Un détail mineur, d’Adania Shibli

Résumé

En 2003, un quotidien israélien, Haaretz, révèle qu’en août 1949 des soldats ont kidnappé, violé collectivement, puis tué et enterré une jeune bédouine du Néguev. Un crime qui s’inscrit dans la lignée des massacres commis à cette époque charnière pour terrifier ce qui restait des habitants de cette zone désertique.
Soixante-dix ans plus tard, Adania Shibli s’empare de cet “incident” dans un récit qui s’articule en deux temps nettement marqués. La première moitié relate le déroulement du crime avec une objectivité quasi chirurgicale. Elle met en scène deux personnages principaux : un officier israélien anonyme, maniaque de l’ordre et de l’hygiène, qui envahit les pages de sa présence hypnotique, et sa victime, comme lui jamais nommée. La seconde partie est narrée à la première personne, sur un ton très subjectif et ironique, par une Palestinienne d’aujourd’hui, obsédée par un “détail mineur” de l’incident : le fait qu’il se soit produit vingt-cinq ans jour pour jour avant sa naissance. Bravant les obstacles imposés par l’occupant, elle parvient à se rendre dans le Néguev dans l’espoir d’exhumer le récit occulté de la victime. Mais la détective en herbe ne tardera pas à tourner en rond…
Longuement mûri, ce roman décapant dénonce en peu de pages, au-delà du contexte israélo-palestinien, le viol comme banale arme de guerre, et aborde subtilement le jeu de la mémoire et de l’oubli.

Chronique

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman. Ça n’a pas été le coup de coeur annoncé mais vraiment, c’était une lecture très appréciable.

On m’a dit « T’as dû avoir envie de le lire parce qu’il aurait pu remporter le prix du livre de Francfort et que ça a été annulé à cause des circonstances actuelles » mais pas vraiment en fait. Comme beaucoup de monde, j’avais vu cette actualité sans que je me penche dessus pour autant. Ce sont des retours très positifs sur Instagram qui m’ont donné envie de le lire.

L’histoire se fait en deux temps : en 1949, des soldats israéliens doivent protéger les frontières au sud de leur pays, dont le Néguev. Ils découvrent des Palestiniens, les massacrent, laissent une jeune Bédouine vivante, la violent puis la tuent. En 2003, une Palestinienne apprend ce fait par le biais d’un article d’un journal israélien. Ce qui l’attire, c’est que ce crime a eu lieu 25 ans avant sa naissance, jour pour jour. (c’est ça le détail mineur, en plus du fait qu’un viol dans ce contexte à cette période était considéré comme tel) Elle veut enquêter sur l’histoire sans avoir le point de vue israélien et prend des risques en partant en voyage jusqu’au Néguev en passant tous les obstacles posés par Israël pour le déplacement des Palestinien·ne·s.

Bref, voilà l’histoire. Peut-être que certaines personnes qui l’ont lu diront qu’il ne s’y passe pas grand-chose mais ce n’est pas ce que représente ce livre, ne soyons pas injustes. L’autrice a d’abord une belle plume. La description de la chaleur du soleil et de l’ambiance m’ont parfois fait penser à Albert Camus. (dat compliment)

De plus, si vous ne connaissez que très peu, voire pas du tout, la vie des Palestinien·ne·s sous occupation, vous allez découvrir quelques petites choses en suivant la narratrice de la seconde partie. Notamment, vous allez découvrir le foutoir des zones A, B et C. Bon voyage !

Dans la première partie, on suit celui qui commande la troupe qui va violer la jeune Bédouine. Je réitère, une description superbe qui nous implique, et assez minutieuse avec le fait que cet homme est clairement un obsédé de l’hygiène. J’ai trouvé ça assez immersif, tout en gardant une certaine distance aussi. (pareil pour la partie 2, en mieux selon moi) C’est la partie que j’ai la moins apprécié mais elle est indéniablement bonne.

La deuxième partie nous fait suivre une personne qui parle, à la première personne donc. C’est une Palestinienne de la zone A (oui, mine de rien, c’est important). Je vous l’ai dit plus tôt, elle est attirée par l’histoire de la jeune Bédouine violée (qui servait donc pour la terreur imposée par les Israéliens, comme le meurtre des siens). Comme c’est compliqué pour quelqu’un de sa zone de voyager en Palestine historique à cause des règles israéliennes, je vous laisse imaginer qu’elle trompe un peu beaucoup le monde israélien. En tout cas, il est bien visible que les Palestinien·ne·s s’entraident sans faire de chichis.

Mais il y a un côté oppressant dans ce voyage, la peur qu’elle soit finalement découverte. Son enquête avance peu, très peu même. On a donc encore moins envie de la voir se faire attraper.

Des réflexions de sa part sont intéressantes, peu habituelles, certaines m’ont un peu surprises (ça sent la personne neuroatypique à trois kilomètres). Je trouve son introspection intéressante, et sans parler de ses réflexions personnelles, même les autres le sont.

Ce livre fait une petite centaine de pages, donc je vais éviter de vous en dire plus. En tout cas, je l’ai trouvé assez fort. Certaines personnes ont pu être frustrées par la fin car c’est une fin ouverte. Je préfère prévenir.

7 réflexions sur “Un détail mineur, d’Adania Shibli

  1. La comparaison à Camus, compliment ultime venant de la fan numero 1 pour toujours hihi

    Je l’ai pas mal vu passer sur les réseaux (suite à l’annulation de l’invitation de l’autrice à Francfort je pense oui) et le côté « récit-enchassé » que j’ai cru déceler dans les diverses chroniques que j’ai lues m’intéresse particulièrement !

    Je pensais qu’il y avait un récit cadre et un récit enchâssé mais du coup il y a plusieurs récits enchâssés si je comprends bien… Ca a l’air vraiment «  »super » »
    Je suis justement en train de préparer une série d’articles comportant des ressources sur la Palestine et j’hésitais à lire celui-ci dans ce cadre ! Du coup tu confirmes mon envie de le lire et de peut-être, à mon tour, en parler.

    Merci pour ce retour Ada !

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      • Alors malheureusement ils ne l’ont (étonnement) pas dans ma bibliothèque donc je pourrai pas le lire pour mes articles. Je le lirai un jour mais quand je ne serai plus en diète d’achats aha

        Heureusement la littérature palestinienne est assez riche et ils ont d’autres titres en bibli donc je devrais d’autres fictions à proposer 🙂

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  2. Pingback: C’est l’premier, j’balance tout Janvier -Février – Mars 2024 (#24) – Alberte Bly

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