La Fin de l’homme rouge, de Svetlana Alexievitch

la-fin-de-l'homme-rouge-coverEncore une fois, je ne vais pas mettre de quatrième de couverture car celle-ci est vraiment beaucoup trop longue.

J’ai commencé ce livre suite au #BookChallengeNobel sur Twitter, mais je l’aurais certainement lu plus tard. L’autrice a parcouru l’ancienne URSS (la Russie et d’anciens pays soviétiques) pour récolter des témoignages de personnes ayant vécu l’effondrement du communisme, et donc de l’empire soviétique. (avec l’aide d’un magnétophone, d’un carnet et d’un stylo) On appelle ça une forme polyphonique, c’est-à-dire la multiplicité des narrations.

On y trouve des témoignages très différents : des gens pauvres, des personnes encore plus pauvres, mais aussi des individus plus aisés, des femmes, des hommes, jeunes ou âgés. Ils n’ont pas tous le même vécu, pas tous la même vision des choses, ni de la perestroïka, l’ensemble des réformes sociales et économiques conduites par Gorbatchev à la fin des années 80.

Je ne sais pas pour vous, mais l’effondrement de l’URSS en 1991, on nous l’a vraiment vendu comme quelque chose de positif des deux côtés durant les cours d’histoire, avec des photos de gens fêtant leur nouvelle liberté et que c’était un bienfait pour tout le monde. C’était effectivement le cas… pour deux témoignages dans ce livre. Le reste est plutôt partagé sur la question, certains regrettent même le régime soviétique…

Mais ces témoignages ne sont pas purement politiques, comme on pourrait le croire. Les gens nous racontent leur vie, celle qu’ils avaient avant la perestroïka (surtout les anciens du parti communiste qui regrettent énormément cette période), celle qu’ils avaient pendant et après, ce que ça leur a apporté (ou non), ce qu’ils ont observé… On y retrouve des histoires d’amour (souvent tristes à en pleurer d’ailleurs), la jeunesse mais aussi la vieillesse, certaines conditions de vie, la vie urbaine ou au contraire, celle de la campagne, le sexisme flagrant des hommes (« liberté » ou non), la mort… La politique a bien évidemment influencé le cours de leur vie, et leurs témoignages montrent qu’ils se sentent souvent désemparés face à tout ce qui s’est passé…

Tous ces récits m’ont bouleversée. J’avais l’impression d’avoir ces vécus sous les yeux, non édulcorés, ni par la propagande communiste de l’époque, ni par celle des systèmes capitalistes. La dictature soviétique, et celle qui, aujourd’hui, prétend ne pas l’être. Bien sûr, il y a les histoires de chacun mais il y a aussi des bribes attrapées au vol dans des conversations publiques, entre différentes personnes. (dans un bar par exemple) Là encore, la réalité dépend de chacun, tout le monde n’a pas le même avis sur tout, et la pluralité des opinions m’a beaucoup émue, mais aussi surprise. On n’arrête pas de nous donner une vision manichéenne de ce qu’il s’est passé à l’époque, et bien qu’on puisse en juger certains, que doit-on dire aux autres ? Ils sont d’ailleurs furieux de voir ce que le monde entier pense d’eux, alors que la réalité était souvent différente à leurs yeux…

Bien évidemment, il y a aussi les clichés que l’on connaît, des communistes purs et durs qui font semblant de répondre à la question des camps et des millions de morts perpétrés par le régime, mais qui balaient en réalité d’un revers de la main tout ceci pour mieux insister sur ce que le parti avait de meilleur. Oui, ces témoignages-là existent. Et ils ne sont pas la majorité au sein de ce livre. Non, le commun des mortels y témoigne et le désarroi est ce que j’ai le plus constaté. Une très grande souffrance, et souvent une incompréhension de ce qui se déroulait. Finalement, ces gens-là racontaient bien ce qu’ils voulaient, et c’est là l’essence même de ce qui m’a séduit. Pas de question dont l’autrice aurait pu se servir pour les guider là où elle voulait, non, c’est leur histoire. (elle est parfois intervenue, comme lors de l’entrevue avec cet ancien membre du parti communiste, qui tenait des propos qui auraient fait réagir beaucoup de monde)

Ce livre permet de sauvegarder une histoire que tout le monde a tendance à oublier, à dénigrer, à moquer. Ces gens représentent bien plus que cette dictature ou une utopie ratée, ils sont pluriels. Ils viennent de pays différents, et bien qu’ils étaient tous soviétiques, la fin de l’URSS a bouleversé bien des vies… (notamment les guerres d’indépendance) L’autrice vient elle-même de là, et la compréhension était palpable entre elle et certaines de ces personnes. L’une d’entre elle a tout de suite su qu’Alexievitch venait de « la génération des cuisines ». Une autre époque, dans un autre espace, dans un autre contexte.

J’ai trouvé ce livre très instructif, bouleversant bien des préjugés dans ma petite tête d’occidentale. Je remercie l’autrice de nous avoir fait partagé la réalité de ces gens, en nous proposant juste leurs émotions à l’état brut, sans rajout. Un livre nécessaire pour la mémoire. Des histoires très fortes, cela ne vous laissera clairement pas indifférent.

 

31 réflexions sur “La Fin de l’homme rouge, de Svetlana Alexievitch

  1. Ça a l’air très intéressant. Je crois que je vais vraiment prendre exemple sur toi pour le choix de mes lectures… est-ce accessible ou faut-il maîtriser le contexte historique ?
    Merci en tout cas pour cette chronique ! Tu enchaînes avec un autre Nobel ?

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  2. Au taqué pour les prix Nobel dit donc ! En tout cas ta chronique est vraiment très belle et donne très envie de découvrir ce recueil de témoignages. D’ailleurs j’ai vu que début septembre, cette autrice était à l’honneur à la biblio de Limoges, avec une projection du film La Supplication et un débat apparemment après !

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  3. Alors déjà que ton challenge est très cool, je trouve ça formidable pour nous (en tous cas pour moi) de pouvoir profiter de tes chroniques. Voilà un livre qui semble tellement intéressant et dont je n’ai jamais entendu parler. En plus je suis très intéressée par le sujet et je trouve qu’on traite l’Histoire de manière totalement subjective. Le faire avec objectivité est bien entendu impossible mais il faudrait qu’on soit un peu plus transparent sur ce fait car l’Histoire ce n’est justement pas juste des faits bruts sans interprétation.

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    • En plus, il paraît que cette autrice est géniale en générale, alors tu peux foncer ! Et merci, j’espère être à la hauteur des livres que je vais chroniquer pour ce challenge. (mais ils sont tellement grands pour la plupart, ça va être compliqué, et j’ai d’ailleurs l’impression de m’être plantée sur celle-là)
      En fait, comme c’est une foule de témoignages subjectifs, ça rend le tout objectif car différents points de vue sont représentés, c’est saisissant. Je te le conseille fortement !

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    • Merci pour ton commentaire ! Je crois que mon but sera bien de tous les lire aussi un jour, et c’est vrai que celui-là m’a mis une claque immense, je comprends que tu considères que ce soit le plus troublant.

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  7. Coucou ! J’ai adoré ces témoignages ! Ce qui était très puissant, c’est que les membres d’une même famille, sur 3 générations, avaient chacun·e une vision différente de la société. Une société qui a changé si vite, si fort, que les membres d’une même famille ne peuvent se trouver des points communs. Vraiment, une lecture que je ne cesse de recommander autour de moi ❤

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