
Si vous êtes sur Instagram, vous connaissez sûrement Irene (prononcez Iréné), mieux connue sous le pseudo @irenevrose. J’ai déjà parlé de son premier livre d’elle, La terreur féministe.
Voici le deuxième livre rédigé exclusivement par elle. Celui-ci va être divisé en quatre parties : le féminisme contre le capitalisme, le féminisme contre la prison, le féminisme contre le fascisme et le féminisme anarchiste. Tous ces chapitres seront rapprochés de l’histoire de son arrière-arrière-grand-mère, Hilaria, dont le livre porte le nom et ce n’est pas pour rien. L’histoire de cette femme peut traverser ces sujets sans problème : elle a fait de la prison (parce que ses fils étaient des « rouges »), a vécu directement le fascisme avec Franco, a subi les conséquences néfastes du capitalisme en tant que femme précaire, etc.
Ces éléments qui peuvent paraître anodins donnent de la matière, quelque chose de vivant, à des textes sur des problématiques connues pour certain·es d’entre nous. C’est un vrai travail de mémoire qu’a fait Irene (même si elle ne peut pas tout savoir, comme nous tou·tes à d’autres niveaux). Elle rappelle que l’Histoire n’est pas composée que de « grands » hommes (dont l’histoire est écrite par d’autres hommes) mais que des personnes du quotidien en sont aussi une bonne partie, et même une très bonne partie car sans elles, pas d’Histoire. J’ai trouvé ça très important de rappeler la valeur des « petits » car d’habitude, la majorité a été biberonnée à l’autre discours.
Souvent oubliées après leur décès, ces personnes sont pourtant porteuses des mœurs et de l’ambiance de leur époque. Elles incarnent l’Histoire. Elles sont l’Histoire. Cette Histoire vivante.
A ce propos, elle parle du silence généralisé sur cette période de l’histoire, sur la dictature de Franco et avant, la guerre civile en Espagne. D’ailleurs, les personnes que ça arrange, ce silence, en profitent pour laisser des éléments glorifiant cette dictature, comme des noms de rue en référence à cette histoire. L’inexistence de cette mémoire (car c’est de cela qu’il s’agit quand on n’en parle pas) contribue à laisser le fascisme et ses supporters dire que finalement, c’était pas si mal et à nier les souffrances que cette période de l’histoire a engendré.
Irene rappelle que le fascisme est bien contre les femmes. Genre les femmes n’ont jamais travaillé et leur place est au foyer… alors que pas du tout : les femmes ont travaillé dans les usines au XIXème siècle (le capitalisme en a bien profité au début, avant de dire qu’il fallait que les femmes restent au foyer – lire le livre Le capitalisme patriarcal à ce sujet – ce qui montre que le capitalisme et le fascisme sont sur la même longueur d’ondes quand il s’agit d’opprimer les femmes). Avant, elles travaillaient dans les champs, dans l’artisanat… Allez, à d’autres. Et genre s’occuper des enfants, faire le ménage, ce n’est pas du boulot…
Le féminisme qu’on connaît tou·tes, le féminisme blanc, bourgeois et réformiste, en prend un peu pour son grade, surtout quand l’autrice parle d’un féminisme contre le capitalisme. Elle démontre qu’il est inoffensif, voire contreproductif. Après tout, les tenantes de ce féminisme (majoritaire dans les médias, on se demande pourquoi) ne s’attaquent pas vraiment aux causes systémiques de l’oppression envers les femmes (dont le capitalisme qui profite allègrement du patriarcat – le féminisme bourgeois y participe aussi) et prétendent que leur vision du féminisme, celle qui met plein de personnes sur le bas-côté, est universel et concerne tout le monde… Alors que non, pas du tout.
D’où la nécessité d’un féminisme anarchiste. Comme le dit l’autrice, ça ne sert à rien de réformer un système qui est basé sur notre oppression. L’objectif le plus optimiste avec ça, c’est de réduire notre exploitation… Et d’instaurer une parité dans les structures de pouvoir : donc permettre à certaines femmes privilégiées d’exploiter d’autres personnes, exactement comme les hommes… Et seulement en partie (je me souviens plus si elle l’a dit, j’exprime mon point de vue, partagé par d’autres) : les femmes au pouvoir devront avoir les mêmes idées que les hommes… Quel intérêt, même pour ces privilégiées, à part l’illusion de pouvoir être au-dessus ? Ce seront toujours les hommes qui imposeront leurs vues. Le patriarcat a de beaux jours devant lui.
D’ailleurs, Irene mentionne et cite souvent des personnalités féminines de l’anarchisme : Emma Goldman, Voltairine de Cleyre, Louise Michel… C’est le moment de prendre des notes ! De plus, l’anarchisme a besoin du féminisme car le mouvement est gangréné par le virilisme…
Le sujet qui me paraît le moins évident (et le plus intéressant à lire du coup), c’est le féminisme contre la prison. Quand on s’intéresse un peu au féminisme, il nous paraît évident d’envoyer les agresseurs sexuels, les violeurs, les auteurs de féminicide, en prison. Mais c’est un peu plus compliqué que ça. Les chiffres montrent que ça ne fonctionne pas (l’autrice en donne quelques-uns).
De plus, elle souligne l’instrumentalisation que fait le gouvernement du féminisme pour imposer sa politique sécuritaire qui consiste surtout à enfermer les personnes qui ne lui conviennent pas, autrement dit les personnes précaires, racisées et autres personnes minorisées. Le gouvernement français, classiste et raciste ? Je n’ose y croire ! (ok, j’arrête le sarcasme ici) Dans cette partie, Irene nous donne nombre d’exemples de ce dont l’État/la monarchie est capable.
Ce n’est pas un sujet que je connais encore très bien, donc ne comptez pas sur moi pour défendre à tout prix ce point de vue en commentaire mais je trouve qu’il est intéressant à lire et à prendre en compte. Je pense que l’autrice s’est bien débrouillée. Il faudra cependant poursuivre votre exploration du sujet avec d’autres livres (Pour elles toutes : femmes contre la prison de Gwenola Ricordeau se trouve d’ailleurs dans ma PAL).
C’est un livre qui fait une centaine de pages, simple et facile à lire pour des sujets qui paraîtraient « trop » radicaux. Je vous laisse donc deviner qu’il n’y a pas de langue de bois dans cet ouvrage, même si l’autrice reste gentille et pédagogue. J’aurais bien aimé lire un tel livre il y a deux ou trois ans… Pas au début de ma découverte du féminisme, le choc aurait été terrible, et le déni et la colère auraient été à la hauteur de cette même secousse psychologique, c’est-à-dire violents. Mais quand on commence à être frustrée de ne rien voir bouger (surtout les hommes cis), c’est une bonne idée de lecture… et une bonne idée cadeau aussi !