Tous les hommes du roi, de Robert Penn Warren

tous-les-hommes-du-roi-coverQuatrième de couverture

Années trente, alors que dans la chaleur du Sud, ses ennemis manœuvrent pour prendre sa place, Willie Stark, «l’enfant humilié» devenu gouverneur, se découvre un nouvel adversaire : le vertueux Juge Irwin. Le Boss charge alors Jack Burden, narrateur cynique en quête de sens, du fardeau de découvrir la vérité, car dans un monde de corruption « il y a toujours quelque chose à déterrer ». Mais déjà le Temps agit, les trahisons du passé dessinent celles futur et tous les hommes du roi montent sur scène pour la tragédie à venir. De l’angélique Anne Stanton à la diablesse Sadie Burke, en passant par Adam l’esthète et Sugar Boy le porte-flingue, chacun jouera son rôle dans ce magistral roman à l’écriture époustouflante, qui de la vie donne son image la plus juste et poignante : celle de la fragilité.

Critique

Je ricane un peu car la quatrième de couverture vous laisse imaginer comment le scénario peut se dérouler… mais vous aurez probablement tort. On s’imagine qu’il va y avoir de l’action… mais pas de la manière que vous croyez ni décrit de la façon que vous imaginez. Est-ce que ça fonctionne quand même ? Complètement !

Ça commence comme un simple récit fictionnel politique dans les années 30 dans le Sud des Etats-Unis, à part que c’est bien plus que ça. Mais avant de parler des autres aspects du roman, on va se concentrer sur celui-là pour le moment.

Willie Stark, qui n’est pas trop d’une ascendance bourgeoise (c’est le cas de le dire), se présente pour devenir gouverneur de son Etat, soutenu par les hommes d’un candidat qui souhaite diviser les voix de son adversaire (à la base, Willie Stark part de rien et est d’une maladresse pitoyable). Willie Stark finira par l’apprendre, et à vous de voir sa réaction…

Ce dernier est assez particulier : il souhaite réellement apporter quelque chose au peuple. Il a donc un côté assez authentique et honnête (son côté « cul-terreux », on imagine), un peu grossier et violent dans sa façon de s’exprimer, ce qui plaira aux gens et ce qui l’amènera à être élu. Seulement, les rouages de la politique sont toujours présents et auront toujours leur influence, que cela plaise à Willie Stark ou non. Celui-ci finira par tomber dans les pièges qu’il voulait éviter, à bénéficier de certains avantages que, soi-disant, il ne voulait pas utiliser pour ne pas avantager ses proches… et c’est pourtant ce qu’il fait à certains moments. Il créera tout de même des infrastructures (un hôpital, notamment) et des lois fiscales justes pour le peuple, mais tout ça est la surcouche pour camoufler la corruption derrière.

La question qui sera soulevée par cet homme est : « Construit-on le bien à partir du mal ? » Vous avez 4 heures, un truc du genre.

Bref, vous l’aurez compris, la complexité du monde politique sera au rendez-vous. Mais ce roman, ce n’est pas tout.

S’il s’appelle « Tous les hommes du roi« , ce n’est pas pour rien. Sugar Boy, le chauffeur, Sadie Burk, la secrétaire de l’office (et bien plus), Tiny Duffy, le, euh… celui qui a des relations, Jack Burden, l’ancien journaliste employé par Willie Stark, Adam et Anne Stanton, les amis d’enfance de Jack… Chacun aura un rôle à jouer dans le début et la fin de Willie Stark. Jack Burden est le narrateur de son roman et c’est le personnage qu’on connaît le mieux. A travers ses yeux, on voit beaucoup de choses avoir lieu… Et souvent, alors qu’il ne participe pas, c’est juste un observateur, il est assez distant la plupart du temps. Mais de par ses liens avec certains personnages, de par sa passivité, est-il quand même responsable de ce qui arrive ?

Parfois, le roman part dans des digressions, ce qui peut paraître surprenant. La première fois, ça nous agace, on se demande à quoi ça sert, l’histoire voulait nous amener vers quelque chose d’autre de plus palpitant et on se retrouve avec une histoire dont on se fiche éperdument ? Mais celle-ci a une utilité et l’autre point fort de ce roman, c’est la toile d’araignée complètement fluide et logique tracée par l’auteur, au sein duquel on trouvera une analyse des actions et des émotions assez fine des personnages. Des questions philosophiques apparaîtront aussi. Je ne vais pas les détailler car je vous spoilerai sinon, mais je tiens à vous rassurer, c’est tellement incorporé dans le récit que vous n’y trouverez rien de compliqué.

Le point qui va faire basculer le roman, c’est l’enquête confiée par Willie Stark à Jack Burden. Parce qu’il y a toujours quelque chose à déterrer, et que le juge Irwin a eu l’outrecuidance de soutenir son adversaire politique. A partir de là et des recherches de Jack Burden, les évènements vont s’enchaîner. Tout doucement, mais sûrement. Durant ma lecture, j’étais avide de savoir la suite. Même quand celle-ci ne correspondait pas à ce que j’imaginais. On pourrait croire que c’était négatif, mais non, c’était passionnant. L’auteur a une écriture qui nous emporte dans son récit, ses descriptions ne sont pas lourdes et ajoutent au côté immersif. Le livre fait plus de 600 pages, mais n’ayez pas peur, c’est pour votre bien.

L’enquête va dévoiler les tares de chaque personne, montrer qu’il y a du blanc et du noir chez chacun, mais aussi du gris, cette zone où la nuance est toujours présente. Jack Burden est aussi inclus dedans : il est passif, cynique, et on croirait que par sa distance, il n’a pas tellement d’influence, mais en fait, il fait bien plus de choses qu’il en a l’air. Sa passivité amène d’autres à agir malgré tout, et peut-être pas comme il l’aurait voulu. Il se rend aussi compte que sa vie émotionnelle (et sa vie tout court en fait) a été entraîné dans telle direction par d’autres avant lui, par leurs secrets. Le personnage aura été difficile à cerner tout le long, mais chaque brique de la construction du roman aura rendu les choses claire.

Bon, après, ça se voit que l’auteur est un Américain du sud de son pays, il utilise le n-word comme si de rien n’était et d’ailleurs, les personnes noires sont décrites comme elles l’étaient, avec cette manière qui les rend dispensables, ignorantes et idiotes. Par moments (surtout au début), c’était franchement agaçant. Bref, un roman de blancs écrit par un homme blanc de son temps. (après, je ne connais pas son opinion personnelle sur la question mais ça m’a fait bizarre)

Je ne peux en dire plus car je ne veux pas révéler ce puzzle sublime, cohérent et passionnant (ce serait compliqué de toute façon, mais quand même). Je trouve que c’est un très beau roman, j’avais une idée en tête en lisant la quatrième mais l’auteur a su rendre les choses plus complexes et belles.

Ce fut une lecture commune avec Anaïs de La page qui marque, on a lu un superbe livre !

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