
Oui, ça fait neuf ans et demi que je suis féministe et je n’avais jamais lu bell hooks, lancez-moi des tomates. J’ai entamé ma découverte de l’autrice avec un livre qui me paraît, avec d’autres, faire partie de bonnes entrées au féminisme. C’était d’ailleurs le but avoué de l’autrice et c’est réussi.
Les chapitres parlent d’un sujet différent à chaque fois : le combat politique qu’est le féminisme, la sororité, le travail, la race et le genre, la violence patriarcale, les droits reproductifs, le mariage, etc.
Pour un livre sorti en 2000, la majorité du contenu de son livre est très actuelle, ce qui est assez triste en réalité, ça montre qu’énormément de choses n’ont pas changé en une vingtaine d’années. Que ce soit à cause des hommes (elle est assez sympa avec eux, on en reparlera) ou aussi à cause des femmes. Nous avons intériorisé le sexisme, le patriarcat et ce n’est pas parce que nous sommes des femmes et que nous vivons une oppression que nous sommes conscientes de tout et que nous ne pouvons pas la reproduire (y a pas mal de preuves de l’inverse).
Il faut aussi apprendre à déconstruire, surtout en tant que femme blanche, les rapports de race et de classe (et pas que mais je me contente de ce qu’elle dit ici) car ces derniers sont des entraves à la libération de toutes les femmes. Non, en parler ne détourne pas l’attention de vos chères valeurs de genre, c’est bon. Oui, c’est encore parfois un argument qu’on entend encore. (quand ce sont pas celles-là, ce sont les questions de classe dont les hommes blancs viennent nous rabattre les oreilles avec)
Rien de nouveau semblerait-il et je suis d’accord que des efforts sont faits, mais encore peu, je trouve, donc ces paroles sont encore bienvenues. Surtout pour des débutant·e·s qui n’ont jamais eu que la vision médiatique du féminisme devant leurs yeux et leurs oreilles. En parlant des médias, comme bell hooks l’avait déjà constaté à l’époque: ils ne mettent en avant que les féministes blanches, privilégiées, jolies selon les critères de beauté, et qui ne mettent pas réellement en danger le patriarcat et qui y contribuent même si elles prétendent le contraire (exemple d’actualité que je rajoute moi-même : les TERFs – les transphobes, quoi). Et on se fait trahir par ces dernières, qui ne voient que leur intérêt de classe à l’autre bout de leur (petit) tunnel. Si vous êtes de droite, vous n’êtes pas féministe, dit-elle, et je suis d’accord avec elle.
Et non, valoriser le travail ne libère pas toutes les femmes, bien au contraire. Un argument démonté (et je l’ai rarement vu être pointé du doigt, c’est dire sa force de persuasion) par bell hooks et ça fait du bien à lire. Cette valorisation du style de vie féministe et individualiste, qui ne change rien aux rouages de la société patriarcale, est insupportable. On se demande pourquoi les médias le mettent tant en avant, dis donc… Bref, parmi tout ce qui ralentit le mouvement féministe, on a ça, et aussi les femmes et surtout les hommes qui ne remettent pas en question leur propre sexisme (intériorisé pour les premières). Un point qui a été largement souligné par l’autrice.
Il faut donc connaître le passé du féminisme, son histoire, afin de ne rien oublier, de ne pas redevenir sexistes sur certains aspects (ce qui est déjà le cas avec des symboles du mariage par exemple), et de pouvoir avancer sans répéter les mêmes erreurs.
Il ne faut pas culpabiliser de ne pas pouvoir développer des pensées féministes à partir de son vécu. Quand bell hooks parle de certaines choses du mouvement féministe, à partir des années 60-70, il est clair que ce n’est pas venu du jour au lendemain pour qui que ce soit. Les femmes ont d’abord partagé leurs anecdotes entre elles, puis ont finalement discuté de ce que ça signifiait avant de produire de la théorie. Ses explications historiques, dans les décennies que j’ai mentionné avant, ne sont pas exhaustives mais bigrement intéressantes.
L’autrice nous parle d’ailleurs – ça revient à la normalisation du féminisme par les médias dans le système patriarcal qu’ils défendent – de l’institutionnalisation du féminisme par l’université (hé oui, par des femmes blanches privilégiées) et donc de la suppression de sa volonté radicale. Il y a eu des exceptions mais justement, elles sont l’exception, pas la règle.
Bref, j’ai trouvé que ses réflexions sont toujours très pertinentes de nos jours, ce qui fait que ce livre, qui pourrait paraître daté (publié en 2000), ne l’est pas tant que ça.
Il y a juste sa gentillesse envers les hommes qui m’a fait lever les yeux au ciel, bien que je ne sois pas là pour en parler. Mais un petit mot vite fait quand même. On nous dit qu’il faut attendre, mais on doit poireauter combien de siècles ou de millénaires pour qu’un mec aille au-delà d’un article sur MeToo ? (et encore, je suis sympa) On ne va pas attendre un miracle alors que des efforts ont été faits pour qu’ils avancent avec nous. Vous avez là un premier aperçu de mon opinion sur la question (et votre pacifiste préféré Martin Luther King pensait la même chose que moi pour les droits des personnes noires). C’est d’ailleurs étrange qu’elle soit si sympa avec les hommes alors qu’elle ne se met pas d’œillères sur leurs comportements (qui valident l’oppression patriarcale en leur faveur ou sont hypocrites la majorité du temps).
Un livre accessible, court (160 et quelques pages) sur un ton doux mais ferme (moins ferme que James Baldwin mais similaire), toujours d’actualité sur de nombreux points. Il n’y a pas de sources et même s’il y en avait, ça serait à recouper avec un livre plus récent. Je regrette juste que la couverture ne donne pas plus envie… mais c’est une question marketing. Le bouche-à-oreille va beaucoup compter dans sa propagation, je pense.