L’empire du malheur, de Jonathan Sadowsky

Sous-titre : Une histoire de la dépression

Résumé

Des millions de personnes doivent vivre au quotidien avec la dépression. Mais si cette maladie est désormais couramment diagnostiquée, elle suscite toujours de vives interrogations : comment la distinguer de la simple tristesse ? S’agit-il d’une affection liée au mode de vie moderne ou « occidental » ? Les causes en sont-elles biologiques, psychologiques, ou sociales ? Et comment la traiter ?

Dans L’Empire du malheur, Jonathan Sadowsky propose une mise au point essentielle sur cette forme aussi répandue que méconnue de détresse psychique. Il retrace à cette fin la longue histoire de la dépression et des réponses qui lui ont été apportées : l’apparition de ses différents avatars (comme la célèbre mélancolie), la naissance de la psychanalyse et des psychothérapies, le développement des diagnostics de dépression dans la période de l’après-guerre, et enfin l’essor, à partir des années 1980, de médicaments comme le Prozac. Au fil d’une analyse qui convoque aussi bien les traités médicaux que les récits biographiques, il souligne la dimension fortement inégalitaire de cette maladie. Et démonte une à une les approches qui, par dogmatisme, en viennent à négliger la souffrance qu’elle produit.

Chronique

Mon premier coup de cœur de l’année 2023. Il ne sera probablement pas le meilleur mais alors, quelle lecture ! J’ai appris plein de choses, d’autres m’ont surprise et m’ont fait revoir mon jugement.

L’auteur parle de ce qu’a été la dépression au cours de l’histoire (et sous un ancien nom, la mélancolie), de comment elle a été considérée (plus comme une maladie pour les femmes que pour les hommes, qui est surpris·e ?), quelles étaient ses symptômes supposés et les moyens de la soigner. D’ailleurs, sur ce dernier point, c’était souvent n’importe quoi selon moi… Les conseils de « faut manger ceci, pas cela » ne datent pas de notre civilisation contemporaine et étaient tellement pléthore que cela aurait presque pu être interprété comme « Ne mangez plus rien car tout est potentiellement dangereux ».

Bref, tout ceci, c’est dans le contexte de l’Occident. On entend souvent dire ailleurs que la dépression est une maladie occidentale. C’est plus compliqué que ça en fait. La dépression peut exister sous un autre nom, on considère que certains symptômes sont en réalité plus probants que d’autres, elle est soignée autrement, elle peut être sous-estimée, etc. Bref, la dépression existe probablement partout mais pas comme l’on croit. Il y a des cultures qui ont deviné des choses sans l’aspect hyper scientifique occidental, donc imposer nos vues n’est pas forcément une bonne idée, et encore moins pertinent.

Selon l’auteur, mais aussi de par mes constatations (et pas seulement qu’en lisant ce livre, avec mon expérience dans la vie aussi), la dépression est une maladie difficile à diagnostiquer de façon certaine (alors le DSM, bon…), de plus il n’y a pas de profil type. Par contre, il est sceptique sur l’accusation de surdiagnostic… Par rapport à quoi ? A avant ? Est-ce qu’on diagnostiquait mieux la dépression auparavant ? (la réponse est probablement non) Il ne nie pas qu’il y a sûrement des abus mais qu’on a trop tendance à les généraliser.

Les abus ont aussi lieu avec les gens elleux-mêmes. N’importe quelle personne réellement en dépression a déjà entendu quelqu’un·e dire qu’iel est en dépression car iel a quelques jours où iel est triste ou qu’iel a perdu un être cher (à ce sujet, ce n’est pas encore très clair et certain·e·s ont peur que la dépression serve juste à pathologiser un évènement habituel de la vie, le deuil). Cette banalisation du terme « dépression » est à la fois une bonne (pour la déstigmatisation) et une mauvaise chose.

Et du coup, en admettant que vous ayez le diagnostic, quels sont les traitements? L’auteur retrace ce qui a été utilisé auparavant, les nouvelles choses qu’on a aujourd’hui et ce qui est toujours pratiqué. Il y a les thérapies médicamenteuses et les thérapies plus basées sur le psychologique, le mental, l’affect. Si l’auteur reconnaît qu’il est nécessaire de prendre en compte ces deux aspects, ça a été difficile et ça l’est toujours pour d’autres de considérer les deux.

En gros, distinction, ok, mais en favoriser l’une par rapport à l’autre est un peu stupide. Même si on va avoir tendance à médicamenter plus la maladie pour les cas les plus graves et amener les cas plus modérés vers une thérapie psychologique, les deux sont souvent nécessaires pour la progression vers la guérison.

Deux choses m’ont un peu surprise : l’auteur a nuancé l’opposition à la psychanalyse et à l’ECT (électroconvulsivothérapie). Pour cette dernière, heureusement, la pratique est beaucoup plus règlementée qu’avant (avant, c’était du n’importe quoi, pratiqué à tout bout de champ, y avait même pas d’anesthésie parfois, alors qu’aujourd’hui, c’est vraiment du dernier recours et on fait bien attention à ce que vous n’en souffriez pas – toujours les effets secondaires par contre, dont perte de mémoire), mais pour la psychanalyse, certains défauts de l’époque sont encore présents, notamment le dogmatisme et le réactionnisme de certain·e·s. Mais globalement, de ce que j’ai lu, ça me paraît assez utile malgré son manque de scientificité, et à titre personnel, pour avoir été en dépression, certains éléments m’ont parlé. Je crois que c’est ce qui m’a le plus surprise dans ma lecture (on a tou·te·s en tête les dérives et les témoignages négatifs), du coup j’ai demandé des témoignages sur les réseaux sociaux et à part un, ils étaient tous positifs ! Y en a même une qui serait pas contre en refaire une si elle avait les moyens, bah dis donc… Avouez que ça intrigue quand même… En gros, de ce que j’ai lu, de ce que je sais, le problème, ce sont certain·e·s praticien·ne·s (déso pas déso). Et puis ma vision d’une psychanalyse qui ne reconnaît pas le biologique a reçu un coup :

Il est assez probable, cependant, que Freud non seulement n’aurait pas exclu, mais qu’il aurait même été tout à fait désireux d’expérimenter avec ses patients de nouveaux traitements somatiques. Neurologue de formation, il plaçait beaucoup d’espoir dans les pouvoirs thérapeutiques des traitements médicamenteux. A la fin de sa vie, il insista sur l’idée que la science parviendrait ultimement à expliquer la biologie des maladies mentales. Il est cependant possible, comme l’ont soutenu par la suite nombre de ses continuateurs, que son idée ait été que la mobilisation de la biologie ne correspondait qu’à une première étape et qu’une thérapie dynamique demeurait requise pour parvenir à des transformations plus profondes.

Après, Freud n’était pas parfait et n’avait pas raison sur tout (obsédé par le sexe, misogyne as fuck, et sûrement d’autres choses que je ne sais pas). Mais même des personnes qui disent s’en inspirer dévoient complètement ses idées. Dans les années 70, un docteur a porté plainte contre la clinique où il était soigné car il disait n’être pas traité avec tous les traitements possibles. Clinique qui utilisait seulement la psychanalyse et qui réfutait les approches médicamenteuses. Et c’est ce genre de personnes qui a donné l’image d’une psychanalyse qui rejette la biologie alors que non ! Le docteur a eu gain de cause et la clinique a fini par fermer.

Si vous voulez mon avis, la psychanalyse gagnerait à être plus règlementée, ou à au moins avoir un background sur la psychologie (ceci n’est que mon opinion et je vais continuer dans la phrase suivante). Je trouve la psychologie hypocrite à rejeter la psychanalyse alors qu’elle s’en est parfois inspirée… Il faudrait être un peu honnête et le dire.

L’auteur va aborder les problèmes que peuvent soulever le DSM (le manuel de classement des troubles mentaux) qui catégorise trop car la dépression est beaucoup trop large pour rentrer dans une case et en même temps, il a aussi son utilité car il donne des bases sur lesquels se pencher.

Rien qu’avec ce paragraphe (mais aussi avant), vous vous doutez que l’auteur est assez nuancé dans sa synthèse de l’histoire de la dépression. Je ne suis pas anti-psychiatrie, mais je suis des personnes anti-psychiatrie et même si je ne suis pas du tout d’accord avec leurs conclusions (l’abolition de la psychiatrie), je trouve leurs critiques intéressantes, et la psychiatrie aurait à y gagner à les écouter et à réformer profondément le bordel.

Il a aussi dit quelque chose que j’ai trouvé importante et je sais que certain·e·s psychologues (pas la mienne) balaient d’un revers de la main ce fait (sûrement parce que leur égo ne supporte pas de ne rien pouvoir y faire à ce niveau /pan/) :

Ici encore, il ne saurait être question de séparer le politique et le pathologique, non plus que de les réduire l’un à l’autre.

Y en a certain·e·s qui sont en PLS, là. Il parle d’ailleurs pas mal de la psychiatrie qui a été influencé et a renforcé ainsi les mécanismes d’oppression (racisme, sexisme, homophobie, etc), et qui continue à le faire, ce qui constitue un gros problème et même un obstacle à la guérison. Il ne nie rien, ça fait plaisir.

Ce livre a été passionnant, l’auteur a aussi abordé plein d’autres sujets, auxquels on ne pense pas forcément à première vue mais dont les remarques finissent bien par fuser selon le contexte (la stigmatisation des malades, si par contre). Il a nuancé des choses, les a rendu constructives, m’a appris des choses (la psychanalyse, je m’en remets pas). Je vous conseille sa lecture même s’il peut sembler impressionnant (dans les 400 pages) mais il est fluide si ça peut vous rassurer.

16 réflexions sur “L’empire du malheur, de Jonathan Sadowsky

  1. @Ada si c’est bien vous qui avez laissé un commentaire sur mon dernier enregistrement audio, je tiens à souligner que: (1) après un court temps de réflexion j’ai mesuré qu’il était totalement inapproprié sinon blessant (résultat d’une mauvaise interprétation de votre part; de nombreuses personnes dans mon entourage ont compris et ont même ri de l’audio…); (2) j’ai donc supprimé le dit commentaire. Je vous prierai de vous abstenir dans l’avenir de laisser de tels commentaires sur mon blog. J’espère que vous comprendrez. Bien cordialement

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  2. Je suis censé bouder ton blog mais c’est seulement pour te prévenir : fais attention au commentateur au dessus. C’est un comportement quelque peu étrange et je sais que tu es assez naïve.

    D’ailleurs j’en profite pour te dire que je regrette mon attitude. C’est con de devoir le dire ici mais j’ai retiré tout moyen de communiquer. ^^ Bref, fais attention et j’espère que ça se passe pas mal pour toi.

    Si tu ne sais plus qui je suis, c’est pas très grave. Je mérite pas vraiment qu’on se souvienne de moi.

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