Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi

ma-part-de-gaulois-coverQuatrième de couverture

C’est l’année du baccalauréat pour Magyd, petit Beur de la rue Raphaël, quartiers nord de Toulouse. Une formalité pour les Français, un événement sismique pour l’“indigène”. Pensez donc, le premier bac arabe de la cité. Le bout d’un tunnel, l’apogée d’un long bras de fer avec la fatalité, sous l’incessante pression énamourée de la toute-puissante mère et les quolibets goguenards de la bande. Parce qu’il ne fait pas bon passer pour un “intello” après l’école, dans la périphérie du “vivre ensemble” – Magyd et ses inséparables, Samir le militant et Momo l’artiste de la tchatche, en font l’expérience au quotidien.
Entre soutien scolaire aux plus jeunes et soutien moral aux filles cadenassées, une génération joue les grands frères et les ambassadeurs entre familles et société, tout en se cherchant des perspectives d’avenir exaltantes. Avec en fond sonore les rumeurs accompagnant l’arrivée au pouvoir de Mitterrand, cette chronique pas dupe d’un triomphe annoncé à l’arrière-goût doux-amer capture un rendez-vous manqué, celui de la France et de ses banlieues.
Avec gravité et autodérision, Ma part de Gaulois raconte les chantiers permanents de l’identité et les impasses de la république. Souvenir vif et brûlant d’une réalité qui persiste, boite, bégaie, incarné par une voix unique, énergie et lucidité intactes. Mix solaire de rage et de jubilation, Magyd Cherfi est ce produit made in France authentique et hors normes : nos quatre vérités à lui tout seul !

Critique

Depuis sa sortie, je lorgnais dessus, sans pour autant me décider à l’acheter. C’est finalement cette vidéo qui m’a rappelée que j’étais une grosse naze à ne toujours pas l’avoir lu, donc allez hop, craquage dans une librairie. (parce que vous pensiez vraiment que j’allais ressortir avec ce bouquin uniquement ?)

Si le nom de l’auteur vous dit quelque chose ou pas, c’est normal, il s’agit du chanteur du groupe Zebda, et le premier qui me sort « Tomber la chemise », il ne va pas être mon pote, je vais avoir la chanson dans la tête toute la journ… Et merde, je me suis piégée toute seule. Mais si vous vous inquiétez déjà de lire une autobiographie du groupe, ce n’est pas le cas si vous avez lu le résumé plus haut. Magyd Cherfi raconte tout simplement son adolescence au sein d’une banlieue, sans tabous et sans compromis.

Par contre, si vous vous attendez à un remerciement envers notre chère République pour la chance qui lui a été donné de s’intégrer et blablabla, ce livre n’est clairement pas pour vous. On est plongé dans l’univers de sa banlieue qui subit malheureusement la mise à l’écart et l’ascenseur social se trouve encore plus loin à atteindre que pour d’autres. Alors bien évidemment, en plus de la rancœur post-coloniale (Magyd Cherfi est descendant de parents algériens), une volonté affichée de ne pas ressembler aux « Français », car de toute façon le vouloir serait un échec d’avance. Cette haine de l’école et de la réussite, symboles de ce qui est inatteignable pour bon nombre d’entre eux. L’auteur faisait clairement partie des ennemis à conspuer parmi les siens, ayant de bonnes notes et possédant l’amour de la littérature. Il était moqué quotidiennement mais aussi considéré comme un danger avec le soutien scolaire qu’il avait fondé, dans lequel il accueillait aussi… des filles.

Et oui, l’auteur nous parle aussi de la place des femmes et elle n’était franchement pas glorieuse dans ces quartiers durant les années 80. (euphémisme) Si les hommes de la banlieue n’avaient que peu de chances de sortir de leur condition sociale, les femmes n’en avaient pas du tout. C’est les hommes de leur famille qui décidaient de leur sort, quitte à les battre pour que ça rentre mieux dans le cerveau. Magyd Cherfi a bien tenté de les aider à s’émanciper, à travers le théâtre notamment, mais la maladresse l’a aussitôt rattrapé à la fin de sa terminale. Comme quoi, l’influence du patriarcat n’est pas simple à faire taire (de manière beaucoup plus flagrante chez l’un de ses amis) et qu’il faut garder à l’esprit qu’on n’est jamais complètement le chevalier servant sur son beau cheval blanc, quelles que soient nos intentions. L’auteur s’en est d’ailleurs bien rendu compte à l’époque.

La quête identitaire est au centre de ce récit, des questionnements qui ont traversé l’esprit de cet adolescent en quête de repères, mais plongé dans une schizophrénie plutôt compréhensible. Ne pas trahir les siens, mais avancer malgré tout, et cela passe forcément par une élévation au niveau social qui le pousse bon gré mal gré au-dessus de ses semblables, attirant sur lui la jalousie et la mesquinerie et imposant une certaine distance qu’il ne souhaitait pas.

Mais l’autre personnage central, toujours dans les coulisses et qu’on ne voit finalement que très peu, c’est sa mère. Cheffe d’une patrie de sept enfants, elle choisit de « sacrifier » les autres, de ne concentrer son énergie que sur un seul afin que Magyd obtienne le fameux saint Graal qu’était le bac à l’époque pour les Arabes. Elle possède une force incroyable et une intelligence palpable malgré son statut peu flatteur. Elle a d’ailleurs un sens de la formule et de la répartie qui m’ont fait beaucoup rire, en plus d’une autorité naturelle qui force le respect. C’est aussi l’auteure de cette phrase balancée à son fils quand elle voit bien que ça le titille de ne pas en être dans les matchs de football du quartier :

Il n’y a rien de plus stupide que de courir derrière une balle qu’il faut domestiquer avec ses pieds. Un ballon, ça ramène l’intelligence au plus bas du corps dans ce qu’il a de plus laid, les pieds. C’est avec sa tête qu’on devient un homme, on la remplit d’abord et la vie mon fils t’apparaîtra comme du miel.

/clap clap clap/

J’ai été assez interloquée (même si j’en avais entendu parler) de constater que l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981 n’était pas du goût des immigrés, contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire. (la victoire de la gauche, toutes ces conneries) La rumeur d’une possible victoire de cet homme avait ravivé des peurs compréhensibles, car François Mitterrand était à l’époque de la guerre d’Algérie ministre de l’Intérieur pendant trois ans et avait condamné à mort près d’une quarantaine de membres du FLN. Plutôt ironique pour quelqu’un qui a aboli la peine de mort durant son mandat… Bref, si la nouvelle génération n’y voyait rien d’alarmant, les anciens s’imaginaient déjà retourner au bled, au point de parfois préparer les valises à l’avance. Une situation un peu triste mais le contraste entre les deux générations était aussi assez comique.

Tout ceci a l’air horriblement sérieux et démagogue mais Magyd Cherfi nous raconte tout ceci avec une pointe d’humour et d’autodérision, ainsi qu’une affection touchante envers ce petit monde dans lequel il a grandi. Il n’épargne personne, ni sa communauté, ni les blancs, ce qui fait qu’on est soufflé par la justesse du récit.

Un livre qui est révélateur de certains éléments, au-delà des clichés, mais qui est surtout drôle et émouvant. J’ai personnellement aimé suivre le parcours de l’auteur et de son entourage, aimé leur vocabulaire qui pouvait se trouver à la fois châtié et littéraire, aimé leurs chamailleries et leur solidarité. On pourrait aussi dire que c’est un livre à lire pour ces élections présidentielles mais oublions-les tous et profitons juste de ce livre pour ce qu’il est.

4 réflexions sur “Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi

  1. Superbe chronique! Je ne l’ai pas lu mais je suis pourtant sûre que c’est une lecture enrichissante et qui me plairait (et moi aussi MissBook m’a rappelé que ce livre existait et m’a donné à nouveau envie de le lire). En général la gauche n’est pas toujours bien vue encore dans les cités et Mitterrand à fait énormément de mal au socialisme.. à part l’abolition de la peine de mort, il a fait glisser le socialisme du côté du libéralisme et à commencer à faire se rapprocher le parti du centre. Bon on voit où le PS en est aujourd’hui. Ra je ne peux pas m’en empêcher en ce moment, de parler politique! 😉

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