Les lunes de Jupiter, d’Alice Munro

les-lunes-de-Jupiter-coverQuatrième de couverture

Comment vider des dindes peut marquer à jamais une jeune fille de 14 ans… Comment un cadeau simple et doux comme un sac de petites algues peut réchauffer un coeur désespéré… Douze nouvelles composent des portraits de femmes qui, sous une apparence fragile, cachent souvent un caractère étonnant et courageux. Avec lucidité, elles affrontent la vie, ses joies et ses peines, ses luttes et ses déceptions.

Critique

Alice Munro m’était complètement inconnue jusqu’à ce que je trouve un livre d’elle pendant une expédition à Emmaüs. Alors que Celestine-Aude n’avait même pas encore abordé l’idée du #BookChallengeNobel sur Twitter, j’avais été attirée par le bandeau rouge la mentionnant comme le prix Nobel de littérature de 2013. En plus de m’être bien rendue compte que j’étais une grosse inculte et que je ne suivais décidément pas assez l’actualité littéraire, j’ai aussi bien réalisé que je réagissais plutôt bien au marketing la vantant comme ayant obtenu le plus grand prix littéraire du monde. Je ne la ramenais pas trop, quoi.

Au milieu de ces informations superficielles s’en trouve une plutôt intéressante : cette autrice est prix Nobel de littérature 2013. Vous allez vous dire « Mais elle recommence, là » mais je n’ai pas fini. Un détail me semble avoir son importance : Alice Munro est la première autrice (et auteur, en fait) qui écrit exclusivement que des nouvelles à avoir remporté le prix Nobel. Voilà, voilà, et maintenant je m’incline. (ce n’est quand même pas rien)

J’embraye tout de suite sur ce recueil de nouvelles, qui m’aura fait passer par des tas d’émotions contradictoires : j’ai ri, j’étais en colère, je me suis sentie mal… Je sais que quelques personnes n’accrochent pas aux nouvelles et je ne leur promets pas qu’elles vont changer d’avis avec cette nouvelliste : en plus d’être présomptueux, le format peut tout à fait ne pas convenir à tout un chacun. Personnellement, les nouvelles ne me rebutent pas.

A chaque nouvelle, on retrouve le portrait d’une femme (ou plusieurs, selon ce dont parle le personnage principal de chacune), et on peut noter une prévalence du milieu du XXe siècle. La première chose qui m’a frappée dans les premières nouvelles, c’est la présence parfaitement assumée et maîtrisée de la différence de classe, de ses conséquences, du mépris que cela peut engendrer de la part de certaines personnes. (et parfois même celles qui se sentent bien intentionnées) Je n’ai pas encore subi beaucoup de choses, mais juste assez pour me sentir très touchée par ces passages-là. C’est parfois assez acéré, une réalité souvent pas très agréable à voir ou à entendre.

Munro y retrace les difficultés de ces femmes (canadiennes), leurs doutes quant à leur vie (passée ou non). Elles ne vivent pas forcément dans le même milieu social, bien qu’il puisse y avoir des points communs, comme je l’ai déjà dit. (ça ne va jamais au-delà de la classe moyenne ceci dit) Elles ont subi une part de sexisme à différents niveaux, selon leur situation. J’ai aussi retrouvé l’arrogance de certains hommes que j’observe dans la vraie vie. Ça m’a d’ailleurs mis assez mal à l’aise de voir ça d’aussi près, de toucher à l’intime, même si c’est à travers les yeux d’une femme, d’une personne extérieure. De sentir qu’elles se « rendent compte ». L’analyse psychologique de ces femmes, mais aussi des autres personnages, est assez affutée.

D’ailleurs, ce sera assez immanquable : toutes ces femmes subissent le sexisme, et ne croyez pas que ce soit forcément ce que vous imaginez. Très souvent, c’est à petites touches, des touches qui peuvent peut-être parfois paraître futiles pour ceux qui ne subissent pas cette oppression, mais qui prennent une importance énorme quand on la subit et qu’on sait très bien ce que ça signifie concrètement. (il y a des choses qui ne changent pas réellement dans le fond même si certains proclament qu’on n’a plus besoin du féminisme)

J’en ai lu quelques-uns, des récits qui retracent des parcours de femmes, mais je n’ai jamais été aussi touchée par ces histoires que dans Les lunes de Jupiter. Pourtant, le contexte géographique, leurs histoires, n’ont rien à voir avec moi mais j’ai senti un grand élan de solidarité envers elles, même quand je n’approuvais pas certaines de leurs décisions ou agissements car je trouvais ça égoïste ou que je savais où ça allait mener. La misère est parfois sous nos yeux, une certaine fatalité se dégage de l’histoire de certaines. D’ailleurs, on y rencontre aussi des personnes âgées, ce qui est assez rare alors que les récits privilégient plutôt des personnages jeunes (surtout des femmes) ou aux abords de la cinquantaine (surtout des hommes). A plusieurs reprises, je me suis sentie mal, cette lecture ne me faisait clairement pas du bien. Je déconseille cette lecture si vous n’êtes pas bien psychologiquement. En-dehors de ça, vous n’avez pas d’excuse. 😛

L’autrice n’apporte absolument pas son jugement contrairement à ce que l’on pourrait croire après ce que j’ai dit : il n’y aura vraiment que vous pour juger ces histoires. Même à travers son écriture (vous pouvez vous y diriger sans crainte si c’est un critère important pour vous), elle ne dit rien, elle laisse réellement l’histoire se porter toute seule, avec des détails qui peuvent avoir l’air insignifiant au regard de ce qu’on en tire, mais qui apporte un véritable plus sur l’impression de réalité qu’on a en lisant ces nouvelles. Vous êtes seuls face aux récits et à vos propres pensées, à votre propre responsabilité.

Je vous conseille donc de tenter la lecture de cette autrice. Je pense que même quand on aime pas lire des nouvelles, il y a quand même des auteurs qu’on peut tenter, et Alice Munro est très clairement l’une d’elles. Ce sont des récits très forts, qui m’ont beaucoup marquée.

Vous pouvez aussi découvrir une autre chronique sur un autre livre d’Alice Munro. (j’allais rajouter « qui n’est clairement pas assez connue » mais c’est peut-être juste moi, en fait)

13 réflexions sur “Les lunes de Jupiter, d’Alice Munro

  1. J’ai très très envie de découvrir des recueils de nouvelles et j’avais entendu parler de cette autrice. J’avais vraiment envie de me l’acheter en librairie mais je dois être patiente. J’ai adoré lire ton article 🙂

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  2. J’avais déjà lu un recueil de nouvelles de l’autrice mais… je fais parti de ces gens qui n’aiment pas les nouvelles, donc ça ne m’a pas marquée plus que ça (je ne me souviens même plus du titre, c’est dire) !
    Pas que j’ai trouvé ça mauvais, au contraire, mais comme d’habitude mon intérêt est vraiment en dents de scie au cours du recueil de nouvelles.
    Merci pour ton avis sur les lunes de Jupiter en tout cas, tu en parle vraiment très bien !

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  3. Tu n’es pas la seule, je n’avais pas encore entendu parler de cette autrice non plus ! Du coup merci pour ta chronique qui met à jour ma culture littéraire. Et surtout merci parce qu’elle est très bien écrite et donne envie de découvrir ces nouvelles. J’imagine qu »elles me feront également grincer des dents mais je trouve ça toujours intéressant de lire des choses ayant pour thème le sexisme (ou toute autre forme d’oppression), et de voir comment il peut être traité selon les auteurs.trices.

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  4. Pingback: Autrui, un mystère céleste : Les Lunes de Jupiter, d’Alice Munro – Femmes de lettres

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