Leur écologie et la nôtre, d’André Gorz

Résumé

Les crises climatique et écologique occupent désormais le devant de la scène, mais la profondeur des questionnements nécessaires, quant à nos façons de produire, de travailler, de consommer et de nous épanouir, manque souvent à ce brouhaha médiatique.
Cette anthologie, la première réunissant les principaux textes d’un des plus grands penseurs de l’écologie et du capitalisme tardif, décédé en 2007, comble ce vide.
Elle offrira des repères et des perspectives solides pour les tempêtes en cours : pensée de l’autonomie et de la liberté prolongeant l’existentialisme, lecture critique des derniers avatars du capitalisme et de sa crise écosystémique. Pour Gorz, loin des mesures gestionnaires et technocratiques, l’écologie est d’emblée politique, impliquant une critique radicale des formes de domination, tant par le travail que sur la nature ou via le consumérisme.

Chronique

Un coup de cœur, ce livre (ce n’est pas ce qui manque cette année). Si, très clairement, je ne recommanderais pas Métamorphoses du travail à tout le monde, Leur écologie et la nôtre est plus accessible. C’est un recueil de textes d’André Gorz, avec aussi des interviews, qui synthétise bien à mon sens la pensée de l’auteur.

Il a renforcé mon incompréhension face aux personnes qui se revendiquent de lui en parlant de l’écologie… mais pas du reste, notamment son analyse du travail à l’heure actuelle. L’aspect révolutionnaire de sa pensée est pourtant moindre ainsi, et de plus, c’est comme si on amputait sa pensée d’un membre essentiel. Ça n’a plus aucun sens, c’est indissociable.

Bref, je râle, mais de quoi est-il question avec André Gorz (grâce auquel je râle moins) ? De beaucoup de choses en rapport avec l’écologie, la structure capitaliste de notre société, le travail.

Ce livre est récent, les textes n’ont pas été rassemblés par l’auteur lui-même, ce qui est bien dommage, mais la lecture restait géniale. L’introduction provient des deux coupables de l’existence de cette anthologie, Françoise Gollain et Willy Gianinazzi, qui s’y connaissent énormément sur cet intellectuel (j’ai d’ailleurs lu de chacun un ouvrage). Donc vous pouvez y aller avec confiance, on ne se trouve pas en présence de pseudo-experts opportunistes. Il y est surtout question de ce qu’il a apporté en tant que philosophe autodidacte (son diplôme, c’est en ingénierie chimique, ça colle pas trop).

Ensuite, on peut découvrir ses textes. Comme c’est passionnant ! Les textes sont divisés en quatre parties mais je vais vous en parler plus globalement. Bien évidemment, on commence avec l’écologie de manière générale. Quel est l’état du mouvement écologique au moment où il écrit ? (les textes vont des années 70 au début des années 2000) Quel est l’intérêt de la décroissance ? Qu’est-ce qu’on entend par ce terme ? C’est quoi le lien entre la nature et la technologie ? Cette dernière est-elle un problème ? A quel niveau ? Et le nucléaire ? (vous imaginez bien que j’étais au premier rang pour ces textes-là)

Certains Verts que j’appellerais religieux raisonnent comme si les interventions humaines dans les processus naturels étaient dûes à la méchanceté des hommes, comme si la « bonne mère nature » devait être traité avec amour. Ce sont des sottises. Tous les êtres vivants sont par nature en lutte avec la nature. Tous dévorent, sont dévorés et se tiennent mutuellement en échec. Tous agissent sur leur environnement et le modifient en s’en nourrissant. Le propre de l’homme est sa capacité illimitée d’apprendre. Il est non naturel par nature. Il ne devient homme que par sa socialisation. Sans elle il n’a pas de capacités naturelles, innées. Il n’est pas génétiquement programmé à vivre en harmonie avec la nature environnante. Son mode de vie ne deviendra compatible avec l’intégrité de celle-ci que s’il s’interdit certaines interventions dans les cycles naturels dont – à la différences d’autres espèces – la nature elle-même ne lui a pas interdit la possibilité.

Mais même dans ces textes-là, on les retrouve liés à d’autres sujets : la structure de la société, qui permet le travail capitaliste et la domination sans conteste de la scieeence (elle est super utile et essentielle mais ça part dans l’abus), et l’aberration de vouloir tout dominer, surtout la nature. Et inversement. Avec l’ensemble de ces textes, on a une très grande vision de ce qu’il y a à faire et ne pas faire. Remettre notre société en question et ses principaux rouages est essentiel, même si ce sera compliqué.

Dans les sociétés industrielles complexes, il est impossible d’obtenir une restructuration éco-compatible de la production et de la consommation en rendant simplement aux travailleurs le droit d’autolimiter leur effort, autrement dit :la possibilité de choisir leur temps de travail, le droit au « temps choisi ». Aucune corrélation évidente n’existe, en effet, entre le volume de la production et le temps de travail.

Bref, va y avoir du taf.

Ce livre fait voir l’immense chantier qui nous attend si on est de bonne volonté. C’est assez vertigineux quand on a grandi dans cette société capitaliste. C’est à la fois cool d’avoir tous ces renseignements car ça permet de nous guider vers certaines directions, avec la réalisation qui va avec, mais clairement, c’est déprimant aussi.

Je pense que vous avez maintenant compris : la société capitaliste doit être remise en question, avec son mode de production, de consommation, le rapport qu’on a en tant que consommateurs au travail, le blanc-seing qu’on donne à la technique, à la science (qui ne sert pas l’intérêt général en priorité, n’en déplaise à certain·e·s qui pensent l’inverse), la connaissance qu’on croit avoir de la démocratie, etc.

Je tiens à rajouter un commentaire plutôt personnel, mais qui, je pense, est partagé par certain·e·s personnes : qu’est-ce qu’ils ont foutu, les plus vieux (vivants ou morts) alors qu’il y avait déjà des textes super pertinents d’André Gorz et d’autres intellectuels, français et étrangers, qui l’étaient tout autant, dans les années 70 ? Que la situation s’est fait connaître au plus grand nombre dans les années 80 ? On va me dire que les riches ont manipulé les masses pour continuer leurs profits envers et contre tout et je suis bien d’accord… Mais il y a aussi la responsabilité individuelle. On fait bien d’être en colère aujourd’hui.

Je ne vais pas trop m’étendre sur cet ouvrage immense : il y aurait trop de choses à dire, je vais trop en dire tout en formulant mal les choses. Je ne peux que vous conseiller mille fois cet essai. En plus, comme c’est un recueil de textes, vous pouvez faire une pause après un texte que vous avez trouvé ardu, vous ne perdrez pas le fil vu qu’un autre texte débutera.

J’ai pas dit que ça n’allait pas retourner le cerveau de certain·e·s par contre. Si ce qu’il dit vous paraît familier et pas trop novateur, dîtes-vous bien que ça part très souvent de lui et que ce sont sûrement vos références plus contemporaines qui se sont inspirées de lui.

Un livre à lire quand on a dépassé le stade basique de se renseigner sur l’écologie pour ne pas partir sur de mauvaises pistes par la suite.

Une réflexion sur “Leur écologie et la nôtre, d’André Gorz

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