Le jeu du siècle, de Kenzaburô Ôe

Oe_jeu-siecle_A17961.inddQuatrième de couverture

C’est le cahier du retour au pays natal de deux frères qui entreprennent un pèlerinage dans l’île de Shikoku au sud-ouest du Japon. Taka est rentré spécialement des États-Unis pour ce voyage qui doit lui permettre d’élucider une vieille énigme familiale datant de l’époque des révoltes paysannes du XIXe siècle et Mitsu se laisse convaincre de l’accompagner pour tenter de retrouver l’élan d’une vie nouvelle dans la forêt originelle. Il a enterré son meilleur ami qui s’est pendu à vingt-sept ans, son premier enfant vient de naître et il est né avec une malformation grave au crâne, sa femme s’en console en faisant un usage immodéré du whisky. Le Jeu du siècle est une vaste symphonie qui mêle des thèmes autobiographiques (Oé Kenzaburô est le père d’un enfant anormal), une réflexion sur les origines, des éléments de l’histoire du Japon dans le déploiement extraordinaire d’un imaginaire baroque.

Critique

Je ne pensais pas découvrir cet auteur aussi tôt. On me l’avait conseillé une fois dans un commentaire sur ce blog et cet article m’a définitivement convaincue de m’y mettre une bonne fois pour toutes. (je vous conseille d’ailleurs de faire un tour sur ce blog, j’dis ça, j’dis rien)

Et je dois avouer qu’en lisant le résumé, je ne m’attendais pas à ça. Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi profond et dérangeant.

Les deux frères, Mitsu et Taka, sont différents : l’un est passif et laid, l’autre est actif et beau. Deux faces opposées d’une même pièce. Ces éléments-là à propos de ces personnages sont assez révélateurs de ce qu’on apprend à connaître d’eux, mais ce serait aussi extrêmement réducteur.

Mitsu se trouve être dans la contemplation et dans la méditation, quand son frère cherche à accomplir quelque chose. Malgré une impression de normalité au sein du village où Taka réussit à embarquer son frère pour qu’il puisse chercher sa « chaumière » (après la naissance d’un enfant avec une excroissance au cerveau et le suicide de son meilleur ami, difficile de ne pas se sentir mal), l’ambiance reste assez angoissante et malsaine par moments. Cela est sûrement dû aux pensées de Mitsu, qui n’hésite pas à tirer de chaque observation une description assez crue. De plus, la violence émanant petit à petit de Taka renforçait ce sentiment.

C’est d’ailleurs cette angoisse durant la première moitié du livre qui a rendu ma lecture plus longue que prévu. L’aspect psychologique est très bien développé par l’auteur, qui décrit les choses avec une trempe impressionnante. Parfois même un peu trop, mais c’est ce qui a finalement rendu ce livre très intéressant. Une fois accoutumée, j’ai pu enchaîner plus librement avec la deuxième moitié du livre.

Les deux frères évoquaient d’ailleurs des souvenirs et la possibilité qu’ils aient pu être influencé par des rêves. Je dois avouer qu’au tout début du livre, c’est l’impression que j’avais, d’être en plein rêve. Bien sûr, une histoire n’est jamais réellement tangible puisqu’elle se déroule dans notre imagination mais cette fois-ci, j’avais l’impression bien plus forte d’être plongée dans une sorte de brouillard inexplicable. Une fois que certaines choses se sont éclaircies et que les évènements se sont succédés de manière plus vive, je retombais dans une vision plus dure et réaliste. C’était assez étrange.

Mais tout d’abord, je commencerai par souligner l’aspect de la révolte, inscrit dans l’histoire familiale des deux frères, et dont Taka compte bien faire une répétition par lui-même, en entraînant les jeunes du village, et par la suite, le village tout entier. La violence de leurs actions fait aussi partie des choses qui m’ont frappées, la cruauté de la nature humaine quand elle est exacerbée, ce qui m’a d’ailleurs fait légèrement penser à Germinal de Zola. Le sujet n’est pas développé de la même manière, et surtout, ce n’est pas le même contexte géographique, historique et social, mais certaines de mes conclusions s’en sont trouvées renforcées.

La rivalité entre les deux frères a fait émerger des sujets que je ne peux pas mentionner sous peine d’en dire trop sur l’intrigue. Personnellement, j’étais dans l’expectative, voulant secouer Mitsu pour le sortir de son indifférence (feinte) et donner des claques à Taka pour son arrogance. Bien évidemment, comme déjà mentionné dans un de mes paragraphes plus haut, ça reste assez peu pour les décrire, l’éventail de nuances étant infiniment plus large. Mais l’histoire est basée sur leurs réflexions et leurs actions et j’ai peur que, si je donne un élément, je donne aussi tous les autres indirectement.

J’ai par contre eu une petite frayeur pour mon appréciation de ce roman car j’ai aussi détesté un personnage, au point que je me suis demandée quel était son rôle dans l’histoire. (ou plutôt, est-ce que l’auteur avait absolument le besoin de la rendre agaçante – maintenant, vous savez que c’est une femme) C’est toujours assez perturbant d’apprécier sa lecture tout en grinçant des dents aux interventions de ce personnage en question. (je me soupçonne aussi d’avoir manqué de recul et d’empathie)

Rien qu’au niveau de l’inspiration de l’auteur, on y effleure des éléments historiques mais on retrouve aussi certains pans autobiographiques. Si je n’avais pas fait une légère recherche, je ne l’aurais pas su, mais Kenzaburô Ôe en a profité pour distiller des détails de sa vie. Vu sa manière assez crue de raconter les choses, c’était parfois assez déroutant.

Et je ne vous en dirai guère plus car très clairement, je n’aurais pas apprécié ce livre autant si j’avais su comment l’auteur comptait traiter les éléments qu’il allait nous donner. Cette histoire est assez atypique et je pense qu’elle ne plaira pas forcément à tout le monde mais elle vaut largement le coup d’essayer, rien que pour l’univers rural du Japon dans lequel je ne pensais pas me retrouver et que j’ai trouvé très plaisant.

Je tiens aussi à dire que j’ai vraiment l’impression d’écrire une chronique de merde car je ne rends sûrement pas justice à ce roman, mais le faire sans spoiler est très difficile et clairement, je viens d’échouer à la tâche. Donc ne vous fiez pas à cet article si vous le trouvez bof, et donnez sa chance à Kenzaburô Ôé, que ce soit celui-ci ou un autre, car à mes yeux, cet auteur a mis la barre haut.

6 réflexions sur “Le jeu du siècle, de Kenzaburô Ôe

    • Ah, tu veux dire la quatrième de couverture ? Tu as raison, j’ai bêtement copié-collé et je n’ai pas fait attention. Je vais remplacer avec « né avec une malformation au crâne » en attendant, dis-moi si tu penses qu’on pourrait le formuler autrement.

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  1. Tu t’en sors très bien ! Je sais à quel point c’est difficile d’éviter les spoils 😉 Ca fait longtemps que j’ai envie d’étendre un peu ma culture niveau littérature asiatique depuis que je vénère Murakami, je note celui-ci donc !
    (Oh et MERCI d’avoir écrit « a mis la barre haut », j’en peux plus des gens qui rajoutent un E, ça me fait hurler à chaque fois hahaha (ce qui n’est pas très malin, je me fais du tort toute seule hein, mais y a des sujets aléatoires comme ça qui me hérissent) (tiens, c’est très mathématique ça, d’ouvrir plein de parenthèses les unes dans les autres (je suis de bonne humeur ce matin, didiou !)))

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    • Je dois encore approfondir pour Murakami, je n’ai pas encore lu ses romans (juste des nouvelles), j’en ai qui m’attende dans ma PAL. 😉
      Aha, j’ai longtemps fait cette faute en plus, tout le monde la fait, et c’est difficile de se rendre compte que ça en est une si on n’utilise pas notre petit cerveau pour la repérer. 😛

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