
Ce livre a bien fait d’être construit sur la base de plusieurs textes écrits par différentes femmes. Il n’aurait pas pu en être autrement si les personnes qui ont proposé le projet voulaient un rendu juste. Une seule personne n’aurait pas pu expliquer à elle toute seule le concept de sororité. On n’est pas toutes d’accord là-dessus, alors on lui aurait sûrement dit « Tu te prends pour qui, toi, à dire que c’est ça et pas autrement ? ». On l’aurait sûrement mal pris, heureusement que c’est un livre écrit par plusieurs mains.
Liberté, égalité, sororité !
Vous avez remarqué le mot qui est remplacé par « sororité » ? On connaît tou·te·s la devise française, à moins que certain·e·s lecteur·rice·s ne soient pas de France : Liberté, Égalité, Fraternité. On entend cette devise depuis au moins l’école primaire. La partie pseudo-neutre mais qui est en réalité masculine (on connaît déjà ça dans le langage), c’est la fraternité. C’est la définition toute simple d’un lien affectif plutôt fort entre frères (et sœurs, théoriquement), et plus largement entre personnes liées par des valeurs et une passion commune, et la définition est encore plus élargie par notre République. Dans ce dernier cas, il s’agit de tou·te·s nous lier sur le point commun de faire partie de l’État français.
Bien évidemment, ce n’est pas aussi simple : il ne suffit pas d’être français dans les faits pour avoir droit à cette solidarité. Le patriarcat est là pour nous rappeler que, dans beaucoup de circonstances, on vaut moins que les hommes. Paye ta fraternité, elle ne les concerne en réalité qu’eux (on le voit avec les boys’ clubs). La sororité est son pendant féminin et elle peut aider les femmes à s’allier au lieu de rentrer en compétition comme on nous a toujours appris à le faire. La sororité est profondément féministe. Cette dernière permet de s’allier contre le patriarcat. Ceci dit, ce n’est pas aussi simple qu’on veut nous le vendre.
Les textes sont écrits par Juliette Armanet, Lauren Bastide, Iris Brey, Estelle-Sarah Bulle, Rébecca Chaillon, Jeanne Cherhal, Alice Coffin, Camille Froidevaux-Metterie, Kiyémis, Lola Lafon, Fatima Ouassak, Ovidie, Lydie Salvaire et Maboula Soumahoro (ce n’est pas dans l’ordre).
A travers ces textes, on voit à quel point la solidarité entre femmes est verrouillée. Le manque de sororité sert quelque chose : que la rivalité entre femmes, qui est apprise et entretenue, entretienne sans effort l’obsession sur l’apparence qu’on a quasi toutes à l’adolescence (la vie adulte permet à certaines de se rendre compte de cette focalisation malsaine et du système que ça sert, mais elles sont encore très peu nombreuses). Cette dernière a pour but de nous détourner de buts plus « masculins » comme le pouvoir (vous savez, le plafond de verre increvable) et de nous garder en position de soumission. Bien sûr, il y a des objectifs plus minimes derrière, mais qui servent aussi à la même chose : le patriarcat.
Toutes ne sont pas d’accord pour dire qu’il faudrait ne pas critiquer les femmes, quelles qu’elles soient. Certaines voudraient le faire de manière inconditionnelle, d’autres seraient plus prudentes (le texte d’Alice Coffin et ses discussions avec des femmes de droite est éclairant à ce niveau). Il y a aussi d’autres questions qui ne s’apparentent pas qu’au féminisme blanc bourgeois qui sont abordées : celles par rapport au racisme, à l’homophobie, au validisme, etc. Le texte de Kiyémis est absolument brillant de ce point de vue-là (un de mes préférés), Lauren Bastide, bien que femme blanche bourgeoise, rappelle que ces femmes font partie de ses sœurs aussi. Elle expliquera d’ailleurs pourquoi elle a préféré un temps le terme d’adelphité.
Un petit point que je tiens à soulever : bien qu’il y ait une volonté de n’oublier personne, j’aurais aimé qu’une femme trans écrive pour ce recueil. Je ne connais pas les problématiques de chacune mais une femme handicapée aussi ? Et sûrement des représentantes d’autres minorités que j’ai oublié…
En-dehors de ça, le recueil propose une grande diversité de sujets dans ces différents textes : la solidarité entre mères qui devrait se développer encore plus qu’elle ne l’est déjà et que l’invisibilisation de leurs mouvements ne montre pas, notre rapport maladif au corps et son apparence, que la sororité ne s’applique pas qu’aux liens de sang, qu’elle s’applique aussi à d’autres femmes, que la rivalité entre femmes entretient le patriarcat, que le silence plein de compréhension des victimes est un lien… Ils ne sont pas tous écrits sous la même forme : il y a une chanson et un dialogue par exemple. Ça apporte une certaine fraîcheur à l’enchaînement des textes, une coupure parfois bienvenue. Les textes sont porteurs à la fois de colère, d’indignation, mais aussi de poésie, de tendresse.
Certains textes dessinent des ébauches de solutions pour nous, pour que la sororité s’applique, avec certaines limites dans certains cas. Comme l’avait dit je-ne-sais-plus-qui (on voit que je prends des notes, n’est-ce pas), certaines prennent avantage de la pseudo-sororité pour se permettre d’être égoïstes et donc racistes, transphobes… « Je suis une femme, donc vu que je subis le sexisme, t’as pas le droit de me critiquer » C’est quoi ces conneries ? Si tu décides d’être oppressive sans te remettre en question, tu vas prendre cher (pas autant que les hommes blancs hétéro cis, mais t’as compris).
Bien évidemment, j’ai mes préférences parmi les textes, mais je ne vais pas vous les dire (ok, pour celui de Kiyémis, j’ai déjà grillé le truc). Je vais éviter de trop vous influencer, mais de toutes les manières, vous donnerez aussi vos faveurs à d’autres textes que mes propres choix, vous n’avez pas besoin de moi. Je pense que notre expérience personnelle joue beaucoup : si j’ai trouvé le texte de Fatima Ouassak, où elle parle de protéger les enfants et de la solidarité entre mères, assez intéressant, le fait de ne pas savoir, de ne pas exactement ressentir ce dont elle parlait en tant que mère, a forcément joué. Ceci dit, ce n’est pas totalement vrai non plus car j’ai adoré le texte de Kiyémis alors que je suis blanche. Bref, ça ne dépend pas que de l’expérience personnelle. Peut-être que le texte de Fatima Ouassak m’a aussi moins parlé car la majorité des mères que je connais me mette à l’écart en raison de mon statut. Ce n’est pas sa faute…
Ce livre est donc très intéressant et fait beaucoup de bien. Il parle d’un sujet qu’on a parfois du mal à cerner vraiment. Et si on n’est pas toutes d’accord, des pistes de réflexions sont amenées. Je l’ai trouvé intéressant et je pense que toute militante féministe, mais pas que, devrait y jeter un oeil. Il en va du féminisme et de son avancée.
La sororité est un outil. Un outil de puissance, une force de ralliement, la possibilité de renverser le pouvoir encore aux mains des hommes. S’allier en un regard, faire bloc, contrer en nombre. Pour autant, c’est un geste qui ne va pas de soi. Nous sommes conditionnées, la rivalité entre femmes est savamment cultivée, la concurrence pour être la préférée de papa et ses incarnations sévit dès le bac à sable. Le syndrome de la Schtroumpfette peut hanter les bureaux comme les espaces privés. La méfiance est souvent de mise, chacune si précaire en sa place, beaucoup redoutent d’en être dépossédées. Percevoir en l’autre une soeur ne va pas toujours de soi. J’entends en l’autre toute femme, qu’elle soit née femme ou le soit devenue [transphooobe]. La sororité est une démarche consciente, presque une éthique de vie. Qui nécessite de l’empathie, de l’ouverture, de la confiance. Tout l’inverse de ce qui nous a jusqu’ici formatées.
C’est un terme et un concept qu’il faut cultiver et un livre dessus me semble très juste j’ai très envie de le lire afin de me situer par rapport à tout ceci…
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Oui, tout à fait, leurs réflexions ont permis d’éclairer la mienne.
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