Le futur du travail, de Juan Sebastian Carbonell

Le travail est l’objet de nombreux fantasmes. Certains annoncent sa quasi-disparition prochaine, sous l’effet des transformations technologiques. D’autres se contentent de prophétiser la disparition du salariat, que ce soit pour la célébrer ou la déplorer. Pendant ce temps, le secteur de l’intelligence artificielle recrute des micro-travailleurs de l’ombre par millions. Les ouvriers de la logistique travaillent soixante heures par semaine et parcourent à pied jusqu’à 30 km par jour. Et les nouveaux secteurs d’activités sont le lieu de conflits sociaux inédits. Démontant les discours des futurologues, Juan Sebastian Carbonell montre dans cet ouvrage que le travail conserve une place centrale dans nos sociétés, que cette activité continue de jouer un rôle d’intégration majeur et d’être le principal ressort de la reproduction sociale. Contre la mise en avant d’une « crise du travail » qui permet d’affirmer qu’il n’existe plus de sujets politiques collectifs, contre le renoncement concomitant que constitue l’idée d’un revenu universel, il dessine une perspective révolutionnaire articulée autour de deux objectifs : libérer la vie du travail et libérer le travail de la domination du capital.

Un petit livre qui m’a passionné.

Vous le savez, je m’intéresse à la thématique du travail… mais pas n’importe comment. Des livres un peu manichéens, j’en vois passer devant mes yeux, ce n’est pas ce qui manque. Je suis donc assez sélective. Lui, je n’étais pas sûre, mais il a l’air assez sérieux, allez essayons. Hé bien je n’ai pas été déçue.

Je ne dis par contre pas qu’il va aller à 100% dans votre cheminement de pensée car l’auteur va souvent démonter des idées reçues qu’on a probablement intégré.

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Un détail mineur, d’Adania Shibli

Résumé

En 2003, un quotidien israélien, Haaretz, révèle qu’en août 1949 des soldats ont kidnappé, violé collectivement, puis tué et enterré une jeune bédouine du Néguev. Un crime qui s’inscrit dans la lignée des massacres commis à cette époque charnière pour terrifier ce qui restait des habitants de cette zone désertique.
Soixante-dix ans plus tard, Adania Shibli s’empare de cet “incident” dans un récit qui s’articule en deux temps nettement marqués. La première moitié relate le déroulement du crime avec une objectivité quasi chirurgicale. Elle met en scène deux personnages principaux : un officier israélien anonyme, maniaque de l’ordre et de l’hygiène, qui envahit les pages de sa présence hypnotique, et sa victime, comme lui jamais nommée. La seconde partie est narrée à la première personne, sur un ton très subjectif et ironique, par une Palestinienne d’aujourd’hui, obsédée par un “détail mineur” de l’incident : le fait qu’il se soit produit vingt-cinq ans jour pour jour avant sa naissance. Bravant les obstacles imposés par l’occupant, elle parvient à se rendre dans le Néguev dans l’espoir d’exhumer le récit occulté de la victime. Mais la détective en herbe ne tardera pas à tourner en rond…
Longuement mûri, ce roman décapant dénonce en peu de pages, au-delà du contexte israélo-palestinien, le viol comme banale arme de guerre, et aborde subtilement le jeu de la mémoire et de l’oubli.

Chronique

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman. Ça n’a pas été le coup de coeur annoncé mais vraiment, c’était une lecture très appréciable.

On m’a dit « T’as dû avoir envie de le lire parce qu’il aurait pu remporter le prix du livre de Francfort et que ça a été annulé à cause des circonstances actuelles » mais pas vraiment en fait. Comme beaucoup de monde, j’avais vu cette actualité sans que je me penche dessus pour autant. Ce sont des retours très positifs sur Instagram qui m’ont donné envie de le lire.

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Feu ! Abécédaire des féminismes présents – les livres féministes #40

Elsa Dorlin fait appel à une soixantaine d’autrices pour revenir sur la période 2000-2020, période au cours de laquelle le mouvement féministe a connu un renouveau, une accélération, de nouveaux canaux de diffusion. Nous avons choisi de laisser la parole aux autrices avec des textes longs, pour prendre le temps d’expliciter leurs travaux et de creuser des problématiques qui nous sont chères. Les autrices (universitaires, associatives, écrivaines, agitatrices…) ont participé à cette nouvelle vague, à sa politisation, et dénoncent la violence structurelle de la domination masculine dans la société, au coeur du néolibéralisme, à l’encontre des femmes et des minorités sexuelles et de genre.

Et si je commençais par dire que c’est le meilleur livre féministe que j’ai lu de ma vie ? La pressiooooon.

Ce livre, dirigé par la philosophe Elsa Dorlin, est composé de nombreux textes, rangés par ordre alphabétique. Ils parlent de différents sujets, comme en témoignent leurs titres : « Archives », « Cisgenre », « Frontières », « Intersectionnalité », « Rappeuses », « ZAD », etc. Et vous vous dîtes avec ces quelques titres : « Mais ça a l’air vraiment divers, les sujets abordés ! ». Et c’est effectivement le gros point fort de ce livre.

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Les hommes et le féminisme, de Francis Dupuis-Déri – les livres féministes #39

Comment être un bon allié du féminisme quand on est un homme ? Comment inventer une masculinité émancipatrice pour en finir avec la masculinité toxique ? Pourquoi les hommes eux-mêmes ont intérêt à lutter contre le patriarcat ? C’est de ces questions épineuses que s’empare le sociologue proféministe Francis Dupuis-Déri. En tirant le bilan critique de plus d’un siècle d’expériences où la frontière entre faux-amis et alliés est souvent poreuse, il esquisse les pistes d’un féminisme au masculin.

C’est rare (que dis-je, c’est la première fois) que je fasse un article sur un livre féministe écrit par un homme ! D’habitude, ça se contente d’un bilan lectures et puis voilà. Mais là, on parle d’un homme qui s’est fait connaître de façon positive en écrivant sur certains pans du féminisme, qui est reconnu par les féministes femmes (en lisant son livre, vous comprendrez que c’est pas souvent le cas), et vous entendrez encore parler de lui car j’ai La crise de la masculinité dans ma PAL.

Il explique très bien ce qu’implique souvent la présence d’hommes dans le mouvement féministe. Des militantes souhaitent des hommes alliés (après tout, les hommes écoutent d’autres hommes), d’autres se méfient… (je fais partie de la seconde catégorie) Il décrit, au début de son livre, pourquoi on peut considérer que leur présence est souhaitable… et au contraire, pourquoi leur présence semble vaine et contreproductive ! Croyez pas qu’on râle pour rien, beaucoup d’hommes ont des profils différents de brise-ovaires : le poseur, l’initié, l’humaniste et l’autoflagellateur. Pour en savoir plus, je vous laisse lire le livre. Et franchement, je le dis, mais ça ralentit le mouvement… Mais bon, ces messieurs disent que c’est nous, avec notre extrémisme. Ou alors, ils nous disent que c’est pas prioritaire par rapport à la lutte des classes.

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Ce que la Palestine apporte au monde

La collection « Araborama », créée par l’Institut du monde arabe et les éditions du Seuil, rassemble journalistes, intellectuels, écrivains, artistes et illustrateurs pour explorer les réalités présentes, la pluralité et l’histoire du « monde arabe »

« À l’heure où la Palestine semble abandonnée de tous, à commencer par les États arabes, nous avons choisi d’y retourner, comme une évidence. Pour raconter son peuple dispersé par l’histoire et les frontières. Nous avons voulu arpenter son territoire, divisé entre Gaza et la Cisjordanie avec Jérusalem pour centre introuvable, annexé par la colonisation israélienne et grignoté par le Mur de séparation.
Devenue le symbole de la colonisation dans un monde en train de se décoloniser dans la deuxième moitié du XXe siècle, la Palestine ne s’appartient pas. Elle est une cause, une source d’inspiration pour le monde entier. Le keffieh est le drapeau des révoltés. Palestinien n’est plus seulement une nationalité sans pays, c’est une condition et le refus de s’y plier, c’est une résistance obstinée de chaque instant et de chaque geste.
C’est du monde tel qu’il va mal dont la Palestine nous parle. La Palestine vit déjà à l’heure d’un monde aliéné, surveillé, encagé, ensauvagé, néolibéralisé. Les Palestiniens savent ce que c’est d’être un exilé sur sa propre terre. Apprenons d’eux ! »

Extrait de l’introduction de Christophe Ayad.

Un livre que j’ai adoré lire. Il recueille des textes rangés en trois catégories : « Pays », « Cause politique », « Souffle culturel ». Les textes sont diversifiés sur le sujet de la Palestine, vous vous en doutez déjà : son histoire, sa géographie (et son évolution négative), sa politique, sa culture, etc.

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Les hommes ont tué l’amour, de Sabrina Erin Gin – les livres féministes #38

L’amour romantique est présenté comme la seule source idéale de mise en couple qui reposerait sur le partage des valeurs, la réciprocité des sentiments et l’égalité. Pas de chance, le patriarcat est passé par là.

Et l’amour, tel qu’on le vit, n’est autre qu’une construction sociale… une construction de merde.

Comment pouvons-nous prétendre à des relations amoureuses saines et durables lorsque la société patriarcale et capitaliste impose l’inégalité au sein du couple ? Est-ce que l’amour romantique vaut vraiment le coup pour les femmes hétérosexuelles ? Pourquoi devrions-nous aimer les hommes ? Est-ce qu’ils aiment véritablement les femmes ?

Pour analyser la supercherie qu’est le couple hétérosexuel d’aujourd’hui, Sabrina Erin Gin interroge la biologie, les neurosciences, la sociologie et l’histoire. Un texte passionnant qui nous apprend à inventer d’autres manières d’aimer, de faire foyer, pour pouvoir enfin vivre la romance.

Le nom de l’autrice vous rappelle quelque chose ? En effet, elle a déjà écrit Précis de culture féministe pour briller en société patriarcale que j’avais chroniqué.

Comme nous toutes femmes cis hétéro, Sabrina Erin Gin a vécu des expériences (ceci dit, il suffit juste d’une et d’observer comment ça se passe pour les copines – mal, souvent) de couples hétérosexuels particulièrement décevantes. Mais pourquoi on est encore accro à ce type d’histoires ? Quelle est son histoire finalement ?

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Désirer à tout prix, de Tal Madesta

La course à la sexualité est-elle vraiment émancipatrice ?

De la « révolution sexuelle » amorcée en Mai 68, aux mouvements sex-positifs actuels, on nous promet la possibilité pour toustes de jouir et de désirer sans entraves. Sauf qu’en investissant le sujet, le capitalisme et le patriarcat ont profondément transformé cette possibilité : le sexe est devenu un marché, et la non-sexualité une pathologie à guérir.

En cherchant à optimiser le fonctionnement des corps et du désir, sommes-nous entré·es dans l’ère de l’aliénation sexuelle ? Face à cette pression constante, désinvestir le désir sexuel constituerait peut-être une porte de sortie émancipatrice.

Un livre que je pensais beaucoup aimer vu le sujet, et en fait, c’est un coup de coeur ! (c’est assez rare pour être souligné)

L’omniprésence du sexe dans la société est délétère pour nous et sert plusieurs objectifs. Non, ce n’est pas si naturel pour tout le monde d’être des queutards ou des salopes, comme diraient certain·e·s. Quoi, vous pensez directement au capitalisme et au patriarcat ? Attendez, j’ai encore rien dit (mais oui, c’est ça).

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Pour une écologie pirate, de Fatima Ouassak

Résumé

Nous manquons, aujourd’hui en Europe, d’un projet écologiste capable de résister aux politiques d’étouffement, dans un monde de plus en plus irrespirable.
D’un projet initié dans les quartiers populaires, qui y articulerait enfin l’ancrage dans la terre et la liberté de circuler.
D’un projet dont le regard serait tourné vers l’Afrique et qui viserait à établir un large front internationaliste contre le réchauffement climatique et la destruction du vivant. D’un projet qui ferait de la Méditerranée un espace autonome et un point de ralliement des mutineries du Nord comme du Sud.
D’un projet se donnant comme horizon à la fois la libération des terres, la libération animale et l’égale dignité humaine, fondamentalement liées.
D’un projet assumant la sécession face à des forces d’extrême droite toujours plus menaçantes.
D’un projet permettant de prendre le large en quête du One Piece, le fameux trésor du manga éponyme, devenu symbole, dans les quartiers populaires, de la soif de liberté qui y gronde.
D’un projet qui se mettrait à hauteur d’enfants et chercherait leur bien-être et leur libération.
Ce projet, c’est celui de l’écologie pirate.

Un de mes livres préférés de l’année, mais ça ne va pas vous dire grand-chose, alors je continue.

Dans cet essai, Fatima Ouassak dénonce le projet écologiste actuel qui est blanc, privilégié, pas du tout inclusif. Elle rappelle qu’il ne faut pas oublier une certaine frange de la population, pauvre mais surtout racisée. Qu’il ne faut pas oublier les personnes qui font les pires boulots dans ce pays et qui viennent d’Afrique. Le continent en lui-même aussi, qui ne pollue pas tant que ça et subit pourtant les conséquences du changement climatique à pleine puissance. Lésés sur tous les plans, quoi.

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L’oeil le plus bleu, de Toni Morrison

Résumé

A Lorain, dans l’Ohio des années 40, Claudia et Pecola, deux fillettes noires grandissent côte à côte. La première déteste les poupées blondes, modèles imposés de perfection qui lui rappellent combien sa haine est légitime. L’autre idolâtre Shirley Temple et rêve d’avoir les yeux bleus. Mais face à la dure réalité d’une Amérique Blanche, le rêve de beauté d’une petite fille est un leurre qui ne cède le pas qu’au fantasme et à la folie.

Chronique

On est dans l’Ohio des années 40. Tout d’abord, on rencontre deux soeurs, Frieda et Claudia, et cette dernière déteste les poupées blondes aux yeux bleus, au point de les maltraiter. Elle a compris, même si sa réflexion reste en surface, qu’en tant que petite fille noire, elle ne serait jamais considérée comme jolie. Les petites filles blanches aussi en ont conscience, de leurs privilèges, et en deviennent méchantes.

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Le syndrome du patron de gauche, d’Arthur Brault-Moreau

Résumé

Tout ce qui relève du champ lexical de l’employeur, du patron, du « management » ou du salariat est considéré comme libéral, apparenté à des valeurs de droite. Ce comportement est typique du patron de gauche : en rejetant ces mots, celui-ci se prive de – ou plutôt s’épargne – toute réflexion sur le sujet. L’expression « patron de gauche » souligne à elle seule le paradoxe de la situation : dans la pratique, « patron » ; dans le discours, « de gauche ».

Né en 1993, diplômé de Sciences-Po, Arthur Brault-Moreau a fait l’amère expérience du patronat de gauche dès sa première embauche. Forcé de constater que ce positionnement politique ne garantissait en rien le respect du droit du travail, il a mené une enquête auprès d’environ 70 personnes, dont beaucoup de salarié·es et quelques employeurs. Guide de développement collectif plus que personnel, ce manuel fournit des outils concrets pour comprendre et combattre ces patrons qui ne disent pas leur nom.

Chronique

Oui, on s’imagine que si le ou la patron·ne est de gauche, ça se passera mieux. Hé ben pas forcément… Et l’auteur a enquêté. Sans que ce soit hyper sérieux (il dit lui-même que c’est une forme de vengeance par rapport à son premier emploi, cf le résumé). Mais il explicite sa méthodologie, et avec la suite du livre, ça me paraît assez sérieux.

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