La part du sarrasin, de Magyd Cherfi

Résumé

Le bac en poche, Magyd dit Le Madge, plus entre deux chaises identitaires que jamais, et entre rock et chanson française « à texte », éprouve ses rêves de musique et d’engagement politique, naviguant d’une bande de potes à l’autre : ceux de la cité et les artistes du centre-ville. Moins à la recherche de sa « Part de Gaulois » que de sa voix — celle qu’il voudrait donner aux siens, qui n’en demandent pas tant ; celle qui résonnera bientôt dans tous les Zénith de France où le succès révèlera aussi son amertume. Magyd ou les malentendus. Une aventure menée tambour battant, enragée et souriante.

Chronique

Je ne comptais plus faire de chronique de roman mais on a moins entendu parler de ce livre que le précédent alors qu’il est meilleur, il fallait que j’intervienne.

Dans Ma part de gaulois, Magyd Cherfi y racontait surtout son adolescence et son accession au baccalauréat, en tant que fils d’immigrés arabes vivant dans une banlieue (on est donc sur un récit autobiographique). Je vous laisse lire la chronique car contrairement à certain·e·s, je pense qu’il faut le lire d’abord avant de commencer La part du sarrasin. Ce n’est pas tant par rapport à l’histoire que ça peut poser problème, mais surtout par rapport à l’apparition de certains personnages dont vous n’allez pas forcément vous douter de ce qui s’est passé auparavant avec elleux (aucune explication ne sera donnée). Certain·e­·s lecteurices ont pu faire sans mais personnellement, je trouve ça dommage, on passe à côté de certaines choses, aussi minimes soient-elles.

Dans ce roman, Magyd Cherfi continue son récit en parlant de sa jeune vie d’adulte. Il est dans son groupe, Zebda, mais le succès n’est pas encore au rendez-vous, ça joue encore dans des petits bars. Mais la base est là, avec des textes engagés et une musique rock accrocheuse. Seulement, ses potes d’enfance, de la banlieue, très souvent arabes eux aussi, ne comprennent pas son choix de jouer une musique de blanc avec des blancs, qui serait selon eux une perte de temps par rapport aux nombreux morts arabes dus au racisme, au militantisme sur le sujet. Au moins, qu’il chante en arabe ! (qu’il parle très mal) De plus, les membres du groupe (donc blancs) ne comprennent pas non plus son « obsession » avec des sujets qu’ils considèrent comme « identitaires ». Bref, Magyd Cherfi alias le Madge se retrouve le cul entre deux chaises. On observe ce décalage se faire avec ses conséquences… Aimer la culture française (et surtout blanche) mais avoir été élevé dans un contexte différent de la basique classe moyenne… Paye ta contradiction.

Comme il a des amis racisés et blancs (et pas non plus de la même classe sociale), il trouve un peu de soutien et aussi pas mal de frustration des deux côtés. L’insouciance de ses amis blancs, la radicalité qui enferme de ses amis arabes, il n’était pas au bout de ses peines. De plus, tout ceci se déroule dans le contexte de la « marche des Beurs »…

Toutes ces questions politiques sont mélangées avec des scènes du quotidien (qui sont imprégnées de politique car tout est politique, ne l’oublions pas) et avec la découverte de son futur grand amour (elle avait l’air sublime, je veux une photo – à cause de lui, je l’appelle la fille à la menthe, aha, comprendrons celleux qui l’ont lu).

Et avec ça, il se retrouve confronté au fait de vouloir changer certaines choses sans renier d’où il vient. La violence envers les femmes, on l’a déjà vu dans Ma part de gaulois, est un sujet qui le préoccupe. D’autres choses le choquent mais c’est surtout ça qui marque quand on lit le premier tome, et le deuxième nous rappelle ce fait, même s’il est moins mis en avant. A côté de ça, ce n’est pas pour autant qu’il va renier certaines traditions, car il en apprécie certaines, avec parfois l’aspect nostalgique qui influe.

Il ne se passe donc pas souvent de choses bien drôles, y a même du tabassage en règle, et pourtant, j’ai passé mon temps à me marrer. Pourquoi donc ? Dans sa façon de raconter les évènements, c’est rempli d’humour, comme dans le précédent récit. Sa plume est un mélange entre l’expression littéraire et la grossièreté qu’on peut trouver dans son milieu, je la trouve plus assurée que dans le premier volume de l’autofiction. C’est plus basique chez moi, la grossièreté, mais on n’a pas non plus un balai coincé dans le cul, ce qui fait que je me suis sentie plus proche de son écriture à lui que d’autres plus guindées. Ma classe sociale se rapproche plus de la sienne.

Et même si vous êtes plus élevé·e·s socialement, ça serait intéressant pour vous de le lire car en plus de vous faire découvrir un monde aux antipodes du vôtre, j’ai trouvé que l’auteur touchait juste sur les questions sociales abordées dans son récit. Ça vous fera sûrement réfléchir. Personnellement, ça m’a contrit le cœur de voir que certaines choses n’ont pas changé près de 40 ans après…

Bref, un grand récit selon moi, intelligent et touchant. Je suis en colère qu’il n’ait pas été plus mis en avant que ça. Probablement parce que le contenu est plus clivant… Bref, dépassez vos craintes, prenez votre courage à deux mains, et lisez-le. Vous ne le regretterez pas. C’est fluide, drôle et pertinent. Ça fait voir les choses en face. Vous n’allez peut-être pas être d’accord avec tout ce qu’il dit mais ce n’est pas important : son récit est nécessaire et en plus brillant.

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