Résumé

Des villages côtiers emportés par un tsunami, des réacteurs qui crachent des champignons atomiques, des populations déplacées par milliers, un quotidien hanté par la peur du becquerel: voilà ce que fut le désastre nucléaire de Fukushima au Japon. Radiations et révolution s’intéresse à la portée à la fois nationale, géopolitique et historique de cet événement. Pour Sabu Kohso, la catastrophe est à replacer dans le contexte d’un conflit entre la marche destructrice de l’économie mondiale, et les forces humaines et terrestres qui tentent de survivre et vivre. L’écrivain japonais réussit le tour de force de porter les mémoires de ces « vies-en-lutte », tout en retraçant les dynamiques politiques qui ont lié le destin du pays à l’énergie atomique dans les années d’après-guerre. Selon lui, l’Anthropocène est l’âge de la radiation: radiations nucléaires et irradiation des luttes. Un âge où il ne s’agit plus seulement de savoir Que faire ? Mais aussi « Comment vivre » ?
Chronique
(sur mon exemplaire, il y a bien un ‘s’ à « Radiations », ce n’est donc pas une faute dans le titre par rapport à la couverture postée)
Je pensais beaucoup aimer ce livre, je ne m’attendais pas à un coup de cœur non plus, et pourtant… Il n’est cependant pas révolutionnaire, comme son titre le laisserait penser, mais l’auteur y tient des propos très justes et que tout le monde doit entendre. Qu’est-ce que vous faîtes là, les pro-nukes scientistes ? Ça parle social ici.
Qui est l’auteur ? Sabu Kohso, né à Yokohama (pas loin de Tokyo vers le sud-ouest), militant anticapitaliste depuis des décennies, qui habite entre New-York et le Japon. Et… je ne trouve pas grand chose d’autre d’intéressant, en-dehors des ouvrages qu’il a rédigé avant celui-là, ceux qu’il a traduit de l’anglais au japonais (ou l’inverse) et du fait qu’il a contribué à relier certaines luttes populaires d’Asie du Sud-Est et d’Amérique et d’Europe. C’est déjà pas mal, Ada, non ? Quelque part, oui, mais ça ne répond pas à un de mes questionnements concernant son raisonnement. On en reparlera plus tard.
Et ce « plus tard » va arriver très vite car dès l’introduction, il a un propos assez philosophique (les personnes qui me connaissent bien m’ont vu grimacer) et il parle de la trinité « désastre/catastrophe/apocalypse » de l’évènement de Fukushima dans le nord-est du Japon. Je le rappelle, Fukushima est une triple catastrophe : d’abord un énorme séisme, suivi par un tsunami très loin d’être faiblard, puis la fusion de trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima et la surchauffe de la piscine de désactivation du réacteur 4, entraînant des milliers de morts. On se souvient quasiment tous d’où on était lors du 11 septembre 2001, je peux vous dire que je m’en souviens aussi très bien pour cet évènement-là.
Heureusement (et ça vaut pour le reste du livre qui est concerné, c’est-à-dire peu), son propos philosophique n’est pas du tout gênant pour comprendre le propos de l’auteur (j’ai dû sauter deux pages en tout). Je n’ai pas dit que ce serait fluide tout le temps non plus (on n’est pas sur un essai que vous lirez en quelques jours) mais bon, contrairement à plein d’autres œuvres, relire des phrases permet de rendre le discours plus audible et compréhensible. Et même si ce n’est pas le cas, à mon avis, l’essentiel du livre sera compris car le propos philosophique (avec des références religieuses) n’est pas non plus la composante majoritaire de ce livre, le reste est accessible.
Du coup, par rapport au fait que je suis moyennement satisfaite de ce que je trouve sur l’auteur, je voulais en savoir plus sur ses études, son travail, a-t-il étudié la philosophie ou est-ce un hobby, etc. Ce n’est quand même pas anodin qu’il en parle comme ça…
Oui, cet essai peut faire peur, j’en suis consciente et ce n’est effectivement pas ce que je vous conseillerais de lire en premier si vous débutez dans la lecture de ce genre d’ouvrages, mais clairement, il est à tenter, d’autant plus que le propos est très intéressant et pertinent.
Dès l’introduction, on voit bien que ce livre va être un gros morceau. Je n’en dirais pas plus sur ce passage car je ne suis pas douée pour parler de philosophie (et en lire aussi d’ailleurs mais chut). Ceci dit, on voit déjà bien à quel point le capitalisme a une portée démesurée sur nos vies, et encore plus à cause du nucléaire.
Forcément, les deux premières parties parlent de l’accident nucléaire de Fukushima, de ses conséquences sur les êtres vivants, sur le reste, de son infinitude (ce n’est pas fini et ça ne le sera probablement jamais) et du rapport qu’a le Japon (mais pas que) au nucléaire, que ce soit les « atomes pour la guerre » ou les « atomes pour la paix ».
Mais, on le voit en filigrane, les deux derniers chapitres arrivent tout doucement à se mettre en place bien avant leur arrivée officielle. La gestion de cette crise par TEPCO (l’entreprise d’électricité gestionnaire de la centrale de Fukushima) et le gouvernement japonais montre bien qu’ils souhaitent nous faire résigner à accepter cette « apocalypse sans fin » qu’est la radiation, même à « petites doses ». Avec le grand soutien des États-Unis, meilleur partenaire et instigateur sur cette question.
Le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche lança une campagne intitulée « Manger pour soutenir Fukushima » afin d’encourager la relance du secteur primaire dans la zone sinistrée. Par de telles mesures, la gouvernance post-désastre introduisit l’idée d’une nationalisation des radiations. Du point de vue des gens du commun, ce n’était rien de moins qu’un désastre supplémentaire, qui plus est d’une durée illimitée. Le partage de la contamination radioactive imposé par le gouvernement représente sans doute le phénomène le plus cauchemardesque de tout le processus de Fukushima.
Une attaque non pas perpétrée par un pays ennemi, comme à Hiroshima et Nagasaki (les « atomes pour la guerre ») mais par son propre pays capitaliste (les « atomes pour la paix »). Le nucléaire est d’ailleurs lié à l’histoire après-guerre de ce pays, et pas que comme vous l’imaginez. Oui, l’auteur va parler de cette évolution historique.
Malheureusement, il y a aussi d’autres faits aberrants de la gestion de la catastrophe de Fukushima. Enfin, aberrants pour nous, tout à fait dans la logique de leur désir à eux. Selon ce qui se passait avant, il était certain qu’un tel désastre allait finir par arriver. Là encore, désastre pour nous : eux, ils veulent continuer la marche du profit coûte que coûte, c’est d’ailleurs toujours en cours, et pour ça, la situation doit sembler normale. TEPCO a rapidement rejeté sa responsabilité dans cette catastrophe (elle a été reconnue légalement mais ça ne coûte rien d’essayer, j’imagine…). Le but est d’ailleurs de nous faire oublier cet évènement comme si ce n’était finalement pas grand chose… et continuer comme avant en ouvrant de nouvelles centrales.
L’auteur parle des « vies-en-lutte » (victimes directes et indirectes), de leur combat incessant pour vivre une vie normale alors qu’iels font face à une apocalypse infinie, d’obtenir des indemnisations, de leur souffrance et aussi des personnes qui ont le plus contribué à cette lutte : les femmes. Je pense que vous l’avez compris, ce livre ne parle pas de l’aspect technique si cher aux pro-nukes pour justifier tout et n’importe quoi (tout ça pour continuer à jouer aux jeux vidéo /pan/). Les femmes se sont occupées du care, un aspect oublié, moqué et méprisé par les « grands » (au masculin) de ce monde. Et par les hommes en général, n’oubliez pas que nous sommes hystériques et paranoïaques.
Au fait, quand je parle de souffrance, je parle des déplacements de population, des moyens de subsistance qui disparaissent et ne peuvent plus exister comme tels, de l’effet sur l’environnement (coucou le changement climatique, tu as un copain de catastrophe), de leur soudaine précarité et mise à l’écart de la société, etc. Ça donne envie, n’est-ce pas ? Si vous n’êtes pas encore concerné·e, vous le serez dans le futur.
Ça ne se passe pas qu’au Japon. Le nucléaire (et les accidents des centrales) sont partout, il mentionne d’ailleurs quelques luttes dans d’autres pays. Le monde clos engendré par le capitalisme avec l’aide du nucléaire, ce n’est pas qu’au Japon.
Dans un sens, les mouvements antinucléaires partagent aussi un certain exceptionnalisme lorsqu’ils font face à l’ampleur de la menace atomique, ce qui les oblige à poursuivre un combat axé sur cette question unique, la priorité étant de contrer l’annihilation de l’humanité. L’exceptionnalisme nucléaire joue donc un double rôle : sur le plan technopolitique, il constitue un moyen matériel de maîtriser l’économie mondiale et la violence, alors que sur le plan onto-métaphysique, il constitue une méthode de gouvernement de la population mondiale qui neutralise sa pensée et limite son engagement.
Sabu Kohso a aussi abordé l’aspect géographique du Japon, que son insularité n’est pas lié qu’à son statut d’île, que le principe même d’État-nation est une sorte d’insularité et que les pays continentaux sont aussi concernés par ça, ainsi que par les conséquences qui en résultent. Son analyse de Tokyo et de son évolution est très intéressante (je ne peux pas la résumer correctement ici mais bien évidemment, c’est lié au capitalisme et au développement du Japon comme État capitaliste).
Pourquoi est-il plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ?
Question intéressante, n’est-ce pas ? Et malheureusement vraie car le capitalisme a vampirisé nos vies à ce point-là : la totalisation des esprits, des structures, de la société. L’auteur indique bien qu’il faut être conscient du système que ce dernier a installé, il rappelle lui aussi quelques faits.
La difficulté d’imaginer la fin du capitalisme entraîne une autre question : pourquoi est-il si difficile d’abolir l’énergie nucléaire ?
Bon, je vous laisse. Non, je déconne, mais ne comptez pas sur moi pour répondre à cette question (vous n’avez qu’à lire le livre, tiens).
Normalement, l’humanité devrait être responsable de ce qu’on appelle les « communs négatifs », ici les effets des radiations nucléaires. Mais en réalité, ça ne devrait pas être le cas pour cette situation car une poignée de personnes a décidé de l’utiliser et d’en tirer profit sans rien demander, quoi qu’il en coûte (cette expression me rappelle un certain président français) et de tout faire pour que le nucléaire soit tellement une composante (menaçante) de nos vies, de nous imposer sa fin calamiteuse (le « capitalisme apocalyptique ») qu’on est incapables, à première vue, de répondre à la question plus haut.
La solution ? Ce n’est pas un homme seul qui va la trouver. Il a toutefois une ébauche de proposition mais je vais m’arrêter là pour ce coup-ci aussi.
C’est ainsi que nous sommes pris au piège, et par le fait même confrontés – avant même que l’idée d’une solution puisse être envisagée – à la véritable question : comment démanteler le réseau de pouvoirs (le complexe militaro-industriel) rassemblé autour de la production-consommation d’énergie nucléaire tout en créant collectivement de nouvelles formes de vie qui échapperaient à son emprise ? Ceci nous amène au problème fondamental au cœur de tout désastre écologique : que faire du Monde [l’humanité] comme mouvement d’expansion et de totalisation des États-nations capitalistes depuis le point de vue de la Terre, c’est-à-dire de la combinaison de toutes les vies-en-lutte des êtres planétaires ? Le problème nucléaire pose nécessairement la question de la puissance, de la vie et de la révolution dans le contexte d’une catastrophe sans fin. Ces questions sont au cœur de ce que Fukushima a révélé.
Des majuscules pour des concepts comme la « Terre », le « Monde », risquent d’en faire tiquer quelques-uns (je ne dis pas que j’en n’ai pas fait partie) mais ça s’inscrit pleinement dans l’analyse pertinente de l’auteur. Je n’ai pas râlé trop longtemps.
Au fait, en quoi ce livre n’est pas révolutionnaire ? Si on est bien renseigné sur l’absolutisme, la totalisation du capitalisme, pas mal de choses sont peu surprenantes pour certain·e·s d’entre nous.
Par contre, je le trouve très intéressant dans le sens où il aborde les choses sous un angle qu’on voit peu : le nucléaire et sa place un peu trop prenante dans notre société, qui mène très clairement au « capitalisme apocalyptique ». En ça, il est à lire.
C’est jamais dit mais je pense que l’auteur est anarchiste. Don’t mention me, je suis sûre que mon intuition est la bonne. En plus, il a traduit des ouvrages de David Graeber, ahaha, bon courage pour m’avancer que j’ai tort.
Mais je pense que c’est justement parce qu’il l’est sûrement qu’il a pu faire une aussi brillante analyse de la situation. S’il avait été modéré, la critique aurait été tiède et les pro-nukes pourraient dormir sur leurs deux oreilles, et ça, c’est hors de question. Écrit très bien, de façon à la fois limpide et complexe, vous allez prendre votre pied, j’vous l’dis. Un livre pas révolutionnaire, mais quand même immense. Grâce à (à cause de ? Je suis confuse) cet essai, c’est bien la première fois que je considère réellement qu’on vit dans une dystopie. C’est effrayant mais c’est nécessaire à lire pour notre salut.
Ah oui, ça a effectivement l’air d’être un gros morceau ! Pas sûre d’avoir la disponibilité de cerveau pour lire ce genre d’ouvrages en ce moment, mais un jour je m’y mettrai 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, il n’est pas pour tout le monde 😅 Après, c’est passionnant, heureusement.
J’aimeAimé par 1 personne
idem pour moi, il me manque encore de la concentration car ce livre me semble ardu…
Je vais voir s’il me reste de l’énergie quand j’aurai terminer « La plus secrète mémoire des hommes »
belle année à toi 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Bonne année, oui ! Il est pas hyper compliqué à lire mais il est assez dense et exigeant par moments… « La plus secrète mémoire des hommes » me fait envie !
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai lu environ 1/3 et j’avoue qu’il me plaît,parfois un peu rude,il faut être attentif pour ne pas se perdre, … en tout cas il faut prendre son temps 🙂
On va voir la suite 🙂
J’aimeAimé par 1 personne