Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino

si-par-une-nuit-italo-calvino-coverQuatrième de couverture

Vous, lecteur, vous, lectrice, vous êtes le principal personnage de ce roman, et réjouissez-vous : c’est non seulement un des plus brillants mais aussi un des plus humoristiques qui aient été écrits dans ce quart de siècle.
Vous allez vous retrouver dans ce petit monde de libraires, de professeurs, de traducteurs, de censeurs et d’ordinateurs qui s’agitent autour d’un livre. Vous allez surtout vous engager dans des aventures qui vous conduiront chaque fois au point où vous ne pourrez plus retenir votre envie d’en savoir davantage, et là, ce sera à vous de continuer, d’inventer. Bon voyage.

Critique

En voilà un livre atypique ! Il m’aura bien surpris de par son thème, et surtout, sa structure. Je l’ai lu en lecture commune avec La viduité, merci à lui 🙂

En effet, nous suivons des réflexions à propos de la lecture, des livres, des lecteurs, des librairies, des éditeurs, des censeurs… Il y a eu pas mal de choses qui m’ont parlé, notamment celle-ci :

Écouter quelqu’un qui lit à haute voix, ce n’est pas la même chose que lire en silence. Quand tu lis, tu peux t’arrêter, ou survoler les phrases : c’est toi qui décides du rythme. Quand c’est un autre qui lit, il est difficile de faire coïncider ton attention avec le tempo de sa lecture : sa voix va ou trop vite ou trop lentement.

Bien évidemment, en tant que lecteur/lectrice, les remarques sont multiples et correspondant pour la plupart à notre vécu parmi les livres. Elles sont un vrai plaisir durant cette lecture, elles nous ramènent forcément à quelque chose que l’on connaît, grâce auquel l’auteur crée une sorte de lien de connivence, de compréhension, avec nous, les lecteurs. Ces passages m’ont souvent fait sourire, c’est une vraie régalade. En tant que lectrice, je me suis forcément sentie concernée.

Mais ce n’est pas tout. Quelle est l’histoire après tout ? Gardez bien en tête que ce roman est différent de ce que vous avez lu jusqu’à présent. Nous suivons le Lecteur, duquel nous nous sentons forcément proches du fait de ce que j’ai raconté précédemment. Celui-ci rencontre une Lectrice dans une librairie, une très clairvoyante et mystérieuse personne, j’ai nommé Ludmilla.

Il pense avoir trouvé une âme avec qui parler lectures, et plus si affinités. Ce ne sera pas aussi simple que dans ses fantasmes planifiés. Ils ont fait connaissance autour d’un sujet qui va les mener encore plus loin que ce qu’il pensait. Une vraie histoire de fous. Mais pas tant que ça, la littérature, c’est du sérieux, et ce roman va soulever des questions plutôt pertinentes à travers un scénario un peu étrange et carrément loufoque.

Mais je tourne autour du pot : quel est ce fameux sujet ? Le Lecteur commence un livre qui se trouve avoir un défaut d’impression assez embêtant : on a le début d’une histoire, mais pas la fin. Le premier chapitre, et puis démerde-toi. Le Lecteur finit donc celui-ci pour se retrouver… face à ce même début une nouvelle fois. Ensuite, alors qu’il croit avoir trouvé le bon, ce livre n’a en réalité pas le contenu qu’a lu le Lecteur. Et ainsi de suite. Retours interminables à la case départ.

S’ensuivra donc une course-poursuite de ce putain de bon livre, dans laquelle le Lecteur lira beaucoup de début de romans sans en avoir la suite. Ces chapitres de nombreux livres, l’auteur nous les donne et on ne peut être que frustré au même titre que le Lecteur. Ça avait l’air super bien, j’étais emballée, où est la suite ? Qu’est-ce que ça signifie, enfin ? On est placé dans la même position que le Lecteur. En fait, le Lecteur, c’est un peu nous, tout aussi paumés.

Mais ce roman ne se limite pas qu’à ça. De nombreuses questions sont relevées ou suscitées, notamment sur la lecture : quelle est la bonne façon de lire ? Qu’est-ce qu’un bon livre, en fait ? La présence des ordinateurs et de leur capacité à analyser un livre, voire à l’écrire, ne m’étonnent pas du tout (après tout, ils sont déjà bien capables, à l’aide d’un logiciel spécifique, d’analyser la personnalité d’un écrivain sur le contenu d’un de ses romans) et le sujet de la censure, de ce qui relève du faux ou du vrai, est aussi présenté. Vous aurez de quoi vous mettre des pensées sous la dent, et réfléchir encore et encore, quitte à vous payer un petit mal de tête. La mise en abîme est sacrément bien maîtrisée par l’auteur. (d’où le mal de tête ?)

Bref, j’avoue avoir trouvé que c’était un sacré casse-tête par moments, mais un qui était intéressant, avançant avec le Lecteur (ou en tant que Lecteur ?) dans cette aventure d’un nouveau genre. S’il y avait effectivement de nombreux éléments passionnants à examiner, je vais en venir cette fois-ci à un avertissement qui me semble important.

Ne commencez pas ce livre si vous n’êtes pas en pleine possession de vos moyens. Je m’explique : étant mal psychologiquement, j’ai eu souvent beaucoup de mal à avancer dans ma lecture. J’ai trouvé qu’il y avait quelques longueurs, la confusion parfois courante (mais dans un but bien précis au demeurant) dans le scénario n’aidant pas forcément à passer outre ce défaut. Je pense que j’aurais beaucoup plus apprécié ma lecture si je m’étais trouvée dans un état normal, ce qui me fait dire que je le relirai sûrement pour m’assurer de ne rien avoir raté. Et des choses, j’en ai forcément loupé car en discutant un peu avec La viduité (en cliquant dessus, vous trouverez sa chronique), le voilà qui me pose une question sur un détail… qui me paraissait très flou, alors que c’est pourtant quelque chose que j’aurais dû retenir, nomdidiou. Bref, je ne l’ai pas lu dans les meilleures conditions et je vous déconseille d’en faire de même afin de pleinement le lire.

Un livre qui est atypique, rafraîchissant, et bonnement très intelligent. Je ne sais pas si les autres romans de l’auteur sont aussi divers et spéciaux dans leur traitement (j’ai quand même cru comprendre que celui-ci était à part comparé au reste de sa bibliographie), mais je pense que j’y jetterai un petit coup d’oeil curieux. Et vous aussi, je vous engage, si vous vous ennuyez dans vos lectures en ce moment, à laisser sa chance à Si par une nuit d’hiver un voyageur, il vous offrira une lecture agréable et ingénieuse.

« […] Chaque nouveau livre que je lis vient s’insérer dans le livre complexe, unitaire, qui forme la somme de mes lectures. »

19 réflexions sur “Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino

  1. Italo calvino ! J’ai eu l’occasion de lire quatre autres de ses livres, mais pas celui ci. Du coup, je sais quel sera mon premier achat en rentrant en France ! J’aime énormément me perdre dans ses univers, ses histoires sont souvent décalées et abdurdes, mais il a un talent certain pour décrire son amour de la littérature à travers les lignes. Mon préféré est le chevalier inexistant, pas très long, tu peux bien évidemment aller me l’emprunter si tu veux 😉

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  2. Ca me fait sourire parce que l’extrait que tu partages au début, c’est pile poil celui dans lequel j’ai lu ce livre ! Avec une personne X, on avait lu ce livre en alternance, un chapitre chacun à voix haute. Une expérience assez particulière qui je le sais m’a fait loupé le coche à certains moments. J’ai raté la compréhension de certains passages, eu du mal à suivre à cause de ça. ( autant J’ADORE lire à haute voix, mais dès qu’on le fait à ma place et que je ne suis pas forcément active [comme là, un livre pour deux, forcément t’as du mal à suivre quand l’autre lit] c’est limite de la lecture dans le vide ) Donc voilà, c’était pas voulu mais ça a fait écho avec mon expérience directement hihi.
    Sinon oui, j’approuve totalement : il faut être dans de bonnes conditions pour le lire, pas de tracas etc, parce que c’est de la gymnastique cérébrale.
    Comme toi je pense que je le relierais, j’ai gardé le sentiment très agréable que j’avais eu à la lecture, mais en ayant perdu l’expérience que proposait ce titre…
    Différent parce qu’on est dans le domaine essai, un des livres de cet auteur que je compte lire, c’est « Pourquoi lire les classiques » dont j’ai lu quelques extraits pour les cours et j’aimais beaucoup l’esprit, donc cette phrase très connue «Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire.» , parce qu’il prône la capacité subjective au sein des classiques et ça fait du bien ( surtout face au mépris x) ) Je m’avance en disant ça parce que je n’ai lu que des petits fragments mais je pense que ça pourrait te plaire.

    Fais attention à toi et ne t’oublie pas.

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    • T’adores lire à voix haute ? Je t’aurais déjà tué 100 fois si tu fais ça devant moi x) Quand on lisait des textes à l’école, je ne supportais pas ça, je n’arrivais pas à suivre, ce qui fait que j’attendais que la personne ait fini de le lire pour le lire à mon tour. Problème : généralement, la prof attendait aussi la fin de la lecture pour interroger quelqu’un. Et quand ça te tombe dessus alors que t’as rien suivi… Bref, la lecture à voix haute, c’est l’enfer, voilà.
      Ca a l’air vachement intéressant, ce livre ! (mais pas à voix haute /tousse/) Effectivement, ça a l’air de bien démonter une sorte d’élitisme. Je note, je note !

      Merci 🙂

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      • T’inquiète pas je fais ça que quand je suis toute seule ! Ou en cours quand on doit lire quelque chose ( et encore je suis trop timide pour lever la main haha ) Par exemple la Princesse de Clèves j’ai bien du lire la moitié à voix haute pour restée concentrée parce que mon cerveau lisait, pensait à pleins d’autres trucs en même temps, le foutoir ! ) Par contre je comprends que trop bien, quand les autres lisent à voix haute je suis pareille, j’ai rien enregistré…
        J’espère que ça te plaira !

        Et de rien. c:

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  3. J’aime beaucoup ta chronique ! J’ai lu celle de La Viduité et s’il apporte des réflexions très intéressantes, tu es plus dans le ressenti et le rapport au livre, à la lecture : du coup les 2 se completent très bien, c’est parfait :). C’est par contre dommage que tu n’étais pas très bien à ce moment là, j’espère que tu auras l’occasion de le relire dans de meilleures conditions (et que tu vas/iras mieux surtout).

    Sinon j’ai moi aussi adoré ce livre mais c’est le seul de l’auteur pour l’instant. Ma mère a longtemps essayé de me faire lire « Le Baron perché » et je ne sais pas pourquoi ça ne me disait pas, jusqu’à ce que je lise « Si par une nuit d’hiver… » et que je me dise bon, allez, faudrait essayer un autre puisque je l’ai tellement aimé ! Et j’ai « Pourquoi lire des classiques » dans ma PAL, je pense qu’il doit être plus dans l’esprit de « Si par une nuit d’hiver… », dans le sens plus porté par une réfléxion autour de la littérature que par une fiction.

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    • Merci beaucoup ! Oui, j’adore ses chroniques, il analyse beaucoup de choses, je découvre parfois des trucs, j’adore ❤ (comment ça, je l'ai déjà dit ?)
      J'espère aussi, merci pour ta sollicitude 🙂

      Oui, on m'a déjà parlé de "Pourquoi lire des classiques", et d'ailleurs, tu noteras dans le titre qu'il n'y a pas le verbe "falloir" dans le titre (genre "pourquoi il faut lire des classiques", donc pas de notion d'obligation, ça veut dire que ce livre est sûrement dans un bon esprit 🙂

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  4. Oh, je ne savais pas du tout que le roman parlait de livres ! (J’avais interprété le titre explicitement et je voyais une auberge perdue avec un voyageur à la Aragorn, je crois que je me suis plantée :p)
    J’ai prévu de le lire parce que j’avais bien aimé le Baron Perché, mais effectivement on dirait qu’il vaut mieux le garder pour le lire avec l’esprit clair…

    Plein de ♥ sur toi sinon

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  5. Si par une nuit d’hiver un voyageur m’en a fait rater des station de métro tellement j’étais absorbée par sa lecture, quel roman fantastique ! Le baron perché en est un autre tout aussi fabuleux !

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