Une affaire personnelle, de Kenzaburô Ôe

Résumé

Empreint d’une étrange violence intérieure, Une affaire personnelle est un roman cruel et douloureux : Bird, le héros de cette bouleversante histoire, a vingt-sept ans et son épouse vient de mettre au monde un enfant anormal. Déchiré par des sentiments contradictoires, dont l’immense tentation de se débarrasser du nouveau-né, le jeune père ira-t-il jusqu’à tuer de ses mains le bébé monstrueux ?
Durant trois longues journées, Bird cherchera en vain dans l’alcool et les bras d’une possible « complice » la force de mener à son terme sa fuite en avant…

Chronique

Vous l’avez lu au-dessus : Bird, le père, le personnage principal, va voir son bébé à la maternité, sa femme vient juste d’accoucher. Il a une grosseur anormale à la tête, on dit d’abord qu’il a une hernie cérébrale, comme deux têtes à la place d’une (c’est expliqué grossièrement, c’est pas ça du tout, mais ça participe à sa qualification validiste de « monstre »). Les professionnels de la clinique sont clairement dramatiques et validistes comme des soignants ne devraient pas l’être : et vas-y que ça dit que ce serait mieux que le bébé meurt… Bird ne répond rien mais ses pensées le guident vers la même conclusion… Et vas-y qu’ils te parlent de l’autopsier quand il sera mort parce que c’est rare… Et ils osent dire ça devant le père, normal !

Heureusement, le bébé est transféré dans un hôpital où le médecin va clairement montrer sa désapprobation envers le souhait du père que son fils meurt. Bird ne se sent pas père, n’était déjà pas sûr de lui avant qu’il naisse, alors maintenant qu’on sait qu’il est « anormal », vous pensez bien… Il ne le nomme même pas. De toute façon, il va bientôt mourir selon les soignants (surtout ceux de la clinique), quelle est l’utilité de nommer cette « chose » ?

Je crois que vous avez compris qu’il y a pas mal de termes et de pensées validistes dans ce roman. L’auteur ne les valide pas (il a eu un fils avec un retard mental, ce roman a été écrit à cette occasion qui a été un gros choc dans sa vie, il adore son fils, ne vous méprenez pas). Mais c’est le cheminement du personnage principal qui ne supporte pas l’idée que son fils soit « anormal » et les conséquences qui iront avec (il serait temps d’accuser la société validiste mais non, ça n’a pas l’air d’être le projet).

On observe la fuite en avant de Bird (la pauvre femme et nouvelle mère, on la voit très peu et elle n’est même pas au courant de ce qu’il se passe vraiment) qui a une passion pour l’Afrique, veut s’y rendre et voit ses économies partir en fumée pour payer une somme à l’hôpital pour ce fils qu’il ne souhaite pas. De plus, il rejoint Himiko, une amie qui devient son amante.

Comme il est souvent avec elle, on assiste au déroulé de ses pensées, mais aussi de ce qu’il fait (il travaille dans une sorte d’université) et en plus, c’est un ancien alcoolique. Ce qu’on constate très souvent, c’est à quel point il est méprisable, égoïste et lâche. Mais ne le jugez pas trop non plus. A titre personnel, je pense qu’une grande partie de ses remarques honteuses et cruelles se trouve au plus profond d’une partie d’entre vous. La société est tellement validiste et eugéniste, vous avez cru pouvoir y échapper comme ça ?

Tout ceci est assez cruel, poisseux et douloureux à lire mais une nouvelle fois avec Kenzaburô Ôe, ça va gratter quelque chose chez vous. Il nous met toujours mal à l’aise mais c’est pour mieux explorer les tréfonds de notre âme (je note une focalisation sur le sexe qui ne plairait pas à tout le monde, mais il ne retranscrit pas les choses de la même manière que tout le monde). Ah oui, si vous pensez le lire en prenant plaisir à la lecture, passez votre chemin. Il n’hésite pas (dans aucun des livres que j’ai lu de lui d’ailleurs) à user de mots crus, de formuler les choses de manière brutale, choquante.

Dans ce livre, il est clairement question de prendre ses responsabilités ou non : alors, clairement, ça part mal mais je vous laisse découvrir la suite.

Ce livre donne de mon avis une leçon aux personnes valides (mais pas que car il ne s’agit pas que de prendre ses responsabilités pour son fils), tout en étant imparfait niveau validisme : et puis faut pouvoir lire les réflexions validistes d’un pauvre type comme Bird ! (et pas que lui malheureusement) Et aussi ses autres lamentations, il est antipathique, vraiment… Donc je pense que ça va dépendre de la sensibilité de chacun·e pour les personnes handicapées. C’est quand même assez difficile à lire, donc je comprendrais tout à fait qu’il y en ait qui me disent qu’iels abandonnent.

En tout cas, ça a aussi son côté plaisant à lire, surprenamment, dans le sens où je trouve que l’auteur sait finement jouer avec les réflexions apportées. C’est toujours très intelligent, et si c’est lourd, c’est normal, l’auteur est juste brillant à retranscrire la pression de la société. Je ne pense pas que tout le monde aimera Kenzaburô Ôe car ce qu’il écrit est quand même assez violent mais c’est tellement pertinent malgré ça que vous serez beaucoup à passer outre.

Publicité

5 réflexions sur “Une affaire personnelle, de Kenzaburô Ôe

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s