Pour une écologie pirate, de Fatima Ouassak

Résumé

Nous manquons, aujourd’hui en Europe, d’un projet écologiste capable de résister aux politiques d’étouffement, dans un monde de plus en plus irrespirable.
D’un projet initié dans les quartiers populaires, qui y articulerait enfin l’ancrage dans la terre et la liberté de circuler.
D’un projet dont le regard serait tourné vers l’Afrique et qui viserait à établir un large front internationaliste contre le réchauffement climatique et la destruction du vivant. D’un projet qui ferait de la Méditerranée un espace autonome et un point de ralliement des mutineries du Nord comme du Sud.
D’un projet se donnant comme horizon à la fois la libération des terres, la libération animale et l’égale dignité humaine, fondamentalement liées.
D’un projet assumant la sécession face à des forces d’extrême droite toujours plus menaçantes.
D’un projet permettant de prendre le large en quête du One Piece, le fameux trésor du manga éponyme, devenu symbole, dans les quartiers populaires, de la soif de liberté qui y gronde.
D’un projet qui se mettrait à hauteur d’enfants et chercherait leur bien-être et leur libération.
Ce projet, c’est celui de l’écologie pirate.

Un de mes livres préférés de l’année, mais ça ne va pas vous dire grand-chose, alors je continue.

Dans cet essai, Fatima Ouassak dénonce le projet écologiste actuel qui est blanc, privilégié, pas du tout inclusif. Elle rappelle qu’il ne faut pas oublier une certaine frange de la population, pauvre mais surtout racisée. Qu’il ne faut pas oublier les personnes qui font les pires boulots dans ce pays et qui viennent d’Afrique. Le continent en lui-même aussi, qui ne pollue pas tant que ça et subit pourtant les conséquences du changement climatique à pleine puissance. Lésés sur tous les plans, quoi.

Ça parle très vite fait du manga One Piece (si ça vous inquiète parce que vous ne l’avez pas lu, aucun problème, franchement), de la liberté de faire et de voyager des pirates en général, ce qui explique son succès auprès des personnes racisées des banlieues et l’autrice explique plus en détails pourquoi.

Il y a des passages d’espoir avec cette référence, mais pas que : avec les enfants aussi. Mais le constat de base est particulièrement négatif.

Si vous êtes une personne blanche particulièrement naïve sur ces questions, vous allez apprendre plein de choses. Moi aussi, mais moins car je m’intéresse à ces sujets, ce qui ne m’a pas empêché de prendre deux-trois claques de vérité.

Je savais par exemple que tout était mis en œuvre pour garder le contrôle sur ces populations dans les banlieues (la structure des bâtiments, la police, etc). A quel point les classes supérieures blanches qui parlent d’écologie y participent, souvent activement. Mais c’est la première fois que je vois une personne parler ouvertement (ça doit pas être la première, mais voilà) de notion d’utilité pour les personnes racisées. Il faut qu’elles soient utiles, qu’elles travaillent, bien rémunérées ou pas (souvent la deuxième option). Vous allez me dire que c’est pareil pour les personnes blanches, certes, mais moins que pour les personnes racisées et on nous dit pas de rentrer « chez nous » dès qu’on est pas content. On y est déjà, vous allez me dire, mais elles aussi en fait. Mais bon, les racistes, voilà… Pas la peine de faire un dessin.

Et c’est terrible pour les enfants car à leur âge, ils ne peuvent pas être utiles. Ah ben c’est balot ! Mais qu’à cela ne tienne : on va les « désenfantiser ». On va leur reprocher des trucs qu’on ne reprocherai pas à des enfants blancs.

Et pourtant, ces jeunes traînent, de plus en plus nombreux depuis les années 70. Que va-t-on faire d’eux ? Difficile de leur enjoindre d’être utiles : les enfants sont justement cette partie de l’humanité censée ne pouvoir être réduite à cela. Ce devrait être au contraire la société qui leur porte assistance, qui les protège, les éduque, leur garantisse de bonnes conditions de vie. En conséquence, ces enfants-là ont droit à un régime spécial : on les désenfantise. C’est logique : si ces enfants ne sont pas des enfants, rien n’oblige à leur garantir leurs droits d’enfants. On les fixe dans le quartier, tout en leur interdisant de s’y ancrer. Ils sont sous contrôle. Ils doivent apprendre un métier utile. Ne pas perdre de temps à philosopher.

Et il y a quelque chose sur laquelle je peux rebondir opportunément dans cette citation pour continuer la chronique : le fait de s’ancrer quelque part, dans un territoire. On se dit que c’est une thématique de droite, pourquoi en parler ? Dans ce cas-là, c’est différent : les personnes racisées ne peuvent pas car on leur interdit, elles n’ont pas de prise sur leur environnement, on décide à leur place, notamment d’y placer des choses polluantes comme des usines ou des autoroutes, des rocades, etc. Et puis béton, béton, béton… Ça coûte moins cher, vous comprenez. La végétation, c’est pour les gens qui ont de la thune.

Voilà un petit aperçu des logiques en cours dans les banlieues et auquel les personnes blanches privilégiés n’ont aucune envie de répondre. Faut bien garder un certain niveau de vie, et s’il faut écraser les autres pour cela… Vous pouvez étouffer dans vos tours, ce n’est pas notre problème, tant que tout roule pour nous et que vous faîtes votre job (mal payé) pour nous servir…

Mais ce n’est pas tout. L’autrice montre en quoi on ferait bien de s’inspirer des approches et du style de vie non-occidentales. Car ce n’est pas eux qui détruisent la planète en ce moment-même. Sans compter que ces derniers sont aussi à subir les coups de la prédation occidentale. Elle appelle à tourner son regard vers l’Afrique, mais pas que : vers la Méditerranée. Sur le potentiel de liberté que cette mer représente (au lieu de l’actuel cimetière à ciel ouvert qu’elle est actuellement).

Les enfants ont une grande importance dans ce livre car iels subissent beaucoup de choses, vont être et sont déjà les premières victimes du changement climatique. Mais iels sont aussi porteurs d’espoir (pas de là à ce que j’ai lâché ma larmichette mais presque). Ça donne envie de lire La puissance des mères de la même autrice.

Fatima Ouassak n’est pas tendre avec la gauche institutionnelle mais il y a de quoi. Ce passage va en dire beaucoup :

Aujourd’hui, l’urgence est telle qu’il paraît difficile – même si ça reste évidemment possible – d’inverser la tendance menant à l’avènement de l’extrême-droite au pouvoir, notamment parce que les habitants des quartiers populaires, malgré leur poids démographique, ont été maintenus trop longtemps en dehors du débat démocratique et du système électoral. En effet, l’extrême-droite est montée en puissance en France ces quarante dernières années en partie à cause des calculs électoralistes de la gauche, mais aussi parce que la gauche lui a dégagé un boulevard. Elle a neutralisé (notamment par de violentes campagnes de dénigrement) les militants des quartiers populaires qui pouvaient réellement combattre les fascistes, et activement empêché (par un jeu d’alliances objectives avec l’extrême-droite au niveau local) l’organisation politique des quartiers populaires ainsi que l’émergence à gauche d’un véritable projet antiraciste – ce qui constitue une faute politique et morale impardonnable. Toujours est-il qu’il semble difficile à moyen terme d’imposer un rapport de forces électoral plus favorable. L’irréversibilité et la gravité du désastre climatique, conjuguées à la menace fasciste, obligent donc les populations qui en subiront les conséquences les plus dramatiques, à envisager de faire sécession.

Ça peut paraître extrême et triste comme solution, la sécession, mais on est sur une question de vie et de mort, là, donc en fait, ce serait parfaitement compréhensible. Mais ça traduirait quelque chose : l’échec de la société. Et en effet, on y fonce tout droit.

Par contre, le conte à la fin… C’était pas obligé, c’est vraiment pas fin, ça m’a même saoûlée par moments, c’est du réchauffé pas très subtil sur certains plans.

Ce livre m’a pas mal ému (il permet de regarder la situation et l’humanité en face), le propos est puissant, il m’a appris plein de choses (c’est même pas un vrai résumé ce que j’ai écrit), il est accessible, que demande le peuple ? Je vous le conseille très fortement (surtout les écolos blancs, vous, c’est une obligation), vous ne le regretterez pas, il va vous apporter beaucoup de choses. Le sujet est urgent en plus.

8 réflexions sur “Pour une écologie pirate, de Fatima Ouassak

  1. Tu me donnes très envie de découvrir ce livre !!!

    Sur cette « notion d’utilité » pour les personnes racisées ça me rappelle ce qui est arrivé il y a peu avec des associations qui faisaient travailler des gamins à la rénovation d’un hôpital pour qu’ils « mérite » leur séjour à la plage ou à la montagne… Et puis ça résonne aussi pas mal avec ma lecture actuelle (On ne peut pas accueillir toute la misère du monde) qui revient sur la sélection que certain.es seraient près à effectuer sur les réfugiés plus « utiles ». Ok, accueillir des migrants mais au moins que ca serve à quelque chose quoi…
    Je trouve cette rhétorique glaçante d’inhumanité.

    Bon, du coup si c’est une obligation, il file directement dans ma wishlist ! J’espère que ca me donnera envie de continuer à me battre et pas envie de me tirer des balles aha

    Aimé par 1 personne

  2. Je note cet essai dans la liste des livres que j’ai vraiment très très envie de lire. Il a l’air vraiment passionnant (même si peut-être un peu décourageant quand même ?) et je pense que ça peut être bien de revenir sur certaines choses, de creuser un peu, de voir autrement. Merci pour cette chronique et merci pour la découverte !

    Aimé par 1 personne

  3. Il a l’air aussi génial que son premier livre : La puissance des mères, que j’avais chroniqué (https://crevette-diplomate.fr/livre-la-puissance-des-meres-fatima-ouassak/) tellement je l’avais trouvé génial et pris aussi une claque ! Et sa force est surtout de dresser un constat déprimant, mais que le livre reste positif (en tout cas, vu ta chronique, ça a l’air d’être aussi le cas).
    J’ai bien aimé la reprise de l’exemple « qu’ils traînent », je sais que j’ai toujours ce débat-là avec des amis, ça m’agace ! Maintenant, je leur demande ce qu’il préfèrent : que ces « jeunes » restent devant la télé ou qu’ils sortent ?! Afin de pointer leur contradiction !
    Sur la gauche, je pense qu’il va falloir qu’on fasse un distinguo entre la vraie gauche et la gauche PS qui n’a rien fait pour les quartiers populaires comme pour les territoires ruraux. La seule chose qui a l’air de manquer dans ce livre, c’est justement de montrer que les écologistes ont aussi oublié les territoires ruraux (là, où l’extrême-droite fait aussi de bons scores). Et ce point est surtout important de ne pas opposer les quartiers populaires/racisés avec les territoires ruraux, car c’est l’objectif des politiques : diviser pour mieux régner alors que ces espaces veulent la même chose : plus d’accès aux services publics !

    Aimé par 1 personne

    • J’ai lu ta chronique (l’avais-je déjà lu ? Je ne sais plus), je veux lire ce livre, ouiiin. Le parallèle qu’elle fait entre les mères et les dragons dans « La puissance des mères », elle fait le même avec les personnes racisées dans ce livre. C’est sûrement pour dire que les personnes précaires et minorisées ont une immense force que certaines personnes dénigrent pour ne pas qu’on l’utilise.
      J’entends que les vieux dire que ces jeunes traînent, je t’avoue que je choisis les sujets sur lesquels je vais rebondir tellement y en a de problématiques, et celui-là n’est pas une priorité, je me contente de lever les yeux au ciel.
      Oui, en effet, elle ne parle pas vraiment du rural :/
      Ce distinguo entre les deux gauches, on commence à le faire mais ça arrange bien la droite de ne pas le faire, comme ça iels peuvent tous nous traiter de terroristes.

      J’aime

  4. Pingback: C’est le 3, je balance tout ! # 81 – Septembre 2023 | L'ourse bibliophile

Laisser un commentaire