’exception d’un qui en fait une petite centaine) sur des thématiques différentes, que ce soit la liberté, le travail, la politique, le colonialisme ou un thème plus philosophique que les autres et que vous découvrirez après.
Je tiens à tous vous les présenter si jamais ça vous intéresse de découvrir Simone Weil sans passer par un plus gros livre. Allez, c’est parti !
Né pour la liberté
Un homme serait complètement esclave si tous ces gestes procédaient d’une autre source que sa pensée, à savoir ou bien les réactions irraisonnées du corps, ou bien la pensée d’autrui ; […]
C’était ma première lecture parmi mes cinq livres car je pensais commencer par celui qui avait l’air le moins intéressant, avec le sujet le plus classique et ennuyeux. Quelle erreur ! Ce texte s’est révélé bien plus intéressant que ce que je ne pensais.
Vous avez déjà eu un aperçu avec la citation : pour qu’un humain soit libre, il faut qu’il ait accès à sa pensée. Et si possible sans influence extérieure qui voudrait le manipuler… lui, son esprit et son corps. On ne peut être libre asservi par un autre humain, par son propre corps, ou sous les ordres de quelqu’un. C’est intéressant car ça remet en question le fonctionnement même de nos sociétés. A quelques exceptions près, personne n’est libre. Et même ceux qui sont au-dessus de nous ne le sont pas car ils n’obéissent pas à leur côté rationnel mais à leurs émotions : c’est cela qui les guide principalement. D’ailleurs, on ne peut non plus être libre si on est mené par nos émotions.
Un texte qui m’a fait réfléchir plus que je ne l’espérais. C’est un peu désespérant de voir le travail abyssal à faire pour être libre…
Conditions premières d’un travail non servile
L’unité de temps est alors la journée. Dans cet espace on tourne en rond. On y oscille entre le travail et le repos comme une balle qui serait renvoyée d’un mur à l’autre. On travaille seulement parce qu’on a besoin de manger. Mais on mange pour pouvoir continuer à travailler. Et de nouveau on travaille pour manger.
Je crois que le titre de ce texte est encore plus parlant que le premier. Dedans, Simone Weil va nous y parler de ce qu’on appelle aujourd’hui ‘travail’ et de ce qu’il fait aux humains.
Il y a des conditions pour supporter le travail de l’époque – et actuel -, c’est le petit temps de repos accordé que la philosophe compare à un stupéfiant. Les stupéfiants sont prisés par les gens qui souffrent pour se soulager… Voilà, voilà. En fait, impossible de ne pas relier ce texte au livre dont je vous ai parlé avant : on ne peut être libre sans pouvoir bénéficier de sa pensée comme on l’entend, et s’il y a bien un travail où c’est impossible, c’est le travail en usine. C’est même carrément un attentat à l’esprit de ces personnes. Et l’argent seul ne peut être une compensation valable pour cette souffrance.
L’autrice était croyante et ça se sent dans certaines de ses réflexions. A vous de voir si cela vous gêne ou non.
Un deuxième texte est publié dans cet ouvrage, intitulée Expérience de la vie d’usine. Simone Weil y partage son expérience et ses conclusions de quand elle a travaillé dans des usines pour vivre la vie d’ouvrière. Là aussi, comme dans le premier, elle fait remarquer que le temps est un outil et un ennemi terrible.
La Personne et le sacré
Il y a depuis la petite enfance jusqu’à la tombe, au fond du coeur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l’expérience des crimes commis, soufferts et observés, s’attend invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain.
Le bien est la seule source du sacré. Il n’y a de sacré que le bien et ce qui est relatif au bien.
Voici le texte où je me suis retrouvée un peu bête. Vous voyez les mots « bien », « vérité », « beauté » ? Rajoutez-y aussi des majuscules car Simone Weil entend ces mots dans un sens métaphysique, qui m’a échappé car j’ai l’habitude de réfléchir de façon rationnelle (un peu trop parfois ?). Notre expérience dans ce monde nous fournit des clés, mais là, on va au-delà (merci à la personne qui se reconnaîtra de m’avoir remis sur le droit chemin).
La philosophe exècre clairement notre utilisation du langage et de notre définition de ce qu’on appelle une personne. Seul l’être tout entier compte vraiment. Baser ses lois sur les droits d’une personne, c’est être dans l’erreur. Ça paraît flou ? Vous avez cru que j’avais été exhaustive avant ? Ben là, ce sera encore pire.
J’ai essayé d’être concise avant, ce qui ne rend pas justice à ces livres, et encore moins à celui-là. Sachez juste que ses réflexions, même si on n’est pas toujours d’accord avec elle, sont porteuses de justesse, de sévérité et de bonté. Elle admire le Christ, ben je la trouve assez proche de lui sur certains points…
Note sur la suppression générale des partis politiques
Mais il faut d’abord reconnaître quel est le critère du bien.
Ce ne peut être que la vérité, la justice, et, en second lieu, l’utilité publique.
La démocratie, le pouvoir du plus grand nombre, ne sont pas des biens. Ce sont des moyens en vue du bien, estimés efficaces à tort ou à raison. Si la République de Weimar, au lieu de Hitler, avait décidé par les voies les plus rigoureusement parlementaires et légales de mettre les Juifs dans des camps de concentration et de les torturer avec raffinement jusqu’à la mort, les tortures n’auraient pas eu un atome de légitimité de plus qu’elles n’ont maintenant. Or pareille chose n’est nullement inconcevable.
Seul ce qui est juste est légitime. Le crime et le mensonge ne le sont en aucun cas.
En voilà un dont le titre va en faire grogner plus d’un. Mais il n’y a pas que le titre… Le contenu même est implacable.
Pour commencer simplement mais clairement, les partis politiques ne sont pas là pour le bien commun. Ils sont là surtout pour eux-mêmes et leurs intérêts : pour leur croissance (à laquelle aucune limite n’est fixée), de forcer leurs réflexions sur la pensée des autres et par là, de déclencher la passion collective. Cette dernière est une mauvaise chose car le seul moyen de réfléchir posément, c’est d’être seul, et être en groupe ne le permet pas, exacerbe la pensée automatique et facile.
Un homme qui tient à rester, lui et ses réflexions, indépendant, ne le peut pas dans un parti politique. Un parti politique a ses idées et celles des membres doivent être calquées dessus, ne doit pas en dériver, sous peine d’être viré du parti, d’être isolé socialement. Un parti politique est donc totalitaire et ne peut être utile à la démocratie qu’il prétend servir.
Contre le colonialisme
Il s’agit toujours de savoir, là où il y a oppression, qui met au coeur des opprimés l’amertume, la rancune, la révolte, le désespoir. Est-ce que ce sont ceux des opprimés qui, les premiers, osent dire qu’ils souffrent, et qu’ils souffrent injustement ? Ou est-ce que ce sont les oppresseurs eux-mêmes, du seul fait qu’ils oppriment ?
Ce livre est à part. Il s’agit d’un recueil de textes sur le colonialisme, les politiques de l’État vis-à-vis de ce sujet, etc.
Je ne sais pas si elle était beaucoup écoutée à l’époque (elle n’était sûrement pas la seule..) mais elle ne mâche pas ses mots en tout cas. Elle relève que la distance géographique amenuise l’indignation (mais si vous voulez mon avis, ce n’est pas que la distance…) et manie l’ironie de manière frappante. Elle rappelle que le combat des colonisés est légitime… tout en rappelant que les protestations des colons ne le sont pas.
Elle pointe aussi du doigt l’hypocrisie de la gauche, de leur agenda politique opportuniste, alors que dans ses autres livres, elle dit que seul faire le bien est juste. Le fait qu’ils croient qu’être opprimé sous la gauche, c’est mieux que sous la droite, est tout bonnement insupportable.
Je suis trèèès loin d’avoir juste dit ce que Simone Weil raconte dans ses textes. Ça fourmille tellement d’intelligence et de justesse que je ne risque pas de résumer correctement en quelques lignes l’intensité de sa réflexion.
J’espère au moins ne pas avoir commis d’erreurs. Si vous voulez un autre aperçu de ses idées et que vous avez Instagram, vous pouvez aller voir ma story en une sur Simone Weil, vous y trouverez des extraits de ses livres.
Je souhaite au moins que ça vous donne envie d’attaquer par ces livres. La Condition ouvrière peut impressionner (pour de fausses raisons) mais ces textes-là sont très accessibles. Après, ça reste de la philo, donc ne croyez pas que votre lecture sera fluide. Vous ferez sûrement des pauses pour réfléchir.
Mais quelle réflexion ! Autant de bonté, de volonté, de pertinence, de vérité, de sincérité, il y en a pas beaucoup qui en font preuve.