J’ai lu deux livres sur l’improductivité du pacifisme seul érigé en seule méthode qui fonctionnerait (alors que…).

Comment la non-violence protège l’État, de Peter Gelderloos

Le premier est écrit par un philosophe et militant libertaire. Il est accessible sur le fond mais moins sur la forme ! Pas qu’il soit difficile à lire mais le ton n’est pas toujours très sympathique, on sent la rancœur du militant envers les pacifistes purs et durs.
Vu ce qu’il dit, ce qu’il démontre, on peut comprendre la frustration. On y trouve un avant-propos de Nicolas Casaux (c’était clairement pas obligé, ça) et une préface très intéressante de Francis Dupuis-Déri (un super mec, celui-là).
Ensuite, on a le développement de l’auteur qui explique les grosses faiblesses du pacifisme qui serait la seule et unique solution, la plus acceptable. Ben écoutez… Allez dire aux personnes racisées, aux femmes et autres minorités de tendre la joue éternellement, on va bien rigoler. Le manque de respect, les violences physiques, aucun problème pour certain·e·s à les tempérer vu qu’iels ne les vivent pas.
Il utilise des statistiques, des exemples pour montrer que pour les personnes concernées, ce n’est clairement pas une solution viable. Il y a par exemple beaucoup de chances qu’une personne racisée soit violentée lors d’une manifestation (alors qu’elle n’a rien fait) qu’une personne blanche. Le pacifisme est donc une posture privilégiée. Et non, iels ne sympathisent pas avec la violence que le manifestant a subi, les pacifistes organisateurs de la manifestation préfèrent se ranger du côté de l’État pour montrer patte blanche : leur intérêt est de montrer que leur volonté n’est pas de foutre le bordel. Et ils avalent des couleuvres en échange, ils obtiennent quasiment rien. Ça a l’air de les satisfaire, pourquoi l’État et les autres oppresseurs se gêneraient ?
Mais cette façon de faire est assez inepte (l’auteur ne renierait pas la façon dont je le dis) : il n’y a rien d’utile à faire ça du coup si rien n’est obtenu réellement (ou un « compromis » dans le meilleur des cas, jamais à leur avantage). Avec de nombreux exemples, l’auteur démontre en quoi le pacifisme ne fonctionne pas, à travers des manifestations, qui pouvaient réunir un certain nombre de personnes… Et après ? En plus, s’iels ne répliquent pas violemment à la violence d’État en face, représentée par les garants de l’ordre comme les flics, pourquoi ça empêcherait ces derniers de continuer ? Si leur répression est efficace et que des gens abandonnent la lutte ? De plus, comme iels sont inoffensifs, la répression reste moindre, ce qui ne signifie pas que cela fonctionne vu que l’objectif ne sera pas atteint finalement.
Il prend aussi les fameux exemples de preuves que les pacifistes utilisent pour montrer que leur tactique fonctionne afin de les démonter et de montrer que l’omission malhonnête est monnaie courante. Gandhi en Inde, le mouvement pour les droits des Afro-Américains dans les années 60… et d’autres vont passer à la moulinette. L’auteur va surtout montrer que c’est la diversité de tactiques (violentes et non-violentes) qui a mis la pression pour obtenir l’indépendance de l’Inde et le Civil Rights Act, entre autres. Juste prôner le pacifisme à tout prix est donc ridicule d’un point de vue pragmatique.
Ce livre était donc très intéressant, avec une diversité d’arguments que je ne peux retranscrire ici. Au niveau du ton employé, je ne le conseillerais pas à tout le monde. Si vous êtes pacifistes et avec un ego qui vous rend colériques, passez votre chemin car l’auteur n’hésite pas à donner des coups. C’est dommage car le fil de l’argumentation est vraiment bien réalisé mais les piques de l’auteur risquent d’en bloquer quelques-un·e·s.
Comment saboter un pipeline, d’Andreas Malm

Par contre, celui-ci peut s’adresser à plus de monde. Mais contrairement au précédent, il se focalise sur une lutte en particulier : l’écologie.
Il va commencer par parler des luttes passées, et pas que pour l’écologie. J’ai appris des choses sur Gandhi, pfuaaah. Arrêtez de l’utiliser comme référence, les pacifistes, vous vous enfoncez si vous êtes face à une personne au courant.
On retrouve ce que disait déjà Peter Gelderloos : le pacifisme est une position morale et privilégiée. Là encore, des exemples dans l’histoire sont données (j’ai trouvé que c’était démontré de façon plus générale dans le premier livre, comme quoi il y a à boire et à manger dans les deux).
Andreas Malm parle aussi de l’évolution négative de l’idée qu’on se fait de la radicalité, de la révolution :
L’insistance pour balayer le militantisme radical sous le tapis de la civilité – qui domine aujourd’hui non seulement le mouvement pour le climat, mais une grande part de la pensée et de la théorisation anglo-américaines des mouvements sociaux – est elle-même un symptôme d’un fossé extrêmement profond entre le présent et tout ce qui s’est passé entre la révolution haïtienne et les émeutes contre la poll tax : celui de la fin de l’idée révolutionnaire. C’est à peine si elle existe encore comme une praxis vivante dans les mouvements puissants ou comme un faire-valoir pour leurs revendications. Alors que de 1789 à 1989 environ, l’idée révolutionnaire a gardé son actualité et sa potentialité dynamique, depuis les années 1980, elle a été diffamée, ringardisée, désapprise et déréalisée. S’en est suivie une déqualification des mouvements, dont la répugnance à évoquer la violence révolutionnaire est une composante. Telle est l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement pour le climat : la victoire historique du capital et la ruine de la planète sont une seule et même chose. Pour nous en sortir, nous devons réapprendre à nous battre, à l’heure qui pourrait être la plus défavorable de toute l’histoire de la vie humaine sur cette planète.
Il souligne aussi qu’à force de voir que les actions pacifistes sont vaines alors que le risque est énorme (la mort de l’humanité), les gens risquent de passer à des méthodes plus violentes… Donc c’est même pas que des personnes choisissent la violence car iels le sont, mais parce qu’on ne leur laisse pas le choix. Et là aussi, l’auteur montre l’efficacité de ces méthodes.
Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteur explique comment « combattre le désespoir » (titre du chapitre). Avant d’en arriver au fait, il montre du doigt les champions du fatalisme qui disent que tout est foutu et qu’il faut se préparer à mourir (il n’y a aucun appui scientifique de ça en plus).
Finalement, cette partie reprend un peu ce qui a été abordé avant, genre le sabotage, qui va au-delà des vitrines cassées. Si ces dernières vous choquent, sachez que ça n’a souvent qu’une portée symbolique et que ce n’est strictement rien par rapport à d’autres actions qui sont réellement violentes, elle.
Un livre que j’ai trouvé plus sage et plus prudent sur le ton, même s’il ne se focalise que sur un seul sujet. Mais c’est un sujet qui nous concerne tou·te·s. Par contre, je suis d’accord quand il dit que l’écologie profonde s’est décrédibilisé mais aussi… la libération animale ? Aucun rapport avec l’écologie ? Allez, l’angle mort de la majorité des personnes écolos : la question animale. Bien sûr que si que ça a un rapport avec la crise climatique.
Ça permettrait de baisser les énormes émissions de CO2 des élevages pour commencer et ensuite, ça permettrait de penser notre rapport aux animaux autrement qu’en disant juste vaguement « j’aime les animaux » comme toute personne qui aime manger de la viande et du poisson sans réfléchir au-delà. Il faut construire une nouvelle société, qui passe forcément par cette réflexion-là. Bon, vu que la question éthique envers les animaux passe au-dessus de la tête de beaucoup, on va se concentrer sur l’intérêt humain. Maltraiter les animaux revient à nous amener à maltraiter les plus faibles d’entre nous aussi. C’est bon, cet argument vous titille suffisamment ?
Un livre que je vous conseille, tout en gardant à l’esprit qu’un ou deux trucs risquent de vous déplaire.
Je profite de cet article pour y insérer un avis personnel. Je suis pour la violence des actions mais il va falloir, dans les cercles militants, tout de même classer les types de violence. Pour dire que ça a son efficacité, il y a du monde, pour dire que tout ne se vaut pas, y a plus personne. Par exemple, la violence envers autrui, dans quel cas ? Envers qui ? On la condamne ou pas ? Le sabotage d’une usine qui produit des choses essentielles, est-ce vraiment utile ou contreproductif car il y aura forcément des dommages collatéraux (je ne pense pas aux dirigeants de l’usine, osef) ? Comment on peut créer une stratégie qui prenne ce fait en compte ?
Je soulève cette question car la précipitation est plus le mot d’ordre, j’ai l’impression. Et puis pour minimiser ce que le FLN a fait en Algérie parce que l’objectif a été atteint, bah c’est pas ce qui manque non plus…
Bref, deux ouvrages qui font réfléchir, qui apprennent des choses mais je rappelle quand même que sur ces questions, on ne peut pas se contenter de certaines opinions, même quand on est globalement d’accord.
J’avais repéré ces livres en librairie, merci pour ces retours ! Je verrai si j’ai l’occasion de les lire prochainement, en tout cas ils m’intéressent. Et merci de partager également ton avis perso ; j’avoue ne pas avoir encore assez réfléchi à la question pour en discuter, le sujet me semblant tellement complexe.
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Oui, voilà, c’est assez compliqué et je pense que ça ne peut se faire de manière efficace que dans un collectif militant. Et de rien !
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Le collectif est une force d’action mais aussi de réflexion, je ne peux qu’être d’accord avec toi 😉
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Coucou ! Si Gelderloos est un brin en colère, c’est parce qu’il a passé 6 mois en prison à la suite d’une manifestation. Son second ouvrage, L’Échec de la non-violence, est à mon avis plus accessible : il étudie une trentaine de mouvements sociaux des 20 dernières années à l’aune de 4 critères qu’il a définis, et sa conclusion générale est effectivement que les mouvements ayant adopté la non-violence comme seule méthode d’action échouent plus globalement à atteindre leurs objectifs, ils font plus de compromission avec l’Etat. Au fil des années, j’ai vu un grand changement de réaction autour de cet auteur (tu sais je suis libraire bénévole aussi). A sa sortie, les gens étaient très offusqué·es, surtout les personnes les plus âgées. Mais l’idée de la légitime défense a fait son chemin. Je trouve ça très intéressant ! Quant à l’autre livre, je ne l’ai pas lu, malheureusement il n’est pas dispo en bibliothèque. A tout bientôt !
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Salut ! Oui, j’ai cru comprendre qu’il avait passé du temps en prison
Dis, tu conseillerais le deuxième même si on a lu le premier ? Pour le changement de réaction, tu fais bien d’en parler, l’auteur le disait mais je savais pas trop s’il fallait le croire 😁 Oh, il est pas dans ta bibliothèque, celui-là ? Dommage…
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Coucou ! Si tu as trouvé que le premier livre n’était pas toujours très clair, alors ça vaut le coup de lire le second 🙂 Non, il me faudra l’acheter à l’occasion, ou d’occasion hihihi !!
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Je l’ai trouvé clair mais par curiosité, pourquoi pas… Et s’il est plus accessible, je pourrais le recommander !
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