
Ceci est une relecture dans le cadre de mon deuxième mois relecture. Je l’avais lu pour la première fois en 2013, j’étais encore une petite conne islamophobe mais la différence avec les racistes purs et durs, c’est que je me posais des questions. Et en particulier sur le voile. Mon avis n’était pas arrêté tant que je n’en savais pas plus.
Hé bien… A part dans la conclusion à la fin du livre, ça ne parle jamais du voile, ce qui montre bien que ce n’est une problématique qu’en France (et qui date de la colonisation pour le point culture). Et ce dont ça a parlé de toute façon… Je n’avais pas besoin de propos plus spécifique. Comme je l’ai plus ou moins dit, j’avais des préjugés islamophobes et cet essai a mis les choses en ordre dans ma tête.
L’autrice y a compilé des textes et des entretiens avec des spécialistes (au féminin) de différents pays musulmans (y a pas que le Moyen-Orient dans la vie), l’Égypte et la Malaisie entre autres. Cela a commencé avec les bases de ce qu’est le féminisme islamique, qui n’est pas la même chose pour tout le monde. Certaines personnes pourraient s’en revendiquer mais ne le font pas car elles ont un problème pour se qualifier en ce terme.
Et ce n’est pas le féminisme blanc bourgeois non plus, qui est d’ailleurs un opposant aux féminismes islamiques, bien que le propos du livre ne s’attarde pas dessus.
Non, le livre s’occupe plutôt, à travers la diversité des intervenantes, de nous expliquer ce que sont les féminismes islamiques, comment ça se déroule, quel est l’intérêt de ces mouvements. Il s’agit de chercher dans les textes sacrés (et non pas les interprétations forcément subjectives et ancrées dans une vision patriarcale) la source et la justification de l’égalité des genres. La volonté d’un égalitarisme et pas que sur le plan du genre d’ailleurs, ça se recoupe avec d’autres luttes.
Le féminisme islamique est controversé. D’un côté, il est contesté par celles et ceux parmi les féministes qui considèrent que la religion, tout particulièrement l’islam, comme antinomique à l’émancipation des femmes. Toutes les religions seraient patriarcales, la religion musulmane par-dessus tout, et la lutte pour l’égalité des sexes passerait nécessairement par une mise à distance du religieux. De l’autre côté, un certain nombre de musulman·e·s considèrent qu’il s’agit d’une occidentalisation de l’islam et appréhendent la pensée musulmane comme un cadre fini, hostile à toute dynamique de renouvellement et de relecture. Le féminisme musulman se heurte donc à un même essentialisme : celui qui définit l’islam comme une réalité statique, fondamentalement dogmatique, intrinsèquement sexiste, et le féminisme comme modèle unique, avatar d’une modernité occidentale normative.
Donc en plus de se taper les crétin·e·s occidentaux·ales qui n’y connaissent rien mais ont décidé de parler quand même (comme sur beaucoup d’autres sujets), les féministes islamiques doivent aussi gérer les musulman·e·s de leur pays (et pas que les fondamentalistes) qui ne souhaitent pas bouger. Qui confondent toujours ce qui relèvent du sacré et des interprétations, ces dernières sont même devenues sacrées aux yeux de certains. Il y a aussi les laïques de leur pays, qui voient l’islam de la même manière que les Occidentaux·ales : quelque chose d’immuable et de profondément oppressif. Celleux-là aussi, faut aller au combat avec. Et tout ceci correspond bien au féminisme blanc occidental qui a aussi besoin de cette vision raciste et essentialiste pour prospérer au détriment des femmes encore plus opprimées qu’elles (qu’elles ne voient que par le prisme de la religion, paye ta libération).
Et c’est bien dommage qu’on soit aussi obtu·e·s sur l’islam car il y a vraiment des choses intéressantes. Il y en a pas beaucoup mais quelques textes sont présentés dans le sens d’une égalité homme-femme. On peut donc voir que c’est bien vrai !
Un truc qui m’a surprise car je n’y avais pas réfléchi, c’est que si Allah n’est pas représenté, c’est pas plus mal car les visions patriarcales d’un dieu mâle ne peuvent pas fonctionner (prends-toi ça dans les dents, la hiérarchie des genres).
A travers les textes, on voit aussi à quel point l’Occident a une vision raciste et dépassée des pays « musulmans » (sachant qu’elles sont loin d’être toutes des théocraties, faut se calmer au bout d’un moment). Et ça n’empêche pas des hommes musulmans avec du pouvoir d’allègrement confondre sacré et interprétation et faire passer des lois contre les droits des femmes, à l’encontre même du message du Coran. Les ennemi·e·s sont des deux côtés.
« Le livre explique aussi que la révolution féministe des féminismes occidentaux et des féminismes occidentaux n’est pas identique dans leurs revendications. Construction historique et culturelle : si les féminismes occidentaux réclament une distanciation du religieux, ce n’est pas le cas des féminismes islamiques évidemment. Le rapport au corps n’est pas le même. (si vous critiquez le concept « d’universalité », il se peut que ce livre vous intéresse)
Mais ce qui est positif, c’est que l’émergence de l’islam (ou plutôt d’une certaine vision de l’islam) a voulu, certes, enfermer les femmes, réduire leurs droits, mais leur a aussi offert des tribunes publiques, ce qui est assez paradoxal (pas partout, certes). Et le besoin de laïcité, de séparer l’église de l’État, on va dire. La mosquée de la politique, si vous préférez.
Est-ce que ce livre est exempt d’essentialisme ? Hmm… Je pense que c’est son objectif mais qu’il y a quand même eu des erreurs. Le seul truc ouvertement transphobe que j’ai vu, c’est que seules les femmes peuvent enfanter (ah bon…) mais ça date de 2013 et ça a été balancé vraiment innocemment, je pense que ça peut passer. Y a une ou deux réflexions qui peuvent tendre vers là, mais rien de vraiment problématique. (après, ceci est la conclusion d’une femme cis)
Ce livre est donc très instructif, même s’il ne correspondait pas à mes attentes de l’époque, aha. C’est pas plus mal car ça m’a fait comprendre d’autres choses plus importantes, ça m’a apporté une vision plus globale.
Aujourd’hui, une nouvelle édition existe, avec une autre couleur pour la couverture, l’introduction retravaillée et un nouveau texte. Un peu jalouse mais pas assez au point de remplacer mon édition.
En tout cas, c’est un très bon livre, que j’ai trouvé assez complet. Je vous le recommande !