Les délices de Tokyo, de Durian Sukegawa

les-délices-de-tokyo-coverQuatrième de couverture

« Écoutez la voix des haricots » : tel est le secret de Tokue, une vieille dame aux doigts mystérieusement déformés, pour réussir le an, la pâte de haricots rouges qui accompagne les dorayaki, des pâtisseries japonaises. Sentarô, qui a accepté d’embaucher Tokue dans son échoppe, voit sa clientèle doubler du jour au lendemain, conquise par ses talents de pâtissière. Mais la vieille dame cache un secret moins avouable et disparaît comme elle était apparue, laissant Sentarô interpréter à sa façon la leçon qu’elle lui a fait partager.

Critique

Je crois que je ne trompe absolument personne ici : c’est Lemon June qui m’a donné envie de lire ce livre qu’elle a chroniqué lors du Sun & Books l’été dernier, des concepts de vidéos postés chaque jour par un Booktubeur pour faire découvrir un livre qui se passe dans un autre pays, histoire de nous faire voyager. Une très belle initiative, à mon avis. Même s’il est clair que cette chronique ne va pas transpirer la passion comme celle de Lemon June, j’ai apprécié de lire ce roman et ne regrette pas de l’avoir acheté, même si mon porte-monnaie m’en veut encore d’avoir pris le grand format.

Au début, l’histoire démarre comme le résumé l’indique. C’est très doux, serein, et même si l’on sait que ça ne va peut-être pas forcément durer (Tokue cache un secret, vous vous rappelez ?), on apprécie cette ambiance au sein d’une cuisine où la préparation du an par Tokue se passe de manière calme, sans l’effusion qu’on s’imagine dans un tel lieu. Les voir observer les haricots rouges en train de cuire a quelque chose d’apaisant. Les descriptions de la préparation de ce plat (les dorayaki plus précisément) pourraient sembler très ennuyeuses de prime abord, mais pas du tout, c’est passionnant de voir l’ambiance de méditation qui en ressort, et j’avais personnellement besoin de ce genre de lectures ces derniers temps.

Mais si vous croyez après tout ça que c’est juste un roman feel good à la con, vous vous trompez ! L’histoire ne s’arrête pas à Tokue qui livre ses secrets pour préparer la pâte de haricots rouges à Sentarô (qui ne se contentait jusque-là que d’une pâte industrielle toute prête) pour qu’il puisse donner plus de vie à son commerce. Tatata, oui mais non. Tout ne va pas aller comme sur des roulettes, le secret même de Tokue va mettre en péril la boutique autant que sa divine maîtrise de préparation du an a pu la sauver pendant un temps. Bien évidemment, je ne peux pas en dire plus, mais je peux tout de même effleurer rapidement les sujets abordés.

On voit à travers trois personnages – Tokue, Sentarô, et une lycéenne fréquentant le restaurant, Wakana – l’exploration d’un seul et même sujet, la solitude. Cette dernière nous est présentée sous des angles différents, les conséquences et les responsabilités n’étant pas les mêmes. Si celle-ci n’est pas vraiment développée pour les deux personnages les plus jeunes, il est clair que Tokue est au centre du roman, son secret et le rôle qu’elle joue pour nos deux autres protagonistes étant quasiment l’essentiel.

A travers son histoire, on ne peut que constater l’implacable cruauté de la société japonaise (mais je m’avance en disant que les sociétés en général le sont) qui n’est guère très ouverte et qui continue à croire telle chose même si on lui met l’évidence du contraire sous le nez. Les préjugés sont tenaces et cela prouve encore une fois que dès que quelque chose est affirmée, la preuve que c’est faux est quasiment ignorée dans la majorité des cas. Que la peur est toujours plus forte que la raison. Et dans le cas de Tokue, cela va même plus loin car il s’agit d’isolement pendant un nombre d’années conséquent. On a aussi la démonstration que les droits de certaines personnes sont bafouées à souhait tant que la crainte est présente, encore une fois très forte mais pas forcément très pertinente. En plus de tout ça, on assiste aux difficultés du monde du travail (qui peuvent être impactées par des faits comme cités dans le paragraphe précédent) et l’injustice que la société peut faire subir nous frappe encore de plein fouet.

Quant à l’écriture, si vous cherchez quelque chose de fouillé et d’original, passez votre chemin ! On est clairement dans quelque chose de très simple et c’est l’histoire et la narration qui y donnent finalement son charme. Cette simplicité confère au roman ce sentiment d’apaisement que j’évoquais plus tôt et surtout ne laisse pas l’occasion de verser dans le pathos vu les sujets abordés. On vit juste l’histoire, qui n’a pas besoin d’une écriture alambiquée pour faire passer des émotions. Ce qui aurait pu être un défaut est en réalité une qualité inhérente à ce roman.

Cette sobriété m’a personnellement fait du bien, donc c’est le genre de lectures que j’ai apprécié plus que d’habitude. Les personnages sont tous sympathiques et attachants à leur façon, ce qui est un vrai plus. J’ai passé un très bon moment de lecture et j’espère que si vous comptez vous y mettre, ça sera tout aussi agréable pour vous. Bref, c’est super mignon et émouvant, alors que le sujet ne s’y prête clairement pas.

23 réflexions sur “Les délices de Tokyo, de Durian Sukegawa

  1. Je n’avais pas remarquer que la solitude était écrite de différentes manières concernant les protagonistes mais tu as totalement raison ! Je l’ai trouvé hyper calme, hyper apaisant comme tu dis même s’il y a une douleur et une tristesse qui s’insinue au creux des phrases.

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  2. J’ai adoré ce roman (et depuis ma chronique j’ai aussi vu le film que j’ai bien aimé) mais il m’a semblé que le style n’était pas si simple que ça, il y a de la poésie parfois, que j’ai trouvée belle. Mais pour le reste, je te rejoins tout à fait.

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  3. J’aime beaucoup la littérature japonaise, on retrouve souvent ce côté apaisant que tu décris ici, avec une plume très simple mais diablement efficace… Ma référence, bien sûr, c’est Murakami, mais j’ai pu constater ça avec d’autres auteurs, ça ne me surprend pas que ce soit aussi le cas ici ! Ca m’attire bien en tout cas, c’est le genre d’atmosphère qui me fait du bien des fois 🙂

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  4. Je pense que le côté simple et apaisant se retrouve souvent dans la littérature japonaise qui élève la simplicité au rend d’art, ce qui rend tout ça très poétique en général.. mais je pense que la traduction peut peut être rendre ça plus simple que poétique? Bon je n’ai pas lu ce livre et je ne lis pas le japonais donc je ne peux pas répondre à cette question.
    Sinon j’adore les dorayaki, est ce que ça donne quand même un peu envie d’en manger??

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  5. Celui là je me le garde pour l’hiver, je l’ai déjà placé dans ma liste d’achat de novembre 🙂 Une très belle critique en tout cas. J’aime de plus en plus les écritures simples, qui donne un coté plus réel aux histoires je trouve.

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  6. Coucou !
    Bon, l’article a 4 mois, mais je viens juste de lire ce roman ! Et en voyant les commentaires j’ai l’impression d’être une des dernières à le lire !
    Je ne connais pas trop la littérature japonaise (j’ai lu un livre de Soseki et un de Kawabata), donc je ne vais pas faire de folles comparaisons ! Je peux juste dire que mon avis rejoint beaucoup le tien. Ce n’est pas un chef-d’œuvre mais une petite lecture simple, douce, apaisante… Autour de la cuisson du an les personnages se révèlent et c’est très touchant ! J’admire une telle efficacité en si peu de pages, pour le décor comme pour les personnages…et pour moi la poésie c’était chaque 1ère phrase de chapitre. Et aussi les rêves de Sentarô.
    Sinon les dorayakis c’est très bons mais dans les restaurants japonais ils servent aussi du thon rouge alors…

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    • C’est à cause de Lemon June que tout le monde s’est précipité sur ce bouquin ! (moi la première)
      Kawabata, on m’a engueulé parce que je l’avais toujours pas lu… Il est si bien que ça ? 😥
      Oui, je pense que la simplicité est la bienvenue dans ce récit aussi, c’est apaisant alors que les sujets abordés sont loin de l’être…

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