Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, de Frans de Waal

intelligence-des-animaux-coverQuatrième de couverture

Qu’est-ce qui distingue votre esprit de celui d’un animal ? Vous vous dites peut-être : la capacité de concevoir des outils ou la conscience de soi – pour citer des traits qui ont longtemps servi à nous définir comme l’espèce dominante de la planète.

Dirons-nous que nous sommes plus stupides qu’un écureuil parce que nous sommes moins aptes à nous souvenir des caches de centaines de glands enterrés ? Ou que nous avons une perception de notre environnement plus fine qu’une chauve-souris dotée de l’écholocalisation ?

De Waal retrace l’ascension et la chute de la vision mécaniste des animaux et ouvre notre esprit à l’idée d’un esprit animal bien plus raffiné et complexe que nous ne l’imaginions…

Critique

Ne vous fiez pas au titre volontairement provocateur, le contenu de ce livre est bien plus intelligent et bien moins manichéen. Les animaux ont besoin d’être défendus car tout est fait par une certaine frange de scientifiques et par des croyances opportunistes de la part de gens lambda pour faire croire que les animaux sont stupides.

A la question du titre, l’auteur répond par « non » dès l’introduction. Et il a raison, on est clairement en capacité de comprendre l’intelligence des animaux. Ma question serait plutôt : veut-on réellement la comprendre ? Et c’est là que le bât blesse. Frans de Waal nous raconte les progressions de l’éthologie (en gros, ils étudient le comportement des animaux (nous inclus) grâce à des méthodes qui prennent en compte leurs spécificités biologiques) mais aussi ses obstacles, et dieu sait qu’ils sont nombreux !

L’éthologie n’a d’ailleurs pas toujours eu le vent en poupe le siècle dernier, et ça a encore son influence aujourd’hui. Frans de Waal raconte ce qui a été fait depuis de nombreuses décennies et l’arrogance de certains scientifiques était clairement palpable. Si on part du postulat qu’on veut prouver que les humains ont de meilleures capacités dans tel catégorie, on va trouver la réponse qu’on veut ! Du coup, les expériences produites ont forcément eu un côté biaisé car on ne mettait pas les humains et les animaux sur un pied d’égalité durant ces mêmes expériences. Et surtout, on n’a pas considéré l’animal dans son ensemble ! L’exemple du gibbon, un primate, est assez parlant : leurs mains ne sont pas comme les nôtres, et pourtant, on les a traité comme si c’était le cas et ils n’ont donc pas pu réaliser ce qu’on leur demandait. Et une fois qu’on a adapté les modalités de l’expérience à leur morphologie, devinez ce qui s’est passé ? Oh bah ils ont réussi, quel miracle ! (non)

Vous l’aurez donc compris, certaines expériences étaient assez malhonnêtes de ce point de vue. (et étrangement simplistes et expéditives pour certaines) On a donc découvert que si un animal ne savait pas faire la même chose que nous, c’est que ça ne faisait pas forcément partie de ses besoins pour survivre ou que sa morphologie ne lui permettait pas. Et ce n’est pas grave ! De plus, on a voulu s’attribuer certains mérites : l’utilisation d’outils, la mémoire, la conscience du passé et du futur, l’action collective vers un but précis, la hiérarchie sociale, l’empathie… On a voulu prétendre que c’était exclusif à l’espèce humaine, que c’était en cela qu’on se distinguait des autres animaux. Manque de bol, on a réussi à prouver que c’était présent chez certaines espèces et pas que chez nos proches cousins les grands singes ! D’ailleurs, je vous conseille de ne pas sous-estimer les poissons et de vous méfier des corbeaux. (ce ne sont pas des tendres)

Il y a aussi une chose qu’on n’arrête pas de dire et qui est en réalité profondément injuste envers les animaux. Dès qu’on cède à une pulsion, que nous allons à l’encontre de cette fameuse civilité qui caractérise l’humanité, nous sommes des « animaux ».  Et là encore, les animaux sont tout à fait capables de résister à une tentation, pour plein de raisons : intérêt à venir, normes sociales quand il y en a au sein de leur espèce… C’est donc encore une excuse de pacotille. Et puis dire qu’on est des animaux est de toute façon vrai et on a largement tendance à l’oublier. Le déni est en général évident pour des fins pas très morales de mon point de vue.

Je crois que ce qui m’a le plus fait rire, c’est l’expérience où ils ont testé un chimpanzé pour la mémorisation visuelle. Les scientifiques ont donné une série de neuf chiffres que l’animal devait mémoriser en très peu de temps et la refaire sans se tromper (deux secondes à peine), ce qu’aucun humain ne sait faire. (on peut le faire mais avec pas mal de secondes supplémentaires au compteur) Le chimpanzé en question a réussi ! Ils sont donc meilleurs que nous dans ce domaine, ce qui a énormément vexé d’autres scientifiques qui ont décidé de… s’entraîner pour rivaliser avec lui, ce qui est absurde car le chimpanzé n’a pas eu besoin de s’entraîner, lui… (vous pouvez chercher « Ayumu singe » comme mots clés dans un moteur de recherche, vous trouverez sans problème) Cette volonté de toujours être supérieur à tout le monde est assez fatigante.

Il y a quelque chose que j’ai apprécié, c’est que l’auteur est quand même assez honnête, qu’il sait prendre du recul et qu’il ne considère pas forcément son domaine comme ayant la réponse à tout. Il explique bien qu’ils ne savent pas tout, et que même ce qu’ils ont découvert peut être remis en question par de nouvelles expériences. Que la cognition n’est pas le nouveau domaine à aduler pour prouver une certaine intelligence chez les animaux, bien que sa pertinence soit loin d’être négligeable. Que les sceptiques sont ce qu’ils sont, et tant qu’ils n’essaient pas « d’assassiner » toute tentative de démontrer que les animaux ont leur propre intelligence à grand renfort de mauvaise foi, ils sont assez utiles car ils pointent du doigt des incohérences ou signalent que telle expérience est insuffisante, ce qui amènent les éthologues et d’autres scientifiques à redoubler d’effort et d’imagination.

Bien sûr, je viens de vulgariser ce qui est déjà vulgarisé dans le livre. C’est accessible, aucune crainte que vous vous sentiez largué. Mon petit bémol en tant que végétarienne (il fallait s’en douter…), c’est que les animaux domestiques sont à peine effleurés (bien qu’il ait expliqué que l’étude sur eux était un peu compliquée du fait de leur domestication) et les animaux d’élevage sont quasiment inexistants.

Néanmoins, j’ai adoré ce livre, il remet un peu les points sur les i et le mépris que les humains ont eu durant des siècles est démonté de façon très intelligente durant tout le contenu. Si vous n’apprendrez peut-être pas grand-chose sur les dauphins par exemple, d’autres espèces vont clairement vous surprendre. Tous les concepts y sont expliqués, il y a même un glossaire à la fin. Un livre essentiel, d’utilité publique à mes yeux.

 

20 réflexions sur “Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, de Frans de Waal

  1. Cela me fait penser à la citation d’Eistein. : « Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide. » En tout cas je trouve ça bien qu’on commence à réfléchir sur nos rapports aux animaux.

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  2. Merci pour cette chronique !! Je ne connaissais pas le livre mais je viens tout de suite de le noter dans mes livre essentiels à lire ! J’adore les animaux et j’essaye de me sensibiliser de ce côté 🙂 Comme toi je suis végétarienne et j’ai très hâte de pouvoir me procurer ce livre. Merci merci ♥

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  3. Ce matin dans une émission de radio (France Inter pour ne pas la nommer), Pascal Picq l’anthropologue a fait une remarque qui m’a interpellée : si on n’essaye pas de comprendre l’intelligence des animaux, qui est juste différente de la nôtre, comment pourra-t-on survivre dans un monde dominé par une intelligence artificielle, créée par l’Homme mais aussi très différente. Les Hommes par leur orgueil jugent ce qui est différent d’eux comme inférieur (et ce n’est pas que pour l’intelligence) : ce postulat doit vite changer sinon nous allons tous y rester.

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    • Oh, je n’avais jamais pensé à ça, mais il a raison ! Je pense surtout à comprendre l’intelligence des animaux car on a à être empathique et neutre scientifiquement selon moi, mais ce point de vue est très intéressant, merci de l’avoir mentionné.

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  4. En ce moment je lis Lettre ouverte aux animaux, de Frédéric Lenoir et il parle de l’expérience menée avec le chimpanzé, que cite De Waal. C’est génial ! C’est affreux de se dire que nous faisons partie d’une espèce cruelle, presque une erreur de la nature lorsqu’on regarde le comportement humain face aux animaux. Quelque chose qui m’a interpellée dans ma propre lecture, c’est la souffrance des animaux dans les abattoirs. Je savais déjà que c’était épouvantable mais elle était décrite de telle façon que pour la première, ça m’a donné envie de me passer de viande totalement (je n’ai jamais beaucoup aimer la viande, mais là, ça m’a tuée).

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    • Oui, je comprends ton désespoir, mon déclic, ça a été en regardant une vidéo d’un abattoir français… C’est horrible. Je n’ai jamais lu Frédéric Lenoir, il est très connu pourtant !
      Pour l’expérience avec le chimpanzé, tu parles de la mémoire visuelle par rapport à un enchaînement à retenir et le chimpanzé est plus rapide que les humains ? Ca m’avait beaucoup marqué, ça…

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