Affirmer notre prise de parole

Cet article va être particulier. Certes, vous vous en doutez, je vais parler de livres sur le sujet (deux pour être plus exacte) mais pour donner plus de concret à cet article, je vais aussi parler de mon expérience, en tant qu’ancienne timide qui n’ouvrait la bouche qu’en présence de personnes de confiance (et ça dépendait sur quel sujet).

La prise de paroles, donc s’exprimer à l’oral, n’est pas forcément évidente, même pour ce qu’on appelle du small talk. Je vais vous parler de deux ouvrages qui peuvent vous aider, le premier en particulier.

Oser prendre la parole (Aurore Debierre)

Ce livre, très pédagogique, est présentée d’une manière avenante, aérée, avec des illustrations, des citations. D’ailleurs, la première BD illustre très bien comment on en vient à ne plus prendre la parole : dénigrement permanent de notre parole (famille, professeurs…), cette dernière est souvent coupée dans des discussions de tout bord, parfois supposément plus accueillantes.

Il y a des parties dont la première resitue bien les choses : pourquoi prendre la parole ? Quel est l’intérêt ? D’abord pour vous : ça vous permet de ne pas vivre une certaine mort… Celle de votre personnalité, de vos envies, de vos opinions.

La partie « S’entourer » est importante : on peut croire qu’il faut se forcer et foncer dans le tas, discuter directement avec une dizaine de personnes inconnues. Non, la prise de parole, quand on veut la travailler, c’est progressif. Ça se fait d’abord avec des personnes de confiance et souvent, leur nombre est limité selon ce dont vous avez besoin (une à deux personnes, voire trois ou quatre). Et à ces dernières, vous pouvez aussi demander ce qu’elles pensent de votre prestation orale.

Il y a aussi des parties nommées « S’équiper » et « Se lancer » : elles me paraissent assez éloquentes de par leur nom mais je vais dire quelques petits mots dessus. La première d’entre elles donne pas mal de pistes avant de se lancer, il y a aussi quelques exercices (aucune obligation de les faire, on peut s’en sortir autrement mais c’est cool de les avoir sous la main au cas où), dont un exercice de respiration et un pour calmer le trac (l’angoissée que je suis ricane un peu mais ça marche un peu parfois).

Dans la deuxième partie mentionnée dans le paragraphe précédent, l’autrice parle de conversations assez banales au premier abord, mais qui permettent de se sentir un peu plus à l’aise pour des conversations plus complexes et où on va apprendre à affermir notre prise de parole, à la développer, à ne pas se contenter de dire rien ou juste « oui » (le « non » fait partie de l’affirmation de soi et est souvent lié à notre difficulté de nous exprimer).

Je ne vous parle pas du reste du livre : surprise ! En tout cas, de par mon expérience personnelle dont je vous ferai part plus loin dans l’article, je reconnais ce rythme de progression. On n’extériorise pas notre pensée avec efficacité et pertinence du jour au lendemain. Les BDs sont parlantes des difficultés qu’on peut rencontrer, de ce qu’il faut mettre en place ou de ce que notre évolution peut donner.

L’autrice partage aussi des faits sur son expérience et non, elle n’est pas au point. C’est rassurant.

Il y a aussi des sources à la fin, ainsi que des indications de ressources pour vous aider à travailler tout ça. J’ai trouvé ce livre agréable à lire et encourageant.

Petit manuel de discussion politiques (Gaëlle Jeanmart, Cédric Leterme et Thierry Müller)

Ce livre a une approche différente : il s’agit de faire en sorte d’installer des conditions bénéfiques de discussions (politiques, donc) dans le cadre de conversations offertes par des associations, en limitant le plus possible les rapports de pouvoir. Oubliez les repas de famille et les discussions entre potes, ça va être difficile de lutter contre les gueulards et les patriarches dans ces cadres-là.

Du coup, ce livre est intéressant car il montre bien que les discussions un minimum calmes peuvent exister. Non, il n’y a pas à culpabiliser pendant les réunions informelles, le contexte n’est pas forcément de votre ressort.

Une discussion, ça se prépare, ça se vit, ça s’anime, ça s’évalue. Vous avez là les noms des quatre parties principales du livre et aussi ceux des étapes à suivre.

L’essai explique comment préparer une discussion, l’installation permettant de mettre à l’aise mais aussi de rendre possible une discussion apaisée et la plus démocratique possible. Les auteurices détaillent aussi quelles sont les différentes discussions, à quoi elles servent, ainsi que les rôles qui peuvent être établis selon les besoins (animateur, synthétiseur, reformulateur…). Iels disent bien que c’est adaptable et critiquable (vous me connaissez, j’ai chipoté sur un ou deux trucs, mais il y a selon moi des solutions).

Le kairos (s’adapter en saisissant l’occasion opportune) sera aussi mentionné, il y a d’ailleurs un petit encadré dessus dans le livre précédent. Comment accueillir la critique, comment gérer les affects dans une discussion… Des questions nécessaires et pertinentes verront leurs réponses dans cet ouvrage.

Évaluer une discussion est aussi essentielle mais ne se fait pas n’importe comment, et encore moins avec les outils qu’on connaît (notamment le système de notation arbitraire et injuste de l’école, c’est niet ça). Les auteurices, fort·e·s de leurs expériences, donnent là encore des pistes pour savoir comment, quoi évaluer. Que ce soit pour ça comme pour le reste mentionné dans les paragraphes précédents, c’est adaptable selon la situation et il n’y a pas de solution clé en main.

J’ai trouvé cet essai passionnant, donner la parole à tout le monde tout en prenant en compte des problématiques qui sembleraient moins « ouvertes », ça prouve une grande ouverture et souplesse d’esprit (même si on se doute que ça ne s’est pas fait en un jour). J’ai beaucoup aimé lire ce livre et je pense qu’il est essentiel pour toutes et tous, et pas que pour les milieux militants. Il s’agit de donner de la place à d’autres types de parole que celle considérée comme légitime.

Ce livre a l’air de parler d’un stade supérieur, non ? Hé bien… Oui et surtout non. Il déculpabilise : on voit bien que les discussions où on regrette de ne pas pouvoir entrer et s’affirmer ne comportent absolument pas les conditions pour qu’on le fasse (et les personnes dominatrices de par leur éloquence en sont ravies). Tout est fait pour accorder la parole même à celleux qui sont les plus mals à l’aise avec, sans les forcer, avec bienveillance.

Mon expérience

Je ne vais pas vous raconter ma vie, ne vous inquiétez pas, mais j’ai fait partie de la team timides donc je sais à quel point c’est dur.

Trouver des personnes de confiance dans la vraie vie, ce n’est pas simple du tout, donc je vous conseille de commencer par l’expression écrite sur Internet. Mais ce ne sera pas suffisant bien évidemment, ça fait des années que je fais ça et ce n’est pas pour autant que je me suis affirmée à l’oral, surtout que les rapports de domination y ont aussi lieu.

Suite à une maladie mentale, j’ai été suivie par des professionnels. Et, de fil en aiguille, j’ai accepté des activités plus ouvertes sur le social : groupe de parole entre personnes concernées (les personnes qui râlent contre la non-mixité, pouet pouet), un atelier jardinage, un atelier photo, un hôpital de jour… Quant on veut bien jouer le jeu, ça permet de discuter un peu plus.

Comme je l’avais dit avant, c’est progressif : je me souviens de mes premières prises de parole, c’était n’importe quoi tellement elles respiraient la timidité. Mais il faut sauter le pas, c’est valorisant pour nous et beaucoup de personnes voient que c’est un réel effort pour vous (après, c’était dans des contextes bienveillants, dans d’autres, certain·e·s se seraient moqué·e·s, d’où l’importance de bien choisir son entourage), donc elles vont vous encourager avec leur expression non-verbale.

C’est la pratique sur le moyen terme qui fait qu’on se sent mieux sur certains échanges (mais pas tous encore pour moi, surtout quand il y a un mec confiant dans l’équation). Je me suis pas mal retrouvée dans le premier livre dont j’ai parlé, « Oser prendre la parole » : j’ai reconnu une partie de mon parcours (je ne l’ai pas fait exprès en plus). Ça prendra peut-être des années, mais c’est pas grave. Ça fait plus de trois ans que je bosse dessus et je suis loin d’être parfaite. Mais je suis fière de moi et c’est l’essentiel.

Je vous incite donc, si c’est votre problématique aussi, à acheter le premier livre. Le deuxième est intéressant aussi et permet de relativiser pas mal de choses mais si vous le souhaitez, vous pourrez vous le procurer dans un deuxième temps.


N’hésitez pas à me poser quelques questions si nécessaire. Je suis sympa sur ce sujet : j’étais et suis toujours concernée après tout ! La recette ne sera pas la même pour tout le monde, même si je pense que se mettre « en danger » dans des situations orales (mais dans des contextes non moqueurs ou hostiles) est un bon pas dans la direction de l’amélioration et de l’affirmation de soi.

8 réflexions sur “Affirmer notre prise de parole

  1. C’est intéressant, l’analyse de deux livres et la mise en relation avec ton expérience personnelle. Pour moi aussi, la prise de parole en public est compliquée. Généralement, je ne l’ouvre que s’il y a peu de personnes et que je les sens sympathiques et bienveillantes. Le reste du temps, j’écoute. ^^

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  2. Coucou ! Je trouve ton article très intéressant, car je n’aurais jamais pensé lire un ouvrage à ce sujet ! Et pourtant, la question se pose vraiment, j’ai senti combien c’était difficile (et libérateur) de prendre la parole en public lorsque j’ai commencé à m’exprimer les weekends lors des débats organisés place de la république à Paris depuis 2016 par Debout éducation populaire. Les deux ouvrages que tu présentes ont chacun leur intérêt il me semble, le premier dans une perspective plus personnelle, le deuxième dans le cadre de collectifs : je sais que ça pourrait m’apporter quelque chose, à moi mais aussi aux collectifs que je connais ! Merci pour tes recommandations ! Bises !

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    • Tu as tout compris ! C’était hyper courageux de ta part de participer à ça 😮 (j’ai encore une frousse pas possible en allant à une rencontre avec un auteur, puis les mecs du public parlent trop, c’est bon).

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      • Oui, c’était pas évident, même quand tu crois en ce que tu dis, t’as l’impression de perdre toute la force, la consistance de tes propos au moment de prendre le micro ! Je l’ai fait plusieurs fois, ça allait de mieux en mieux, et d’après mon entourage mon malaise ne se voyait pas trop. En tout cas, ça m’a donné confiance en moi durablement ! Oui, les mecs qui prennent toujours la parole en premier, et longtemps…

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