Mon évolution politique : de la droite à l’extrême-gauche

Il faut commencer par un fait que peu de gens soulignent dans les témoignages où ils expliquent être passé de la gauche à l’extrême-droite. Je mets au masculin car je n’ai vu que des hommes – bien qu’on pourrait rajouter d’autres femmes médiatiques mais des hommes aussi, et ils sont bien plus nombreux. Je les vois très rarement dire d’où ils partent comme milieu social, ce serait intéressant pourtant… (une exception venant des classes populaires ne prouve rien).

Personnellement, je suis un mélange entre la classe populaire et la classe moyenne basse. J’ai un privilège : celui d’être blanche (pas celui d’être valide mais je ne l’ai su vraiment que plusieurs années après être devenue majeure, même si je m’en doutais vaguement). Et dans ma ville de bourgeois·es, y a plutôt intérêt… Je navigue dans une famille qui vient de la classe populaire des deux côtés mais qui a franchi la barrière pour atteindre la classe moyenne, voire la classe moyenne haute pour certain·es.

J’ai voulu écrire cet article pour contrebalancer les nombreux témoignages de personnes expliquant être passées de la gauche à l’extrême-droite. J’ai remarqué un point commun à ces derniers que j’exposerai plus tard.

Tout d’abord, même si ça paraît incohérent (pas tant que ça quand on regarde l’offre médiatique mainstream), je viens d’une famille de droite. Il y en a d’extrême-droite aussi mais ça date surtout de 2017 et les très rares personnes de gauche (modérée) doivent se cacher car j’en connais aucune à part ma sœur. Ce n’est pas très étonnant car j’ai foutu un blanc énorme une fois dans un repas de famille en disant que je suis de gauche (le contexte s’y prêtait, je n’ai provoqué personne). Iels ont changé de sujet après… Le malaise était plus qu’évident.

Bref, je viens d’une famille de droite. Automatiquement, je l’étais aussi. J’étais ignorante de plein de choses et dans ma famille, on assénait des choses comme si c’étaient des vérités, comme à la télé. Et mon incroyable manque de confiance en moi a fait que j’ai absorbé tout ça sans broncher. Les autres avaient forcément raison et j’avais forcément tort, n’est-ce pas ? Je n’étais pas entièrement convaincue grâce à mon empathie et ma curiosité qui m’ont fait douter de certaines choses (dont la rhétorique anti-pauvres), mais je ne ne changeais pas d’avis pour autant. Par contre, ces deux qualités ont clairement contribué à ce qu’il s’est passé par la suite.

J’aurais très bien pu être irrécupérable, comme la majorité des gens qui hérite simplement des opinions politiques de leur famille et s’entoure de personnes qui sont en accord avec leurs pensées (une nouvelle fois, une exception ne compte pas). L’évolution a été progressivement lente mais elle a eu lieu. Mais j’insiste sur la lenteur car je me suis fait tirer les cheveux par des personnes de gauche à plusieurs reprises sur Internet fût une époque, bien que je restais globalement discrète. L’observation a toujours été mon truc. Prenez-en de la graine avec le féminisme, les hommes cis ! Et rajoutez un zeste d’humilité aussi.

Pour dire à quel point la rhétorique de droite a pesé lourd sur moi, c’est que, même en ayant eu des expériences classistes au lycée, je n’ai pas su les analyser. J’étais parfois surprise, blessée, mais sans aller super loin non plus. (je n’avais jamais vécu ça au collège, et pourtant, y avait matière au mépris de classe…)

Une fois sortie de ma ville pour mes études, toutefois, mon évolution politique a pu commencer à se faire. Attention, je n’ai pas sauté directement dans la radicalité. J’ai d’abord viré centre/centre-gauche, puis gauche modérée.

Et j’ai toujours été une lectrice. De romans et de mangas. Je ne pensais pas qu’il y avait d’essais disponibles pour moi, c’était même un autre monde, je n’en avais jamais côtoyé un seul dans mes lectures. Puis une fois à l’université, j’ai commencé à m’y intéresser. Pas grâce aux listes d’essais nébuleux des professeurs d’économie mais il y avait une petite librairie, tenue par des étudiants, qui ne proposait que de ça ou des ouvrages en rapport avec nos études. Ça a attisé ma curiosité (la fameuse). Il y en avait plein, sur des sujets différents, et ça semblait passionnant ! Sociologie (dont j’ai appris l’existence de la discipline à la fac, on est ignorante et de droite ou on ne l’est pas), histoire, psychologie… J’étais aux anges. Une vraie caverne d’Ali Baba !

En parallèle, je m’intéressais au féminisme sur Internet. Il est donc logique que je me sois tournée vers des essais sur le sujet… mais pas trop non plus, je devais me procurer des ouvrages sur mon domaine d’études et qui dit étudiant·e dit précarité… Je n’avais pas les moyens et pas le temps non plus.

Mais progressivement, en lisant des choses sur Internet, j’ai pu réfléchir… et on vient à la qualité manquante chez les témoignages de gens passés de la gauche à l’extrême-droite. Mon empathie m’a permis de prendre en compte les oppressions, même celles qui ne me concernaient pas (plus ou moins, mon privilège de race n’est pas anodin…). Et eux, c’est tout l’inverse ! Quand ils expliquent pourquoi ils ont fait ce cheminement, ils dénoncent le fait de pointer du doigt ce qui ne va pas, d’être cancelled (la remise en question, c’est comme le changement, c’est pas pour maintenant).

Les mecs ne pensent qu’à leur gueule ! Et ne veulent pas qu’on signale leurs défauts. Sachez (c’est juste mon opinion) que, même si ce n’est pas automatique, ne s’intéresser qu’à ce qui nous concerne (la lutte des classes et l’écologie concernant les mecs cis blancs), c’est s’enfermer dans une sphère étroite et risquer de virer facho parfois. Et même si ce n’est pas le cas, tu deviens un cas problématique pour les personnes oppressées (enfin, t’en étais déjà un mais tu n’arranges pas ton cas).

Une fois mes études terminées, j’ai repris la lecture, d’abord de romans, ensuite d’essais. Comprendre le monde est essentiel pour moi, ça passe par la fiction et la non-fiction. Mais j’avoue aussi vouloir comprendre la société humaine et les animaux d’abord. Mes essais sont donc principalement sur les oppressions sociales, l’écologie, l’antispécisme… Curiosité mais limitée par mon empathie (et oui, qui l’eût cru ?).

J’ai aussi continué mes découvertes sur Internet. Tout ça combiné au fait qu’on m’a enfoncé durant quasiment toute ma vie… Ça m’a fait réfléchir. J’ai compris qu’être de droite quand on vient d’en-bas dans l’échelon social, ce n’était pas être du bon côté de la barrière. Que ça ne permet pas de se défendre correctement et qu’on tend même le bâton pour se faire battre. La sociologie m’a permis de comprendre pourquoi je pensais politique de droite avant, ainsi que les autres. J’ai aussi vu d’autres vécus que les miens, qui m’ont intéressé, intrigué (femme blanche cis hétéro venant d’un milieu fermé d’esprit, sivouplé, l’inculture était pas loin du max).

Quand je lis des témoignages de l’inverse, je juge à mort, aha. Ça pourrait être compréhensible vu l’obsession des médias avec l’extrême-droite (et puis bon… les néolibéraux, quoi) mais quand on regarde plus en détail, ces personnes-là sont privilégiées. Pas toujours énormément mais ça pourrait être pire. Eux, ce qu’ils voient, c’est que ça pourrait être mieux et qu’on leur propose d’écraser des gens au passage pour améliorer leur situation personnelle, mais ce fait ne les émeut pas plus que ça. C’est ce qu’on m’a enseigné en cours d’économie : pour qu’il y ait des gagnants, il faut qu’il y ait des perdants. CQFD.

La prochaine critique que je veux faire démonte l’image de preux chevalier qu’ils ont voulu se donner. Ils étaient de gauche ? A quel niveau ? La lutte des classes ? Ok, super, on ne va pas aller bien loin avec ça. L’humanisme dont ils se revendiquaient à l’époque ne se limite pas qu’aux hommes cis blancs hétéro. C’est leur manque de solidarité qui les a conduits à l’extrême-droite.

J’ai viré à l’extrême-gauche en parlant avec des gens ouverts à la discussion, pas avec les clichés grandes gueules qu’on a en tête (même s’ils existent, snif). Et grâce à mes lectures. L’ouverture d’esprit sur le monde m’a aidé à y voir plus clair.

Par contre, comme je viens d’un environnement de droite, je me sens très souvent seule… Heureusement qu’Internet est là pour modifier cette perception (même si, de temps à autre, ça revient, ce sentiment de solitude).

Et pourquoi l’extrême-gauche ? Pourquoi pas la gauche social-démocrate ? J’ai été modérée pendant de nombreuses années et je remarque qu’on me reproche ma radicalité maintenant… Est-ce que ça bouge vraiment du côté de cette gauche ? Est-ce que les mesures qu’iels promettent sont en mesure (quand elles sont appliquées) de changer quoi que ce soit à des structures oppressantes telles que le racisme ou le sexisme ? En fait, c’est l’observation et l’expérience qui parlent sur ce coup-là.

Vous avez beaucoup évolué sur vos perceptions politiques ? Venez-vous d’un milieu militant, indifférent mais avec des idées quand même ou « apolitique » ? Hâte de lire vos réponses ! Et n’hésitez pas à poser des questions (pas trop personnelles quand même), j’ai fait léger exprès pour ne perdre personne.

6 réflexions sur “Mon évolution politique : de la droite à l’extrême-gauche

  1. Votre article est passionnant. D’autant plus que votre témoignage est rare. Je pense que la désaffection des gens à gauche vient du fait que la gauche au pouvoir se comportait comme le centre droit et les électeurs ne voyaient plus trop de différences. Si l’on excepte quelques mesures sociales. La radicalité est une tentative pour retrouver une identité je pense. Merci beaucoup pour votre article. Anna

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    • Bonjour et merci beaucoup pour votre commentaire 🙂
      Vous avez raison et je pense que la réalisation devait être encore plus rude pour les personnes de gauche convaincues d’ailleurs. Moi, je n’ai fait que naviguer et découvrir xD
      Bonne journée !

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  2. Pour une raison inconnue, je n’arrive pas à liker ton article pour le moment, mais sache que le cœur y est !

    Ton témoignage est super intéressant, ça n’a pas du être évident de remettre en question les idées avec lesquelles tu as grandi. Et même si ta famille est de droite, est-ce que tu as l’impression de réussir un peu à faire bouger les lignes sur certains sujets ou est-ce qu’iels restent hermétiques ? Je ne sais pas si vous discutez beaucoup de politique ensemble, mais ça doit être dur de trouver l’équilibre entre défendre tes idées et rester en bons termes avec elleux.

    Personnellement je viens d’une famille de gauche et je suis entourée de personnes de gauche. J’ai l’impression d’avoir toujours été de gauche, même si ma conscience politique s’est réellement réveillée à partir de la fin du lycée/le début des études sup.

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    • Oh ben t’inquiètes, ça m’est déjà arrivé de pas pouvoir liker un article ! Et merci de m’avoir lu !

      Non, ils sont complètement hermétiques :/ et je ne parle pas trop de politique avec eux (sauf quand ça me titille trop, je craque) parce que ça part vite en engueulade (et pas de mon côté). Pour ma paix intérieure, j’évite. Puis comme j’habite encore chez mes parents, j’évite que ce soit trop tendu.

      Ah ouais, donc tu peux parler sereinement avec tes parents, c’est cool :O
      Visiblement, tu n’as pas changé d’avis depuis 😀

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  3. Merci pour ton récit, je trouve toujours ça super intéressant d’avoir des témoignages sur les trajectoires politiques ! Concernant les récits de passage « de la gauche vers l’extrême droite », je suis d’accord que c’est important de se pencher un peu sur l’appartenance de ces personnes à la gauche…est-ce que c’était juste un vote aux élections, une idée générale d’égalité ou d’humanisme (des fois c’est même loin de la lutte des classes)…

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    • Merci pour ton commentaire ! Oui, je me pose des questions similaires sur eux, le vote à gauche était-il une manière de se faire passer pour quelqu’un de bien ? Mais c’est peut-être un peu trop réducteur de s’en tenir qu’à ça…

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