Notes d’Okinawa, de Kenzaburô Ôe

Résumé

Dans les années 1960, Ôe Kenzaburô fait plusieurs séjours sur l’île d’Okinawa, noue des liens particuliers avec ses habitants. Ce carnet de voyage est le miroir de son désarroi moral face aux traumatismes subis par cette île. C’est aussi une critique implacable de la domination coloniale du Japon de la métropole envers ces territoires excentrés. Annexée par le Japon à la fin du XIXe siècle, l’île d’Okinawa a été le théâtre de la dernière et la plus sanglante bataille de la deuxième guerre mondiale, qui a décimé plus d’un quart de la population, avant d’être placée sous administration américaine, qui y établit des bases abritant des armes atomiques et biologiques.
Ôe Kenzaburô, dans ce texte âpre, lyrique et désolé, est une voix sans concession, portée par les rencontres et les amitiés scellées avec les habitants de l’île, dont il détaille l’oppression et suit les combats de près. Et lorsqu’il examine les notions de paix, de démocratie, s’interroge sur ce que signifient la colère, l’empathie et le pardon, il parle à chacun de nous de questions qui nous touchent de près et pour lesquelles nous avons besoin de réponses essentielles.

Chronique

Je ne m’attendais pas à une lecture aussi excellente en commençant ce livre. Je savais que ce serait un très bon livre mais pas qu’il mériterait forcément une chronique. Et pourtant, il m’a complètement eu.

Ce n’est pas la première fois que je lis cet auteur mais jamais une non-fiction auparavant, que des romans ou des nouvelles.

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Révolutionnaires, d’Atelier des passages – les livres féministes #34

Ceci est un recueil de six témoignages de militantes de tout horizon : Uruguay, Italie, France, Suisse, Allemagne. Elles ont commencé à la fin des années 50, ou pendant les années 60. Ces militantes racontent leur histoire, que les personnes qui ont recueilli leur parole ont dû se préparer à convaincre à en dire le plus possible. Vous connaissez cette tendance à penser qu’on n’a rien fait de remarquable ? Ces militantes n’échappent pas au syndrome de l’imposteur. Et puis elles n’ont rien fait de viril, donc forcément, c’est moins bien aux yeux de beaucoup…

Ceci dit, à part dans l’introduction, on ne ressent pas ce manque de confiance en elles lors des témoignages. En même temps, elles méritent mieux que ce qu’on retranscrive ça (c’est juste mon opinion).

Elles ont participé souvent à la lutte des classes mais pas que : féminisme, écologie, droits des migrants, etc. Elles vont parler de leur vie d’engagement qui m’encourage en partie (à part une, elles avaient toutes un contexte familial de gauche). C’est très instructif, et pas qu’à propos de l’extrême-droite. Ça mettait souvent des bâtons dans les roues à ses alliées pour ses intérêts personnels, car dans le fond, certaines personnes « de gauche » ne pensent qu’à elles et sont en réalité capitalistes (ça dénonce par ici !). Donc faut éviter de dire la vérité si ça met ton employeur en face en porte-à-faux, tu risques la placardisation. Ou d’être viré·e… On comprend leur fatigue, elles ont vécu ça pendant des dizaines d’années et parfois ce sont leurs vies entières qui ont été impactés. Les syndicats sont pointés du doigt, et en même temps leur rôle d’instruments est toujours dit nécessaire par ces militantes.

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Écofascismes, d’Antoine Dubiau

Résumé

L’écofascisme semble réductible à sa fonction d’insulte politique. Cet usage masque les appropriations concrètes des enjeux écologiques par les idéologies et les organisations fascistes. Si l’extrême-droite paraît à première vue hostile à toute politique environnementale, il existe bien un risque écofasciste s’adossant à une véritable conviction écologique ainsi qu’à de robustes bases idéologiques. Contrairement à sa conception politique courante, l’écologie n’est donc pas naturellement de gauche. Le discours écologique doit être clarifié pour échapper aux différentes formes de fascisation de l’écologie.

Chronique

Ce livre retrace les dangers des écofascismes qu’on a tendance à sous-estimer car pour le moment, l’extrême-droite est plutôt carbofasciste. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas y rester vigilant·e car son arrivée est une possibilité qui va peut-être augmenter avec le changement climatique.

Antoine Dubiau va montrer comment l’écologie n’est pas naturellement de gauche. Et comment une partie de la fachosphère a repris des idées de l’écologie à son compte, en les reformulant comme bon lui semble. En même temps, la gauche n’est pas très claire et tend pas mal de perches… ce qui permet à une partie de l’extrême-droite de s’engouffrer dans la brèche, et ce, depuis les années 1970 avec la Nouvelle Droite.

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Une écologie décoloniale, de Malcom Ferdinand

Je ne vous mets pas le résumé qui est assez long, ma chronique ne va ressembler à rien sinon.

Un des meilleurs livres que j’ai lu cette année. Il m’a profondément fait réfléchir, ému et permet un recul nécessaire sur l’humanité et notre monde. La cruauté de certaines personnes depuis la fin du XVe siècle est toujours d’actualité.

L’introduction du livre s’applique à expliquer que la fracture entre l’histoire coloniale et l’histoire environnemental est très problématique (pas que, et le début du livre va rajouter des éléments à ce sujet), comme s’il y avait une différence entre les deux alors qu’elles sont liées. Elles se sont développées en partie sur cette fracture mais la réalité de l’histoire depuis 1492 est tenace et les deux sont indissociables pour certaines luttes. Malcom Ferdinand ne va pas décrire toute l’histoire coloniale (il y a bien assez d’ouvrages sur le sujet de toute façon), ce n’est pas le but de son livre. Mais il tient à ce qu’on soit au courant de ce que cela a impliqué pour le monde.

Dans la façon dont ça a impacté notre monde, il est nécessaire de parler du Plantationocène, et de la destruction de l’environnement que cela a engendré. Les colons ont tout coupé et rasé pour planter ce qu’ils souhaitaient sur des hectares de terre, détruisant ainsi l’écosystème, la biodiversité, anéantissant aussi tout ce qui fait la vie, qu’elle soit humaine ou non-humaine.

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Une histoire de genres, de Lexie

Résumé

À l’heure où les questions de genre et d’identité sont de plus en plus présentes dans l’espace public, voici un guide qui déconstruit tous les préjugés, les abus de langage, les non-sens liés aux transidentités, afin de mieux les comprendre et de donner les armes pour s’en émanciper . Car si être trans est une histoire de rapport de soi à soi, de prise de conscience individuelle, c’est aussi un rapport à des normes et constructions sociales, culturelles et historiques.

Chronique

Si vous êtes sur Instagram, je vous conseille fortement le profil de l’autrice, @aggressively_trans, on y apprend foule de choses.

Et ce livre, c’est aussi son but, en plus accessible il me semble. Clairement, il appelle à l’humilité sur le sujet. On pense savoir des choses en tant que personne cis, plus que les autres personnes cis ? Probablement pas autant que l’on croit. On se dit qu’on connaît parce qu’on connaît une personne trans ou qu’on se renseigne un peu sur le sujet… C’est pas si facile.

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Hilaria, d’Irene – les livres féministes #33

Si vous êtes sur Instagram, vous connaissez sûrement Irene (prononcez Iréné), mieux connue sous le pseudo @irenevrose. J’ai déjà parlé de son premier livre d’elle, La terreur féministe.

Voici le deuxième livre rédigé exclusivement par elle. Celui-ci va être divisé en quatre parties : le féminisme contre le capitalisme, le féminisme contre la prison, le féminisme contre le fascisme et le féminisme anarchiste. Tous ces chapitres seront rapprochés de l’histoire de son arrière-arrière-grand-mère, Hilaria, dont le livre porte le nom et ce n’est pas pour rien. L’histoire de cette femme peut traverser ces sujets sans problème : elle a fait de la prison (parce que ses fils étaient des « rouges »), a vécu directement le fascisme avec Franco, a subi les conséquences néfastes du capitalisme en tant que femme précaire, etc.

Ces éléments qui peuvent paraître anodins donnent de la matière, quelque chose de vivant, à des textes sur des problématiques connues pour certain·es d’entre nous. C’est un vrai travail de mémoire qu’a fait Irene (même si elle ne peut pas tout savoir, comme nous tou·tes à d’autres niveaux). Elle rappelle que l’Histoire n’est pas composée que de « grands » hommes (dont l’histoire est écrite par d’autres hommes) mais que des personnes du quotidien en sont aussi une bonne partie, et même une très bonne partie car sans elles, pas d’Histoire. J’ai trouvé ça très important de rappeler la valeur des « petits » car d’habitude, la majorité a été biberonnée à l’autre discours.

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Écologie : la perte de temps n’est plus permise

Cet article sonnera un peu « donneur de leçons » à certain·e·s mais il faut être honnête et réaliste. Je me suis intéressée au sujet de l’écologie en 2018 à travers deux livres sur la décroissance qui étaient très bien, là n’est pas le problème. Le problème, c’est le reste : ce qu’on nous conseille (très fortement) de lire. Franchement, comme j’étais perdue au début, je pense m’être laissée avoir (et je ne suis probablement pas la seule).

Lire Pierre Rabhi (ok, ça, je n’ai jamais fait à part à travers des articles), des collapsos ou d’autres livres sur l’écologie individuelle (qui ne remettent pas en question le système politique), tout est inoffensif et quelque part, culpabilisant envers l’individu. Il faut quand même rappeler que le consommateur/citoyen est responsable entre 25% et 30% de ce qui arrive (je donne une fourchette car c’est différent selon les sources).

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Être femme en Asie, d’Anne Garrigue – les livres féministes #32

A la base, je tournais autour de sa première sortie en grand format mais je n’étais pas convaincue que je voulais payer ce prix-là (ce n’est pas une question de radinerie mais de pragmatisme – bon, un peu, si). Je l’ai donc en poche et par rapport au contenu, ça me satisfait.

Ce livre concentre donc des informations, principalement statistiques (et sourcées), sur l’évolution des droits des femmes en Asie, sur leur situation. Tout d’abord, l’ouvrage commence par un état des lieux général (niveau santé, éducation, politique), un peu comme une sorte d’introduction, puis parle de leur présence sur ce continent.

Il va forcément être question dans ce chapitre du fait que certains pays, comme la Chine et l’Inde, privilégient les foetus, bébés et enfants garçons et que ça crée un fossé dans le ratio filles/garçons naturel en faveur de ces derniers. Mais cela créera des problèmes sociaux dont on ne connaît pas encore l’étendue, bien qu’on perçoive déjà quelques dégâts : certains hommes vont acheter leurs femmes dans des pays étrangers. Je vous laisse imaginer les conditions… Et puis la dot, toujours présente dans certains pays, est une malédiction pour bon nombre de familles qui doivent payer. Du coup, quelle est la solution ? Avoir un garçon ! Et puis l’héritage, tout ça… Et même quand la dot n’existe plus, la tradition patriarcale est très forte…

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Tout le monde peut être féministe, de bell hooks – les livres féministes #31

Oui, ça fait neuf ans et demi que je suis féministe et je n’avais jamais lu bell hooks, lancez-moi des tomates. J’ai entamé ma découverte de l’autrice avec un livre qui me paraît, avec d’autres, faire partie de bonnes entrées au féminisme. C’était d’ailleurs le but avoué de l’autrice et c’est réussi.

Les chapitres parlent d’un sujet différent à chaque fois : le combat politique qu’est le féminisme, la sororité, le travail, la race et le genre, la violence patriarcale, les droits reproductifs, le mariage, etc.

Pour un livre sorti en 2000, la majorité du contenu de son livre est très actuelle, ce qui est assez triste en réalité, ça montre qu’énormément de choses n’ont pas changé en une vingtaine d’années. Que ce soit à cause des hommes (elle est assez sympa avec eux, on en reparlera) ou aussi à cause des femmes. Nous avons intériorisé le sexisme, le patriarcat et ce n’est pas parce que nous sommes des femmes et que nous vivons une oppression que nous sommes conscientes de tout et que nous ne pouvons pas la reproduire (y a pas mal de preuves de l’inverse).

Il faut aussi apprendre à déconstruire, surtout en tant que femme blanche, les rapports de race et de classe (et pas que mais je me contente de ce qu’elle dit ici) car ces derniers sont des entraves à la libération de toutes les femmes. Non, en parler ne détourne pas l’attention de vos chères valeurs de genre, c’est bon. Oui, c’est encore parfois un argument qu’on entend encore. (quand ce sont pas celles-là, ce sont les questions de classe dont les hommes blancs viennent nous rabattre les oreilles avec)

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La peur et la haine – enquête chez les survivalistes, de Mathieu Burgalassi

Résumé

« Et on s’est mis à hurler. A pleins poumons, sans aucune retenue. Des bruits d’animaux déchaînés et furieux. De l’autre côté, ils faisaient pareil, et tout tremblait sous les coups et les cris. Il n’y avait plus de civilisation ici. On était redevenus des singes, des putains de macaques. Quand la porte s’ouvrirait, on s’entretuerait jusqu’au dernier debout… »

Livre mutant, à la fois récit de voyage, essai politique et autobiographie, La Peur et la Haine est la chronique lucide et sans concessions de son obsession pour le survivalisme. Une enquête de quatre ans, insensée et furieuse, à la poursuite des peurs les plus enfouies de l’Occident moderne.

Chronique

Ce livre est un peu particulier. Si vous vous attendez à un essai explicatif sur le survivalisme, passez votre chemin. Non, le ton de l’auteur est accessible, comme s’il s’adressait directement à nous, sur un ton qui me parle en tant que jeune. Mais la grande particularité de ce récit, c’est que l’auteur raconte des éléments pertinents de sa vie pour analyser ce qui va suivre… et comment lui-même a donné du crédit au survivalisme.

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