Backlash, de Susan Faludi – les livres féministes #22

Ce livre est très connu, au moins de nom, dans la sphère féministe. Il a été publié en 1991, donc il peut paraître daté. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Malheureusement pour les femmes, si, en effet, les stratégies décrites ont eu des conséquences qui peuvent sembler extrêmes par rapport à aujourd’hui, j’ai eu parfois malheureusement l’impression qu’on nous tendait un miroir.

Susan Faludi est une féministe américaine, c’est donc aux Etats-Unis que ses recherches et sa démonstration ont lieu. Inutile donc de faire un parallèle avec la France, même s’il y a des similarités, d’où mon impression que peu de choses ont réellement changé.

Tout d’abord, il faut le dire : ce livre est extrêmement fourni. Plus d’une centaine de pages de sources. Difficile de trouver des faits qui remettent en question les siens, elle parle de quelques-uns et je ne doute pas qu’elle en a plein d’autres à nous soumettre si on le désire (ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas avec l’anecdote d’une femme à qui vous avez dû payer le resto que vous allez prouver quoi que ce soit). Les chiffres qu’elle donne sont implacables, elle ne donne pas n’importe quelle source de n’importe quel média. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas nos alliés, comme elle le montrera… On en reparlera.

Tout d’abord, dans l’introduction, elle va partir du fait que le féminisme, dans les années 80 (souvenez-vous de la date de publication de l’essai), est descendu en flèche et accusé de tous les maux. Un net recul des droits des femmes sera démontré. Pas difficile, vu que les politiques, les entreprises, certains médecins et les médias de tout poil sont contre les femmes. Mais on nous disait aussi qu’à l’époque, les féministes avaient gagné. Vraiment ? (personnellement, je ne vois rien) Tout ceci dans le but de nous faire taire, de diminuer la vigilance des femmes… et de pouvoir appliquer la revanche. Le fameux « backlash« .

La première partie s’appelle « Mythes et histoire ». Notez bien : on nous a dit que le féminisme avait gagné, ce qui est faux. Mais que celui-ci a rendu les femmes malheureuses à vouloir les rendre indépendantes, alors que leur vraie place naturelle est au foyer (quand on connaît un peu l’histoire des femmes, on sait que ce sont des conneries). Les femmes, dans leur quête d’égalité, rendrait aussi les hommes malheureux. Il est bon de se demander pourquoi et surtout, d’arrêter de dire que les femmes piquent le travail des hommes. Le contraire : celles-ci ont les boulots les plus ingrats et les plus mal payés, souvent ceux que les hommes refusent. Tiens donc, la situation n’a pas changé, même si les femmes blanches sont mieux loties aujourd’hui (en étant racistes). Susan Faludi va s’attacher à démonter une partie de ces arguments ineptes et mensongers.

L’autrice est lucide sur le fait que cette revanche n’est pas liée à l’époque ni au lieu.

Cette façon de susciter l’espoir des femmes pour mieux les anéantir n’est propre ni à l’histoire américaine, ni à l’époque moderne. D’autres formes de revanche ont frappé les femmes en tous temps et en tous lieux, pour riposter à des victoires bien minces, voire au simple pressentiment d’une avancée. Les lois qui ont restreint la propriété et frappé les femmes célibataires ou sans enfants dans la Rome antique, les jugements d’hérésie contre les premières disciples des Églises chrétiennes, les innombrables bûchers sur lesquels l’Europe du Moyen-Âge a brûlé les sorcières en témoignent.

On enchaîne avec la deuxième partie, « La revanche dans la culture de masse ». C’est la plus longue et clairement, elle m’a aussi démontré (même si ce n’était pas l’objectif de l’autrice à l’époque) que certaines choses n’avaient pas évolué tant que ça aujourd’hui.

Dans chaque sous-partie, Susan Faludi va se concentrer sur un domaine en particulier : la revanche médiatique, la revanche cinématographique, la revanche cathodique (celle de la télé, si vous préférez), la revanche vestimentaire et celle esthétique. Si on prend les trois premières revanches, ce sont les plus rageantes car de base, on pourrait croire que ces domaines ne sont pas faits pour être utilisés, consciemment ou inconsciemment, les intérêts des réactionnaires qui voudraient nous renvoyer à la maison. Que ce ne sont pas les alliés des riches qui profitent du patriarcat et des misogynes. Et pourtant…

Quant aux deux autres, si on se rend bien compte du danger que peuvent amener les idées véhiculées par ces médias pour les médias, on en a carrément des conséquences physiques dans les domaines vestimentaire et esthétique. Ça en est effrayant et personnellement, ça m’a mis très en colère. Pas que je ne me doutais pas déjà de tout ça (surtout que, comme je l’ai dit plus tôt, certaines choses sont encore d’actualité, de manière différente et en même temps similaire) mais l’hypocrisie, le culot, l’indifférence étaient dix fois plus forts durant la décennie des années 80 envers ce qui pouvait arriver aux femmes. L’autrice, je le signale une nouvelle fois, a des tas de preuves, d’anecdotes, qui ne laissent aucune place au doute. J’ai eu envie de pleurer pour ces femmes victimes de la misogynie.

Misogynie assumée… mais pas complètement. Il est souvent question de dire qu’on n’est pas contre les droits des femmes tout en les combattant. Ce sera encore plus flagrant dans la troisième partie.

Celle-ci s’intitule « Aux origines de la réaction – les agitateurs et les idéologues de la revanche ». Dans cette partie, il s’agit pour l’autrice de montrer que cette revanche a aussi lieu dans les sphères politiques et que les tenants de ces représailles sont sans pitié.

Tout a commencé à l’élection de Ronald Reagan comme président des États-Unis en 1981. Bien sûr, d’autres attaques ont eu lieu auparavant, mais au niveau politique, elles ont surtout pu atteindre une certaine férocité grâce à l’avènement de cet homme au plus haut poste du pays. Ce qu’on appelle la nouvelle droite est foncièrement réactionnaire et contre les droits des femmes. Ils ont le profond soutien du président et Ronald Reagan a aussi le leur. Belle alliance pour faire chier le monde, et en particulier les femmes.

Créer des lois restrictives contre l’avortement dans les États, raconter des mensonges sur les féministes en les accusant de malhonnêteté et d’empêcheuses de tourner en rond (dire qu’elles sont partout et ont le pouvoir, entre autres), les licencier de postes politiques pour des raisons non ou mal justifiées… L’imagination ne manquait pas à l’époque. Ni leur immense marge de manœuvre. Surtout avec les chrétiens évangéliques dans le coin.

J’ai dû faire une grosse pause à un passage, qui a duré plusieurs jours. Tout dépend de votre sensibilité, cela découle aussi du sujet… Personnellement, lire des choses sur les femmes antiféministes, ça m’a bien secoué. Il y en a encore à l’heure actuelle, je ne suis pas naïve (tout de suite, là, j’ai deux noms français qui me viennent en tête, de deux générations différentes) mais qu’est-ce que ça peut porter sur les nerfs ! Celles qui sont sensées être nos alliées naturelles nous combattent. Si ça ne vous fout pas au moins le seum…

Que les hommes veuillent en utiliser pour mieux nous contrer, ce n’est pas surprenant de leur part. Et elles, qu’est-ce qu’elles y trouvent ? Il y a des limites à leurs croyances tout de même… Je confirme : c’est leur égoïsme qui les guide. Elles font des conférences, des discours, écrivent des livres, participent parfois, quand elles sont encore en place, à l’élaboration de projets de lois pour « aider » les femmes à revenir chez elles, là où est leur vraie place, selon elles. Les femmes devraient être douces, silencieuses, faire le ménage, la cuisine, et s’occuper des enfants. Mais qu’en est-il pour elles ? Elles travaillent d’arrache-pied, font garder leurs enfants en crèche (ces « antres du diable »), partagent les tâches domestiques avec leur conjoint, elles voyagent beaucoup d’un coin à l’autre du pays… Elles sont parfois détestées pour ça par certains hommes de la nouvelle droite. Quel est leur intérêt dans tout ça ? Elles profitent des acquis féministes tout en voulant les détruire, n’est-ce pas contradictoire ?

Mais elles adorent cette vie. Elles disent elles-mêmes qu’elles détesteraient vivre la vie qu’elles préconisent aux autres femmes. Mais elles sont égoïstes, ambitieuses, carriéristes au mauvais sens du terme. Elles ont compris que si elles voulaient mener une vie pareille, il fallait qu’elles s’allient avec les hommes pour enfoncer la tête sous l’eau des autres femmes et être tranquilles de leur côté. Comme le dit Susan Faludi dans son livre :

Et c’est ainsi qu’elles ont « tout ». En refusant les mêmes chances aux autres femmes.

Il y aura des limites à ma sororité, je vous le dis.

Dans la quatrième et dernière partie, « Les conséquences de la revanche sur le psychisme, le travail et le corps des femmes », la vie quotidienne des femmes sous le feu du backlash est affreuse.

Je pense que le titre de ce chapitre en dit assez long. Le psychisme : nous sommes folles, hystériques, le féminisme nous rend dépressives (en fait, c’est plutôt la résistance des hommes face aux acquis des femmes qui mène à la dépression, mais bref…), les femmes aiment souffrir, les agressions physiques et psychiques n’ont que des causes individuelles et non pas sociales (tiens tiens tiens, ce discours n’a pas changé d’un iota en 2020). Le travail : nous sommes des connasses qui volons le travail des hommes, ce qui justifierait le harcèlement des collègues hommes, le sabotage du travail des femmes, leur licenciement, etc. Certaines devront même se faire stériliser (!!!) pour garder leur emploi (et parfois ne même pas le garder à la fin – véridique !). Le corps, c’est vague, mais je pense que vous avez deviné : nous parlons bien évidemment de la procréation. De l’avortement. Si vous connaissez déjà un peu le sujet de la situation aux États-Unis, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin (les autres, bon courage).

L’épilogue de Susan Faludi est magnifique. Franchement, ce livre est désespérant – la vérité est désespérante. Elle liste les défauts des mouvements féministes de l’époque mais c’est pour mieux appeler à ce que les femmes s’unissent. Les hommes ont vite compris notre potentiel mais pas nous. De plus, malgré le matraquage médiatique, les injonctions, les femmes continuent à préférer des modèles forts, indépendants (bien essayé, les gars). Bien que l’autrice ne soit pas particulièrement optimiste, je trouve que son épilogue donne une forme d’espoir, malgré les combats éreintants qui nous attendent encore (et je confirme, elle l’a sans doute vu elle-même, que les années 90 n’ont pas été la « décennie des femmes ») et la volonté de fer des antiféministes de nous écraser et de briser tout souhait de résistance.

Cet essai a été éprouvant à lire. Pas parce que c’était nul, au contraire, Susan Faludi a fait un travail magistral, bravo à elle. Mais parce qu’il est frappant que de voir que dans tous les domaines mentionnés, qui font partie de notre vie de tous les jours, nous avons des ennemis. Et qu’une femme au pouvoir ne signifie pas qu’elle est nécessairement une alliée. C’était Maugrey dans Harry Potter (la réééf) qui disait « Vigilance constante ». C’est tout à fait ça. Surveiller tout, tout le temps. C’est fatigant, mais il s’agit de nos droits.

Quant aux antiféministes, on va voir ce qu’ils peuvent faire (réponse : rien) face à la démonstration implacable de l’autrice. Face à ses raisonnements, face au foisonnement de faits et d’exemples. J’ai eu envie de pleurer de désespoir, la frustration m’a mis dans une colère sourde. Mais on est plus fortes que ça. Ce livre féministe ne serait pas nécessairement obligatoire vu l’époque selon certains mais ce serait se tromper aussi. Cet essai nous rappelle tout ce que nos ancêtres ont traversé et le travail énorme qu’il nous reste à accomplir. Il donne des armes pour contrer celles et ceux qui disent que le féminisme, « c’était mieux avant ». Il est porteur de frustrations mais finit tout de même sur un refus de la résignation. Susan Faludi ne cache pas que ce sera dur. Mais, en lisant son épilogue, vous en sortirez motivées.

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