Scum Manifesto, de Valerie Solanas – les livres féministes #28

Je pense que les féministes en ont tou·te·s entendu plus ou moins parler : ce manifeste, sorti en 1968, est connu de par sa misandrie assumée et d’un projet qui va même au-delà de ça : renverser le patriarcat, quitte à tuer des hommes.

Valerie Solanas est passée pour une « folle » à l’époque, et beaucoup d’hommes, de femmes (et même de féministes !) ont fait en sorte que ça soit le cas. La postface de Lauren Bastide en parle bien. Seulement, comme cette dernière, je ne pense pas qu’il y ait matière à rire de ce livre ou à s’en moquer. Cette souffrance que j’ai entrevu dans les lignes de son manifeste, à travers la colère et la grossièreté, ce n’est pas drôle. Et je pense qu’il n’y a qu’une femme pour comprendre, même si elle désapprouve sa stratégie. Oui, désolée les alliés cis mecs, je pense que ça va être très difficile pour vous de prendre du recul sur ses propos, et pour les autres hommes, n’en parlons même pas. Ils sortiraient le briquet pour faire un feu de camp avec.

Les quatre premières pages m’ont un peu déplu mais la suite a été géniale. Je rejette tout le regard essentialiste qu’elle pose sur les hommes (et même les femmes, en renversant le paradigme négatif à notre encontre) mais si on analyse ses propos en remplaçant ce caractère fataliste par ce qu’on connaît de la construction sociale genrée, bah… Elle a raison en fait.

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Sororité, collectif dirigé par Chloé Delaume – les livres féministes #27

Ce livre a bien fait d’être construit sur la base de plusieurs textes écrits par différentes femmes. Il n’aurait pas pu en être autrement si les personnes qui ont proposé le projet voulaient un rendu juste. Une seule personne n’aurait pas pu expliquer à elle toute seule le concept de sororité. On n’est pas toutes d’accord là-dessus, alors on lui aurait sûrement dit « Tu te prends pour qui, toi, à dire que c’est ça et pas autrement ? ». On l’aurait sûrement mal pris, heureusement que c’est un livre écrit par plusieurs mains.

Liberté, égalité, sororité !

Vous avez remarqué le mot qui est remplacé par « sororité » ? On connaît tou·te·s la devise française, à moins que certain·e·s lecteur·rice·s ne soient pas de France : Liberté, Égalité, Fraternité. On entend cette devise depuis au moins l’école primaire. La partie pseudo-neutre mais qui est en réalité masculine (on connaît déjà ça dans le langage), c’est la fraternité. C’est la définition toute simple d’un lien affectif plutôt fort entre frères (et sœurs, théoriquement), et plus largement entre personnes liées par des valeurs et une passion commune, et la définition est encore plus élargie par notre République. Dans ce dernier cas, il s’agit de tou·te·s nous lier sur le point commun de faire partie de l’État français.

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La terreur féministe, d’Irene – les livres féministes #26

Ce livre est un peu particulier. Il a été auto-édité par @irenevrose sur Instagram et ne compte pas le rééditer tout de suite. Toutefois, j’espère qu’il trouvera preneur chez un éditeur car ce livre est important (et puis j’aimerais que vous puissiez lire un livre que je chronique quand même). J’apprends la veille au soir de la publication de cet article que les éditions Divergences vont l’éditer !

Le titre du livre peut paraître assez choquant, il fait écho à une expression banalisée par la revue Causeur, et bien plus récemment par Valeurs actuelles. Mais la « terreur féministe » n’existe pas tout à fait selon ce qu’ils imaginent. Bien sûr que le féminisme est effrayant pour les réactionnaires, il a pour but de faire effondrer le système patriarcal. Est-il aussi violent qu’ils le prétendent ?

Bah… Qu’entend-on par violence ? Il l’est nécessairement socialement, vu qu’il tente de remettre en cause le système établi et reconnu par tous. Violent physiquement, bah… Oui, ça peut parfois arriver. Mais ce n’est pas ce que l’on croit.

Le féminisme n’a-t-il vraiment jamais tué personne ? Est-il authentiquement pacifique ? Et surtout, faut-il brandir cette non-violence supposée comme valeur suprême ? Devons-nous perdre du temps à montrer patte blanche et à tenter de convaincre le monde de notre gentillesse et de notre inoffensivité ?

Que se passerait-il si la Terreur féministe devenait réelle ? Si les hommes commençaient vraiment à avoir peur ? Une peur intense, profonde, viscérale. Puisque la raison, l’empathie et la honte ne permettent pas de mettre fin à la violence misogyne, à l’oppression patriarcale, aux viols, aux agressions sexuelles et aux féminicides, la seule issue pourrait être de susciter la crainte.

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Le génie lesbien, d’Alice Coffin – les livres féministes #25

Je me doutais bien que ce qu’en disait les médias, que ce qu’aurait prétendûment dit Alice Coffin – « éliminer les hommes » – était faux, et je vous le confirme. Mais en plus de ça, le livre est meilleur que ce que je pensais.

Bon, on va commencer par démonter ce cliché qui colle à la couverture de ce livre, en transcrivant la vraie citation :

Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je ne lis plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie, du moins. […] Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard, ils pourront revenir.

Wahou, quelle déclaration meurtrière absolument immonde, je n’en reviens pas de tant de violence. Quelle manipulation des médias, surtout. Qui composent majoritairement les médias, d’ailleurs ? Les hommes ! Et sachant que les femmes peuvent faire preuve de sexisme intériorisé… On n’a pas la tête sortie du sable. Avant de couper sans aucun remords ni aucune prudence ce passage, ils ont dû être choqués qu’on puisse ne plus vouloir les voir, les écouter. Si seulement c’étaient les seuls problèmes des femmes ! Si seulement ils ne faisaient pas déjà subir ça aux femmes !

Bref, maintenant que la vérité est rétablie, nous pouvons parler du livre, le vrai.

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Clit Révolution : Manuel d’activisme féministe – les livres féministes #24

Rajoutons les noms des deux autrices (car sinon, ça faisait un titre à rallonge) : Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles. Le livre a été illustré par Alice Des. Les deux premières susmentionnées sont aussi les créatrices de la websérie, en replay sur France tv, Clit Révolution. Celle-ci décomplexifie les sujets autour du sexe féminin. Ça vous dit peut-être quelque chose maintenant.

Les autrices ont décidé de répondre à une demande croissante chez les personnes féministes : comment agir concrètement ? Quelles actions militantes entreprendre ? Comment être bien préparée ?

Elles vont donc donner des pistes d’actions, qui ne seront pas forcément applicables pour tout, mais ce sera à vous de réfléchir et d’agir en fonction. Mais avant tout, il faut, comme elles le disent, « se révolutionner soi-même ».

C’est-à-dire ? Changer d’avis sur soi-même au-delà des règles imposées chaque jour par le patriarcat (donc sur son corps, souvent). Oser s’affirmer (le plus dur, je pense que quelques-unes d’entre vous seront d’accord avec moi, c’est un travail qui peut prendre du temps). Changer aussi sa conception du consentement (on a trop tendance à faire des concessions qui tombent souvent dans la fameuse « zone grise » du viol). Bref, se changer soi et son intimité car c’est ça qui nous rendra plus forte pour militer.

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Moi, les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange – les livres féministes #23

(la couverture n’est pas sensée être violette ?)

Vous n’avez déjà pas envie de lire ma chronique à cause du titre du livre ? Ben allez-vous-en, vous ne serez pas une grosse perte. Un véritable allié du féminisme ne s’arrêterait pas à ça.

Il fallait que je joue la provocation aussi. C’est sûrement ce que vous pensez du titre, non ? Que c’est de la provocation ? Baaah… Oui et non.

Oui, dans le sens où cela va effectivement attirer votre attention. Non, car il s’agit bien de détester les hommes et qu’encore une fois, non, ce n’est pas une déclaration ironique.

Je vous sens déjà sceptique. Voici une citation qui explique un peu mieux ce qu’implique l’accusation de misandrie (détester les hommes, donc) :

L’accusation de misandrie est un mécanisme de silenciation : une façon de faire taire la colère, parfois violente mais toujours légitime, des opprimées envers leurs oppresseurs. S’offusquer de la misandrie, en faire une forme de sexisme comme les autres et tout aussi condamnable (comme si le sexisme était condamné…), c’est balayer sous le tapis avec malveillance les mécanismes qui font de l’oppression sexiste un phénomène systémique, appuyé par l’histoire, la culture et les autorités. C’est prétendre qu’une femme qui déteste les hommes est aussi dangereuse qu’un homme qui déteste les femmes – et prétendre qu’elle n’a aucune raison de ressentir ce qu’elle ressent, que ce soit de l’hostilité, de la méfiance, ou du mépris.

(je suppose que je déteste les hommes vu que je m’en méfie)

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Backlash, de Susan Faludi – les livres féministes #22

Ce livre est très connu, au moins de nom, dans la sphère féministe. Il a été publié en 1991, donc il peut paraître daté. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Malheureusement pour les femmes, si, en effet, les stratégies décrites ont eu des conséquences qui peuvent sembler extrêmes par rapport à aujourd’hui, j’ai eu parfois malheureusement l’impression qu’on nous tendait un miroir.

Susan Faludi est une féministe américaine, c’est donc aux Etats-Unis que ses recherches et sa démonstration ont lieu. Inutile donc de faire un parallèle avec la France, même s’il y a des similarités, d’où mon impression que peu de choses ont réellement changé.

Tout d’abord, il faut le dire : ce livre est extrêmement fourni. Plus d’une centaine de pages de sources. Difficile de trouver des faits qui remettent en question les siens, elle parle de quelques-uns et je ne doute pas qu’elle en a plein d’autres à nous soumettre si on le désire (ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas avec l’anecdote d’une femme à qui vous avez dû payer le resto que vous allez prouver quoi que ce soit). Les chiffres qu’elle donne sont implacables, elle ne donne pas n’importe quelle source de n’importe quel média. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas nos alliés, comme elle le montrera… On en reparlera.

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L’atlas des femmes, de Joni Seager – les livres féministes #21

atlas-des-femmes-coverCe livre n’a l’air de rien mais il a été très intéressant à lire ! Ce n’est pas de la théorie à lire ou autre, plus des graphiques et des statistiques, donc cet article sera un peu plus court que les autres. Mais il vaut le coup que je vous en parle, avec quelques petites remarques.

L’atlas des femmes compilent des statistiques sous forme de graphiques ou de diverses illustrations. Mais ça ne vous ai pas balancé au hasard, tout est très bien structuré en catégories, que voici :

  • les femmes dans le monde (inégalités homme-femme, espérance de vie, droits des lesbiennes…)
  • maintenir les femmes à leur place (crimes « d’honneur », violences domestiques, féminicides, chantages à la dot…)
  • reproduction (contraception, mortalité maternelle, IVG…)
  • politiques du corps (sport, beauté, excision, traite sexuelle…)
  • santé (cancer du sein, VIH, toilettes…)
  • travail (inégalités de rémunération, chômage, travail des enfants, accès à l’eau…)
  • éducation et connectivité (niveaux d’étude, alphabétisme, Internet et réseaux sociaux…)
  • propriété et pouvoir (propriété foncière, extrême pauvreté, inégalités de richesse, comptes bancaires…)
  • pouvoir (droit de vote, femmes politiques, forces armées…)

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Le capitalisme patriarcal, de Silvia Federici – les livres féministes #20

capitalisme-patriarcal-coverJe pense qu’avec le titre, vous avez compris ? Je vais juste rajouter quelques mots : l’autrice nous montre comment le capitalisme a utilisé les logiques patriarcales pour son propre bénéfice et les a renforcées.

Combien coûterait de rémunérer le travail domestique et social ? Il n’y a pas de réponse chiffrée à cette question (le montant serait trop énorme) mais l’autrice nous en donne une idée dans son essai. Elle nous indique surtout pourquoi il n’est pas rémunéré. Et quels bénéfices cela sert. Ce n’est jamais vraiment dit explicitement dans une phrase « voilà pourquoi… » mais vu ce qui est raconté dans son livre, je pense qu’elle peut nous faire confiance pour en tirer les bonnes conclusions.

J’avoue avoir été surprise par l’accessibilité de ses propos qui se trouve être assez limité (je m’attendais à mieux). Disons que je ne conseillerais clairement pas ce livre pour commencer. Il y a des parties où vous vous sentirez perdues, même s’il y en a d’autres qui seront douloureusement limpides. Le livre n’est pas bien épais mais j’ai passé du temps sur les deux premières parties, avant que ça coule tout seul.

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Silence, on cogne, d’Alizé Bernard et Sophie Boutboul – les livres féministes #19

silence-on-cogne-coverCe n’est pas un livre qui a fait parler de lui alors qu’il est super important de documenter cette problématique. Le bandeau rouge de la couverture n’a pas l’air d’avoir suffi.

Silence, on cogne parle des violences conjugales dans un cadre particulier : celui des foyers de gendarmes et de policiers. Quand l’homme est un représentant de cette autorité, il a un pouvoir supplémentaire. Et c’est ce que les autrices vont nous montrer.

Alizé Bernard est une ex-conjointe de gendarme et raconte son vécu quand elle était encore avec son compagnon. Il a su user, pour camoufler les méfaits psychologiques et physiques qu’il faisait subir à sa compagne, de son statut, de la sympathie qu’il inspirait à ses collègues, de sa connaissance des lois et des recours, etc. Ces chapitres alternent avec ceux plus factuels de Sophie Boutboul, qui a enquêté sur la situation des femmes mariées à des hommes de ce corps de métier.

Le témoignage d’Alizé Bernard est glaçant tellement cela a été compliqué pour elle, que ce soit au niveau administratif comme avec son ex-compagnon. Un véritable parcours du combattant, ponctué par les révélations de Sophie Boutboul, des témoignages qu’elle a récolté de son côté, du peu de statistiques qu’elle a pu trouver (les violences conjugales commises par un homme policier ou gendarme ne sont pas étudiées en France).

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