Ainsi soit-elle, de Benoîte Groult – les livres féministes #15

ainsi-soit-elle-coverBenoîte Groult, l’autrice de ce livre, est une féministe de la deuxième vague. Elle est assez connue par ces dernières, donc vous croiserez forcément son nom à un moment ou à un autre.

Elle a reconnu son féminisme assez tardivement : en tant que femme dans cette société patriarcale, même si on se rend compte de choses, on les réalise inconsciemment, et elle n’a pas dérogé à la règle. De plus, même entre femmes, on n’en parle pas, c’est tacitement interdit, contraire aux bonnes moeurs, etc.

C’est un sujet qu’elle dénoncera… parmi ceux qu’elle va aborder. En effet, les conséquences du patriarcat sur les femmes sont multiples. On pourrait croire que ce livre est daté (il est sorti en 1975) mais il est toujours tristement d’actualité sur certaines choses, notamment certains comportement des hommes à notre égard, le système forcément à notre détriment parce qu’on a un vagin entre les jambes, etc.

L’autrice va parler de tout en quelques 200 pages et elle réussit à aborder avec brio le problème du système pour les femmes, la haine des hommes (oui oui, la haine, la guerre des sexes n’est pas faite par les femmes à la base) à l’encontre des femmes, leur peur de nous dont découle cette volonté de garder le pouvoir à tout prix. Je n’ai pas encore lu Le mythe de la virilité d’Olivia Gazalé mais ça m’a donné très envie de le lire rapidement car Benoîte Groult parle du sujet de la virilité sans concession. Le sujet reste non exhaustif dans son livre en raison du nombre de pages mais il recense toutes les abominations qu’on a fait subir aux femmes sous des prétextes fallacieux… et qui sont toujours réelles dans certaines parties du monde.

Je sais, vous pensez à l’excision (dont elle parle pas mal d’ailleurs), mais ce n’est pas tout, surtout quand on pense que les sévices physiques existent toujours dans les pays occidentaux (les violences conjugales, ce n’est pas de la mini-crotte). Et on a réussi à instaurer ce mépris des femmes, cette violence qui s’abat sur elles jusqu’à la sphère intime (dans laquelle elles sont censées évoluer, et pas ailleurs, mais même là, on n’est pas tranquilles). Et cette fameuse solidarité masculine qui vaut depuis des siècles… A-t-on un équivalent féminin ? Oui, avec la sororité (que l’autrice appelle de ses voeux) aujourd’hui, mais elle ne s’applique pas encore à toutes les femmes dans leur ensemble, mais à quelques féministes. En attendant, la solidarité masculine fait toujours des ravages quand il s’agit, au mieux, d’emmerder les femmes, au pire, de les briser.

De plus, on nous silencie : la parole des femmes est ignorée, celle des hommes est valorisée. On subit une injustice renforcée par ce non-droit à la parole : voilà pourquoi un mouvement contemporain comme #MeToo agace tellement, mais des blogs avaient déjà ouverts auparavant pour propager la parole des femmes, mais elle restait lu par des féministes principalement (ok, cette vision contemporaine, ça sort de ma bouche).

Dans cet essai, Benoîte Groult va nous faire un inventaire savoureux (non) de tout ce que les hommes ont pu dire sur les femmes au fil des siècles (et les perles misogynes ne manquent pas, sachant qu’elle n’est allée que jusqu’au début des années 70). Elle parle de pléthore de sujets : le pouvoir qui nous est rarement attribué (et sous conditions), la vision de la femme et de son sexe « dégueulasse », de la relégation de la femme à un rôle stricte et encadré (il n’y a que la beauté et le ménage qui compte), la façon qu’on a, nous les femmes, de croire à la nécessité de notre asservissement, le fameux retour de bâton quand on obtient des droits, etc. Et l’autrice y est impressionnante de par son analyse, de la maîtrise de ses arguments et de ses exemples.

Ceci dit, ce livre ne va pas plaire à trois catégories de personnes. Pour les deux premières, c’est logique, pour la dernière… Je passerai aux commentaires plus tard.

Tout d’abord, il faut savoir que Benoîte Groult compare le sexisme et le racisme pour avancer que c’est pareil… et finalement dire que le sexisme est pire. Personnellement, je n’apprécie pas la hiérarchisation des oppressions, surtout que je trouve que cette argumentation ne repose pas sur grand chose. Les personnes racisées risquent donc de grincer des dents (à raison).

Ensuite, cela est reproché à beaucoup de féministes, qu’elles soient contemporaines ou non : la binarité homme-femme. Et le fait de parler du sexe des deux genres comme reconnus par la société met forcément de côté les personnes transgenres… Ok, ça parle de moi en tant que femme cis, mais je sais qu’il y a d’autres femmes qui n’ont pas de vagin, même si je peux moi-même oublier de les prendre en compte à cause de l’habitude incrustée dans nos têtes par un environnement majoritairement transphobe.

Tout ceci est la marque de la seconde vague du féminisme, un féminisme blanc et transphobe (et un peu bourgeois). Rien de bien étonnant quand on sait un peu ce qu’il en est de l’histoire du féminisme.

Les personnes racisées, les personnes transgenres, et la troisième catégorie alors ? A ne pas mettre sur le même plan d’ailleurs, car c’est juste une question d’ego… Il s’agit des hommes, tout simplement.

Cet essai ne serait donc pas accessible aux hommes ? Si, car il décrit beaucoup de choses, mais je pense qu’il faut une bonne dose de remise en question de leur côté (ce qui est rare, admettons-le) pour entendre ce que Benoîte Groult et les femmes ont à dire. Elle n’y va pas de main morte et son ton peut être jugé agressif par ces messieurs (alors qu’elle dit juste la vérité, hein). Elle analyse très bien la situation, peut-être trop… C’est en ça qu’elle risque d’être jugée comme une hystérique. C’est bête mais ce n’est juste que ça, sans compter que la rigueur qu’elle applique dans son essai la rend difficilement critiquable, à part sur les points que j’ai mentionnés.

Je l’ai trouvé parfois islamophobe (rien à voir avec le voile) mais comme elle critique aussi le christianisme au vitriol (et les religions en général), je ne pense pas que ce soit forcément limité à cette religion. Elle dénonce juste en quoi les religions ont servi à l’oppression des femmes, quitte à être hypocrites et contradictoires envers certaines de leurs supposées valeurs.

Ce livre est révélateur du travail qu’il nous reste à faire (pas grand chose n’a progressé depuis sa publication en 1975, et ce n’est pas les quelques exceptions non sexistes qui vont me faire changer d’avis), du danger qui nous guette (l’histoire a prouvé de nombreuses fois qu’une régression de nos droits est possible) et de la solution que l’autrice souhaitait et qui est d’actualité dans les cercles féministes de nos jours : la sororité. La fraternité au féminin. La solidarité féminine. On ne s’aide pas assez, pire : on soutient les hommes dans l’oppression qu’ils nous font subir tellement leur retournement de cerveau a fonctionné. Comment s’en sortir si nous sommes nos propres ennemies ?

Bref, un livre qui remue, très bien construit, à la fois daté (sur certains arguments que j’ai mentionné plus haut) et non daté (beaucoup de choses ont encore lieu aujourd’hui). Cette lecture a été très forte, si vous avez l’occasion, lisez-le, mais en gardant du recul !

16 réflexions sur “Ainsi soit-elle, de Benoîte Groult – les livres féministes #15

  1. Pingback: C’est le 1er, je balance tout ! # 31-32 – Juillet-Août 2019 | L'ourse bibliophile

Laisser un commentaire