Neige, d’Orhan Pamuk

neige-pamuk-coverLà encore, je ne copie-colle pas de résumé, car ceux que j’ai trouvé en disent à la fois trop et pas assez sur ce livre. Trop, parce qu’ils récapitulent une grosse partie des thèmes abordés en donnant même carrément le contexte (il est donc facile de deviner qu’avec tel personnage, tel évènement va se produire). Mais ils n’en disent pas assez (et tant mieux) car comme l’est souvent une quatrième de couverture, la façon de raconter brièvement ce que le roman va apporter est grossière et insuffisante, elle caricaturerait presque le livre.

Je pense que vous l’avez déjà plus ou moins perçu dans ce que je viens de dire, mais Neige n’est clairement pas un livre à lire si vous cherchez à vous détendre. Il m’a, d’une certaine façon, fait le même effet que Kenzaburô Ôe car à la fin de ma lecture, je ne savais pas trop quoi dire. Mais j’ai finalement bien plus de choses à raconter qu’avec Le jeu du siècle : cette impression a disparu peu de temps après la fin du roman alors que, paradoxalement, j’étais bien en peine de savoir ce que j’allais pouvoir dire et comment j’allais le dire durant ma chronique, arrivée au milieu du bouquin.

On se trouve à Kars, petite ville provinciale en Turquie, avec Ka, poète turque exilé en Allemagne, qui y vient pour enquêter sur une affaire de filles voilées qui se suicident, mais aussi pour retrouver Ipek, une ancienne camarade de la fac dont il est épris. Ça vous paraît banal ? On évolue aussi dans un contexte politique tendu, avec les élections municipales qui approchent, et dont l’ancien mari d’Ipek, Muhtar, est un des principaux candidats et représentant un courant islamiste assez radical. Vous avez levé les yeux au ciel ? N’en faîtes plus rien. J’étais aussi extrêmement dubitative quand j’ai vu ce que l’auteur semblait nous offrir au début, mais tout est beaucoup plus intelligent et beau que ça dans ce roman.

Oui, je dis beau, et je ne l’entends pas forcément comme « joyeux ». Pendant ces quatre jours contés par le narrateur (non par Ka, mais un de ses amis), la neige est omniprésente. Elle rend les choses belles, fascinantes, nostalgiques mais aussi un peu immuables (ce qui est paradoxal vu tout ce qu’il se passe pendant ce laps de temps), angoissantes, et parfois même terrifiantes. Elle est au coeur de ce roman et n’oublions pas que Ka est poète : il va, à sa manière, s’en inspirer pour structurer les poèmes qui lui viendront en tête, et je vous laisse le soin de le découvrir par vous-même. Par contre, je préfère que vous ne viviez pas la même déception que moi lors de votre lecture : aucun vers de ses poèmes ne vous sera offert, à aucun moment. Semi-déception toutefois, car les lire ou non n’a finalement pas une si grande importance que ça. (c’est ma curiosité qui chipote)

Oui, Ka, poète en manque d’inspiration, a pourtant des moments fulgurants d’écriture de poèmes à Kars qu’il se doit d’écrire à chaque fois sur le champ sous peine de les oublier, au point qu’on en vient à se demander s’il en est réellement à l’origine ou si c’est « autre chose ». (lui-même se pose la question) Bien sûr, la neige est un paysage qui aide à leur écriture, mais c’est surtout sa vie pendant ces quelques jours à Kars qui l’inspire. On retrouve d’ailleurs ce personnage à part entière dans l’écriture même : elle permet l’apaisement mais aussi la violence. Cette contradiction m’avait pas mal mis mal à l’aise tellement je ne savais pas sur quel pied danser.

Et ces jours-là ne sont pas forcément de tout repos : au-delà de son idylle amoureuse avec Ipek (on en reparlera), le contexte politique est très tendu comme je l’ai dit auparavant, et les protagonistes islamistes qu’on nous présente comme les grands méchants sont tous différents à leur manière, et parfois même touchants. (Necip, tu es le meilleur, sache-le – oui, il fallait que je place son nom quelque part) Ce qui n’est finalement qu’une simple enquête ne va pas plaire à certains, d’autres vont essayer de manipuler l’opinion de Ka (qui se trouve tiré de tous les côtés, semble perdu et se sent coupable sauf si ça peut être à son avantage)… Mais finalement, toutes ces manigances seront contrebalancées par des évènements qui se feront précipiter la situation d’une manière absolument tragique, et on en oublierait presque ce qu’on avait prédit au début.

D’ailleurs, la suite peut paraître exagérée, mais je ne le pense pas car elle est néanmoins réaliste et en dit assez long sur ce qu’il se passe, ou peut se passer, en Turquie. Si l’Occident est critiqué à travers la personne de Ka (celui-ci est laïc et très moderniste), c’est aussi la société turque qui est passée au vitriol. Tout le monde y passe : l’Etat, l’Occident, les islamistes, les laïcs, les militaires, ceux qui voudraient contrôler les femmes (tout le monde), la province turque et ses gens pauvres mais aussi Istanbul et ses bourgeois pédants…

Le personnage de Ka est assez intéressant dans le sens où il est assez complexe, et ne sait pas lui-même ce qu’il veut. J’ai pu m’identifier en partie à lui, car les faits font qu’on ne sait pas réellement de quel côté se trouver. Tous coupables et innocents à la fois. Mais la peur surtout est présente partout et commune à chaque personnage, quelles que soient ses opinions politiques et idéologiques. Ce sentiment est vraiment le début et la fin des pires choses dont l’humain est capable. Il n’y a donc pas que Ka qui fait une introspection permanente de lui-même : le lecteur est bien obligé de s’y mettre aussi. C’est pour cela que je vous disais qu’il ne fallait pas prendre ce livre pour vous détendre.

Ce livre fait donc réfléchir sur la situation sociale et politique, même chez nous où le contexte est quand même sensiblement différent. D’une certaine manière, les réflexions sont aussi philosophiques, l’auteur nous offre des dialogues sur un potentiel dieu qui sont très révélateurs de certains personnages et de leur façon de penser. Vous allez aussi être obligés d’aller au-delà de vos préjugés. Mais ce n’est pas tout : comme vous avez pu le noter, Ka est aussi très amoureux d’Ipek, et sa vision, sa façon de vivre son amour ainsi que celle de cette femme sont très intéressants et assez opposées. Ça m’a pas mal rassuré d’avoir ce traitement, je m’attendais à un truc niais à base d’amour et d’eau fraîche sous forme de neige. (comment ça, le pessimisme me rend sarcastique ?)

Mais arrêtons de parler des hommes deux secondes. S’il y a, sans grand étonnement, beaucoup de personnages masculins, la palme revient à Ipek et sa soeur Kadife, qui sont, en tant que personnages féminins, très intelligentes, surpassant bon nombre d’autres personnages quant à leur importance et leurs réactions, les leurs étant plutôt lucides. (bien qu’elles m’ont toutes les deux agacée sur un point qui leur est commun, mais là, on entrerait alors dans l’univers du spoil) C’est très appréciable de les avoir au sein de cette histoire, dans un environnement où la plupart des décisions sont prises par des hommes.

Ce roman comporte un certain suspens, notamment la fin qui comporte un revirement de situation qui bouleverse tout. Je ressors de cette histoire avec l’impression de n’avoir finalement pas compris grand-chose (je me rends bien compte que ça ne donne pas envie ce que je viens de dire, mais ne partez pas avant la fin !) mais peut-être parce que la vie n’est pas manichéenne… Ce roman se détache par sa complexité et cette volonté de faire comprendre plusieurs choses à la fois qu’il va très sûrement encore me faire réfléchir quelques jours.

Je vous conseille de ne pas lire un quelconque résumé avant, j’avais suivi aveuglément la suggestion de La viduité et ce n’était pas plus mal.

Bref, foncez si vous voulez lire un texte magnifique et avoir le cerveau sans dessus dessous. (c’est pas moi qui bosserait pour le marketing des quatrièmes de couverture)

13 réflexions sur “Neige, d’Orhan Pamuk

  1. Jamais lu une chronique aussi longue qui finit par : « je n’ai pas compris grand chose » !! J’ai un très bon souvenir de ce livre, mais atténué par la déception de ne pas avoir été aussi emporté que le road trip dans La Vie Nouvelle… Quand j’ai lu La Vie Nouvelle, j’ai cru que Pahmuk était mon écrivain favori, mais après La Neige, j’ai compris que c’était juste un très bon romancier international…

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    • Ben oui, mais je sais pas, laisse-moi réfléchir, ok ? 😛
      Bon, je note ce livre alors ! Je ne sais pas si je peux encore le considérer comme un de mes auteurs préférés vu que je n’ai lu qu’un livre de lui de toute façon. Je dois t’avouer que même si j’ai trouvé Neige très bon, il ne fait pas partie de mes livres préférés pour autant… Merci d’être passé en tout cas 🙂

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