Le capitalisme patriarcal, de Silvia Federici – les livres féministes #20

capitalisme-patriarcal-coverJe pense qu’avec le titre, vous avez compris ? Je vais juste rajouter quelques mots : l’autrice nous montre comment le capitalisme a utilisé les logiques patriarcales pour son propre bénéfice et les a renforcées.

Combien coûterait de rémunérer le travail domestique et social ? Il n’y a pas de réponse chiffrée à cette question (le montant serait trop énorme) mais l’autrice nous en donne une idée dans son essai. Elle nous indique surtout pourquoi il n’est pas rémunéré. Et quels bénéfices cela sert. Ce n’est jamais vraiment dit explicitement dans une phrase « voilà pourquoi… » mais vu ce qui est raconté dans son livre, je pense qu’elle peut nous faire confiance pour en tirer les bonnes conclusions.

J’avoue avoir été surprise par l’accessibilité de ses propos qui se trouve être assez limité (je m’attendais à mieux). Disons que je ne conseillerais clairement pas ce livre pour commencer. Il y a des parties où vous vous sentirez perdues, même s’il y en a d’autres qui seront douloureusement limpides. Le livre n’est pas bien épais mais j’ai passé du temps sur les deux premières parties, avant que ça coule tout seul.

En même temps, l’analyse de l’autrice commence avec Marx et je crois que ça va coincer entre nous deux pour un moment encore. J’avais déjà senti, quand je lisais Métamorphoses du travail d’André Gorz, qu’il me fallait souffler, prendre une petite pause, et ré-attaquer ensuite. Là, c’était pareil. Et pourtant, ce n’est pas comme si c’était ses propos que je lisais directement dans le cas qui nous occupe dans cet article. Mais il y a une certaine complexité quand on n’a pas connaissance du raisonnement de Marx. Rien d’insurmontable mais à ne pas prendre à la légère non plus.

(je passe pour une abrutie avec ce paragraphe, mais en lisant plus lentement, je vous jure, ça va mieux !)

Dans la première partie, l’autrice s’attache donc à décrire ce qui ne va pas dans Le Capital de Marx, qui ne prend pas en compte tous les aspects qui concernent le genre féminin, notamment le travail hors de la sphère ouvrière. Oui, parce que le philosophe parlait des ouvriers, et parfois un peu des ouvrières, mais n’abordait pas le travail non rémunéré des femmes, c’est-à-dire le travail domestique et social (le ménage, la reproduction, la maternité, etc). Federici rappelle ce que l’écoféminisme a souligné : la Terre est exploitée comme les femmes, et son exploitation est d’ailleurs basée sur du langage et des méthodes qui sont les mêmes que pour diminuer les femmes et justifier leur asservissement. Marx pensait que la technologie libèrerait les hommes, mais on voit bien que ce n’est pas le cas, et encore moins les femmes, qui sont souvent assignées à des rôles de soin, qui sont majoritairement non automatisables.

Sa critique est très intéressante. Pour les fans, je vous rassure, il ne s’agit pas d’enfoncer Marx. Même si son raisonnement était insuffisant d’un point de vue féministe, il les a aussi aidé à comprendre certaines choses et à les utiliser pour leur combat. L’autrice souligne bien que Marx a son intérêt mais qu’il faut aussi savoir dépasser son argumentation car il n’a pas pu penser à tout.

Mais les capitalistes pensent toujours à tout ce qui peut augmenter ou diminuer leurs profits. Au XIXème siècle, la mortalité infantile était très élevée, les femmes, après une journée harassante à l’usine, se fichaient complètement de faire le ménage, n’avaient pas envie de sexe et ne produisaient donc pas la future génération de travailleurs. Les patrons ont donc préféré élever un peu le salaire des hommes et interdire les femmes à l’usine afin de les renvoyer au foyer. Bien sûr, ça n’a pas été aussi simple et des stratégies ont donc été mises en place, que l’autrice a décrites dans son livre.

Une critique de la gauche (surtout de ses hommes) et de son rapport au féminisme ne fait pas de mal. Si vous pensez que ce sont peut-être celles que vous adressez dans votre tête à cette orientation politique, je pense que vous allez être surprises. En effet, même si j’ai des trucs à reprocher, je ne m’attendais pas forcément à ça. La gauche déborde d’un cynisme extrêmement agaçant : ils se revendiquent comme des alliés, mais je vous le dis tout de suite, c’est faux. Il va même falloir résister contre eux. On retrouve finalement ce principe qu’ils aimeraient appliquer aux personnes racisées : c’est mieux de se faire oppresser par la gauche que par la droite, on est plus gentils qu’eux. On est un peu dans le même cas de figure, sachez-le.

Dans les chapitres suivants, Silvia Federici va nous décrire la naissance de la ménagère : sachez, contrairement à ce que disent certains, que notre place n’était pas au foyer depuis la nuit des temps. Je vous ai déjà donné une partie de la réponse plus haut mais ça ne s’arrête pas qu’à la fin du XIXème siècle. Les tactiques pour qu’on reste sages, disciplinées et soumises, ont continué. Surtout, il fallait nous séparer, nous isoler de cette image des prostitués qui avaient parfois une meilleure vie matérielle. L’autrice raconte bien évidemment comment cette fracture entre la « mère » et la « putain » s’est faite.

Et une femme au foyer, ça permet aussi d’avoir quelqu’un de gratuit à disposition pour le travail sexuel ! Car il ne s’agit pas que de reproduction, mais de plaisir après une dure journée. Et tous les moyens de pression sont bons pour nous y forcer. Et si vous croyez qu’on est plus chanceuses de ce côté-là aujourd’hui que nos ancêtres, laissez-moi vous détromper. Les astuces qu’elles utilisaient pour parfois éviter cette tâche (car il s’agit bien de ça) ne fonctionnent plus aujourd’hui. Au contraire, prétendre une migraine, être frigide, c’est mal vu et à proscrire, une erreur à réparer au plus vite.

Ce livre m’a rendu en colère mais dans le fond, je le savais. J’avais des intuitions sur certaines choses car, comme beaucoup de femmes, je peux encore reconnaître certaines choses, j’observe mon environnement, j’ai un vécu de genre féminin. L’impression qu’on a même plus de boulot que nos aïeules avec la charge mentale, le care, la triple journée de travail, etc… Même si le fait qu’un homme nous tape sur la gueule est moins systématique (mais toujours toléré, minimisé, malgré les lois), nous ne sommes toujours pas libérées.

Cet essai, malgré son accessibilité moyenne, est intéressant. Lisez-le quand vous aurez la tête à ça ? Par contre, je vous préviens : vous allez déprimer en le lisant !

13 réflexions sur “Le capitalisme patriarcal, de Silvia Federici – les livres féministes #20

  1. Je trouve qu’il va bien avec les réflexions que j’ai amorcé avec Un féminisme décolonial. Et comme ça m’a déprimé aussi je suis peut-être prête à enchaîner avec celui-ci qui a l’air très intéressant !
    J’ai l’impression qu’on est encore tellement loin d’un monde équitable quand je lis tout ça et tout ce que contre quoi il faut se battre… mais bon, il faut y croire et rester soudées !

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  2. Pingback: Pour un féminisme décolonial et intersectionnel – Litténerante

  3. La déprime vient du fait que depuis la fin des années 70, les hommes ont décrété que l’égalité était là. Les femmes ont joué un rôle dans cette histoire puisqu’elles ont en grande partie abandonnée le combat pour l’égalité croyant qu’elle arrivait forcément avec la pilule et le droit à l’avortement.
    Moi je le constate en écoutant ce que j’appelle la vieille garde féministe. Elles ne comprennent pas par exemple l’histoire de la gratuité des serviettes et autres tampons. Moi on m’a dit : « les serviettes et les tampons s’étaient une révolution à l’époque. Demander la gratuité, je comprends pas ». Je suis d’accord passer du journal à une serviette ou un tampon c’est un grand pas mais ce n’est pas normal de le faire payer aux femmes. Mais je m’égare un peu, le sujet de l’article n’est pas là.
    Il faut savoir que toutes les avancées dans le domaine du travail sont faites par et pour les hommes. Quand les usines où de nombreuses femmes travaillaient comme celles du textile, et que ces femmes se rebellaient les syndicats ne les aidaient pas.
    Quand vous regardez toutes les soit disant règles de pénibilité, elles concernent les domaines où les hommes sont majoritaires. Moi par exemple j’ai travaillé de nombreuses années dans des commerces divers et variés. J’ai porté des charges très lourdes, plusieurs fois dans une même journée. Quand vous recevez les palettes de marchandises avec des centaines de cartons remplis de vaisselle, et bien il faut avoir de sacrés bras et un dos à toute épreuve… d’ailleurs je ne compte même plus les lumbagos.
    Un dernier exemple, durant cette crise sanitaire, quels corps de métiers ont parlé de droit de retrait ? Les routiers, les maçons. Avez-vous entendu les caissières ? les infirmières ? les manutentionnaires ?
    Je pense que ce livre pourrait m’intéresser 🙂 .

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      • Et bien si j’ai pu donner quelques infos, je suis très contente !
        En fait j’ai plein de choses à dire parce que dans mon petit cerveau beaucoup de connexions se font avec toutes les données que j’accumule sur différents sujets au fil des années. Et là je me rend de plus en plus compte que les femmes ont toujours été les oubliées de l’Histoire. Pourquoi ? parce que l’Histoire est écrite par les hommes….

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      • Tout à fait d’accord ! Je ne suis peut-être pas au même niveau que toi (surtout que j’ai une très mauvaise mémoire) mais ça ne m’empêche pas de faire des connexions aussi… La métaphore de la pilule rouge est pas mal !

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